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Un tintébin pour la démocratie

Le tintébin est l’appellation que donnent les Suisses Romands au déambulateur, vous savez, ce youpala pour personnes âgées :

Les actualités me donnent à penser que les démocraties sont de plus en vacillantes, comme si elles étaient usées, comme si elles avaient trop servi.

En cette fin de mois d’août s’est déroulé aux Etats-Unis un scénario impensable dans une démocratie occidentale. Donald J. Trump, inculpé pour divers motifs, et toujours candidat à l’investiture par le parti républicain, ne s’est même pas présenté aux débats préliminaires entre les potentiels candidats de son propre parti; un affront à la procédure démocratique qui devait permettre le choix du candidat le plus représentatif du parti. Mieux, il a organisé à la même heure une interview sur X (oui, ex-Twitter, quel nom stupide que ce X !) pour tenter de discréditer ses opposants potentiels, et occulter le débat entre ses collègues de parti. Non content d’avaler ces couleuvres, le parti républicain continue de soutenir majoritairement ce triste individu qui se moque de ses propres supporters. Et il y a de sinistres crétins qui votent encore pour ce clown malfaisant ! Il paraît de plus en plus probable qu’il obtiendra en 2024 l’investiture du parti sur lequel il crache avec mépris et application; et il se présenterait alors contre un Joe Biden plein de bonne volonté, mais tout de même au seuil de la sénilité ! Il ne serait guère difficile à Trump de discréditer Biden à coups d’affirmations fantaisistes qu’il a depuis longtemps renoncé à étayer, et dans ce cas, je crains très fort pour la démocratie aux Etats-Unis. Au vu du respect affiché par le chimpanzé hypertrophié pour le processus démocratique, il semble probable qu’il cherchera par tous les moyens à pérenniser son règne, comme Poutine et Xi l’ont fait avant lui. Heureusement qu’il a plus de 77 ans d’âge : il y a un espoir qu’Alzheimer ou une fracture du col du fémur ait raison du bonhomme dans un avenir pas trop éloigné, parce qu’on peut douter de l’efficacité de la justice en l’occurrence.

Vladimir Vladimirovitch Poutine est quant à lui accusé d’un nombre de moins en moins respectable de crimes contre l’humanité, mais actuellement personne ne songe à aller le chercher en Russie pour l’assigner à comparution devant un tribunal quelconque, fût-ce la Cour Internationale de Justice. C’est par ailleurs le dirigeant d’un gouvernement voyou, qui ne respecte aucun engagement et ne tient aucun compte des promesses qu’il a pu faire, à preuve les diverses agressions en Tchétchénie, en Géorgie ou en Ukraine, sans entrer dans les petits détails que constituent les nombreuses opérations paramilitaires en Afrique, ou la cyberguerre de déstabilisation (qui a tout de même permis l’élection de Trump aux Etats-Unis !) menée depuis plusieurs décennies à l’encontre des pays occidentaux. Au moins ne se réclame-t-il pas d’une quelconque légitimité démocratique puisqu’il est un dictateur assumé ! Dans nos démocraties (enfin, la plupart), un représentant de l’ordre qui abuse de la contrainte violente à l’égard d’un prévenu est en général plus ou moins rapidement traduit devant un tribunal, et c’est une bonne chose. Mais un assassin multirécidiviste comme le dictateur de la Fédération de Russie qui liquide ses adversaires politiques comme bon lui semble, en murmurant de cyniques condoléances devant une télévision qui lui est acquise n’a pas à rendre de comptes. De manière plus générale, le simple fait de disposer d’une force de dissuasion nucléaire garantit l’impunité à l’Etat voyou et ses dirigeants.

On pourrait aussi parler de Xi, de Kim, d’Erdogan, des talibans, des mollahs, ou deTchiani, putschiste au Niger; on pourrait même citer Orban ou Loukachenko, la liste est longue, bien trop longue ! Les partis d’extrême-droite, un peu partout, rêvent d’hommes (rarement de femmes, encore qu’en Italie…) forts et de gouvernements à poigne; les culs-bénis déplorent le laxisme des autorités face aux mœurs dissolues, à la mouvance LGBT perçue comme une maladie sociale. Même en Suisse, des opinions bien-pensantes proches de l’UDC ne craignent plus de proposer des restrictions aux droits pourtant chèrement acquis de l’individu, comme l’accès à l’interruption volontaire de grossesse pour les femmes.

Face à de telles crapules, glorifiant de manière éhontée le mensonge. l’assassinat et l’irrespect des lois, et ceci apparemment en toute impunité, comment persuader notre jeunesse de la nécessité qu’il y a de respecter les lois et la démocratie ? Les ordures que sont Poutine et Trump sont multi milliardaires; par contraste, un Macron n’est certes pas pauvre, mais quels ennuis on lui fait ! Quant au salaire d’un Conseiller Fédéral, cela permet certes de s’offrir des vacances sympa, mais pas trop ostentatoires tout de même: la villa à Mar-a-Lago ou sur les bords de la Mer Noire ne sont pas tout à fait dans le budget. Quel paraît être le modèle le plus intéressant ?

Il faudrait pouvoir réformer l’Organisation des Nations Unies de manière à ce qu’elle dispose d’un pouvoir d’intervention plus élevé. Mais qui va opérer cette réforme ? Certainement pas l’ONU elle-même, bridée par le droit de veto que se sont arrogé les vainqueurs de la Guerre en 1945, en oubliant de prévoir des renégociations de statut périodiques. Réformer l’ONU ? Poutine ne le permettrait pas, le statut actuel lui est par trop favorable !

Les démocraties traditionnelles ont du travail en perspective pour se rendre à nouveau crédibles; dans l’intervalle, un soutien extérieur pour leur assurer un minimum d’équilibre serait le bienvenu; mais encore faut-il trouver le tintébin adéquat…

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La poupée qui fait non

« La poupée qui fait non » est une chanson de Michel Polnareff publiée en 1966; cela ne rajeunit personne… Si j’en parle ici, c’est que la gouvernance de notre Etat comprend, à mon humble avis, trop de poupées de ce genre. Et lesdites poupées n’ont même pas l’excuse d’être aussi séduisantes que celle de M. Polnareff, hélas.

Pour ne prendre qu’un exemple, nous devions voter au mois de juin sur une loi visant à encourager la transition énergétique vers des ressources non fossiles. La majorité des partis gouvernementaux (en fait, tous sauf un) ont collaboré pour élaborer ce texte qui n’a d’ailleurs rien d’une loi traditionnelle, dans ce qu’elle peut représenter de contraignant, puisqu’il n’impose pratiquement rien, mais il se contente d’inciter. Mais la poupée citée plus haut s’est entêtée à faire « non », à croire, comme le suggère le chanteur, qu’on ne lui a jamais appris à dire « oui ».

Une explication de ce refus a été donnée par le plus haut représentant de la poupée en question, un certain M. l’Eglise : cela coûterait trop cher, selon un complexe calcul proposé à nos sagacités. Le calcul en question utilise systématiquement les hypothèses les plus pessimistes pour les énergies renouvelables, et les plus optimistes pour un statu quo. Par exemple, l’acceptation de l’initiative aurait soi-disant pour conséquence de forcer le remplacement de toutes les chaudières de chauffage par des pompes à chaleur (PAC) en Suisse, alors que dans le cas du statu quo, ce remplacement n’aurait pas lieu d’être. On passe joyeusement outre le fait qu’à terme, toute chaudière doit être remplacée, et que par ailleurs, nombre d’installations individuelles fonctionnent déjà sur la base de PAC (qui devront, il est vrai, être remplacées tôt ou tard, mais indépendamment de la loi en question). Quant aux pénuries d’électricité que nous promet la poupée qui fait non, il est prévu d’importer une proportion substantielle de l’électricité nécessaire; mais il est vrai que depuis que cette même poupée a contribué de manière significative au rejet de l’accord-cadre avec l’Union Européenne, cela puisse s’avérer plus difficile que prévu à l’origine.

Mais c’est surtout et principalement passer complètement sous silence les frais causés par le dérèglement climatique. Les dégâts occasionnés touchent pourtant en premier lieu l’agriculture, une partie de la population dont se réclame la poupée en question, même si les paysans constituent probablement le cadet de ses soucis. En une période où l’Emilie Romagne, une province italienne à quelques cinq heures de voiture de la Suisse, est sinistrée par la tropicalisation du climat, ne pas faire mention de ces dégâts dans le calcul constitue une attitude méprisante pour nos voisins. Mais la poupée a des excuses : d’abord cela se passe à l’étranger, donc on s’en fout un peu (beaucoup, passionnément); ensuite, rien ne prouve que cette catastrophe soit due aux énergies fossiles. Et puis, ce sont les Italiens qui vont payer, pas les Suisses, donc tout va bien; je suppose qu’on importera les tomates chez Mohammed Ben Salmek : il paraît que là-bas, en Arabie Saoudite, on les cultive sous serres climatisées, et cela fait accessoirement du bien au portefeuille de certains actionnaires ayant investi dans le pétrole… A commencer par le ministre de l’Energie en exercice, M. Ölbert de la Galette-Patate, accessoirement ex-président de la poupée en question.

Ah oui, il y avait aussi La Chaux-de-Fonds, et la vague de canicule d’août qui pourrait en annoncer d’autres. Mais bon, la Chaux-de-Fonds, c’est en Suisse Romande, donc c’est moins grave; et le futur, on s’en fout aussi, du moment que c’est après les prochaines élections.

Heureusement, le projet de loi a passé la rampe malgré la poupée. Mais ce n’est qu’une toute petite victoire ! De nouveaux combats négatifs sont déjà proposés par cette élite politique suisse ! Il y a eu récemment, par exemple, pas mal de pronostics météo qui se sont avérés par la suite trop pessimistes. Une belle opportunité pour la poupée de dénoncer un discours alarmiste et de réitérer son opposition aux mesures de transition énergétique. Et, au passage, de mettre en doute la responsabilité humaine dans le changement climatique, en l’attribuant à une obscure manœuvre politique de la gauche abhorrée. M. Nid de Guerres, rhétoricien francophone hors pair de la poupée, l’a d’ailleurs clamé fort clairement, à son habitude (je cite en substance) : on qualifie de scientifique ce qui arrange le discours gauchisant. Il a souligné ses dires de son habituel sourire condescendant, un peu méprisant. Personne n’a songé à lui rétorquer que « traiter par le mépris les conclusions scientifiques représente une attitude irresponsable« ; d’ailleurs, il avait probablement une parade toute prête dans son escarcelle, escarcelle qu’il partage volontiers avec un collègue alémanique, un certain M, Queue de Pelle, poutinophile convaincu, rédacteur en chef d’une feuille de chou qui se veut observatrice du monde. Avec les affirmations récentes de l’ancien président de la République Française Nicolas Vladimirovitch Sarkozine, on se demande d’où vient cette poutinomania apparemment contagieuse qui gagne certaines de nos élites, par ailleurs souvent auto-proclamées. Ont-ils tous un compte en banque ouvert chez Vladimir, à l’instar de Marine Le Pénisse ?

Et il y a bien sûr le traitement à réserver aux réfugiés. M. l’Eglise a été très clair à ce sujet. On veut pouvoir choisir ceux qui entrent, et rejeter ceux dont on ne veut pas. En clair, un médecin blanc est plus susceptible de passer la douane à Chiasso au volant de sa Cayenne, qu’un adolescent bronzé crève-la-faim échappé d’un naufrage en Méditerranée, et ayant survécu à la traversée du Sahara, et de surcroît ne parlant que trois mots d’anglais. Non aux réfugiés, Punkt Schluss Basta Un point c’est tout ! J’ai eu un étudiant il y a quelques années (oui, au pluriel, années !) qui était un fils de réfugié du Sahel. Son père était technicien de surface, comme on dit actuellement, et le fils bricolait à gauche et à droite pour soulager sa famille et payer ses études. Accéder à des études supérieures, sous la menace d’une expulsion possible à ce moment-là, avait déjà dû constituer un exploit pour ce jeune qui avait oublié d’être stupide; mais en plus, sans être génial, il était intelligent, et surtout, il savait où il voulait arriver. Il a eu son diplôme et je l’ai reconnu récemment sur Linked In; il occupe un poste à responsabilités chez un grand opérateur de télécommunications en Suisse. Avec la proposition de M. l’Eglise, son père ne serait jamais entré en Suisse… Mais la poupée ne voit pas plus loin que les élections, alors une génération, vous pensez !

Je propose que l’on nomme désormais la poupée en question « Union Démagogique de la Contradiction » (Mais peut-être avez-vous mieux ?). Pour les gens qui représentent la poupée (en tous cas en Suisse francophone) cela ne changera pas grand-chose. Et ce sera peut-être plus clair pour les pauvres citoyens que nous sommes. Quoi que…

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Déprime

C’est une petite ville qu’André Franquin eût baptisé Moche-les-Grands-Clapiers, s’il était passé par là. Parmi les rues ennuyeuses à force d’être perpendiculaires les unes aux autres s’inscrit la rue de la Grisaille; ne la cherchez pas, celle que vous trouverez éventuellement n’est pas la même. Celle dont je parle se situe à une dizaine de minutes de route du Cimetière, mais en est toute proche dans l’esprit.

Dans cette rue, en bordure de route, il y a une bâtisse relativement confortable d’aspect, où l’on a parqué des gens en fin de vie. Ce que l’on appelle un EMS en Suisse, ou un EHPAD en France toute proche, bien que des esprits torturés puissent vous expliquer longuement une différence administrative que vous ne comprendrez probablement pas. Le personnel est accueillant, même en ce dimanche trop chaud, menacé d’un orage qui ne veut pas se déclarer. La cafétéria lumineuse sert de réfectoire aux rares résidents qui reçoivent des visites, ou à ceux qui ont encore suffisamment d’énergie pour faire l’effort d’emprunter l’ascenseur entre leur chambre et la cafétéria. Les assiettes contiennent de la langue de bœuf sauce aux câpres avec des côtes de bettes et des nouilles; tout a un peu la même couleur, et la même absence de goût. Les sourires et la sensible empathie du personnel ne parviennent pas à épicer aussi peu que ce soit le repas insipide, pas plus que le verre de vin médiocre commandé pour « faire dimanche ». Un dessert dont la couleur fleure bon le colorant alimentaire E129 étale son hyperglycémie sur une assiette moyennement appétissante. Un café trop allongé complète le menu pour les convives qui parviennent encore à s’alimenter à peu près normalement; du moins comprend il des morceaux de sucre qui permettent d’exhausser le goût de l’ensemble.

Une terrasse est adossée au trottoir qui longe la rue de la Grisaille; elle permet, en semaine et en fin de journée, de jouir du spectacle des frontaliers empêtrés dans de sempiternels bouchons occasionnés par la frontière à un gros kilomètre de là; il y a aussi une petite cour qui devrait permettre de prendre l’air au calme, mais elle est déserte, car coincée à l’Ouest entre un mur gris qui soutient un talus raide au sommet duquel court la voie de chemin de fer, au Nord par le versant Sud du bâtiment, et au Sud-Est par l’omniprésente rue de la Grisaille qui mène à la gare du chemin de fer. La rue est raide, trop raide pour permettre à des personnes diminuées d’en envisager l’ascension en chaise roulante. Une évasion en chemin de fer est donc peu envisageable. Un vieux barbecue laisse à penser que des festivités extérieures sont envisageables, mais l’état du foyer semble indiquer que la dernière utilisation n’est guère récente.

Dans les étages « résidentiels », des personnes en chaise roulante effectuent, le regard rivé au sol, une promenade lente mais qui semble perpétuelle le long du couloir reliant le Nord et le Sud de l’étage. Interroger ces personnes n’a pour effet qu’un long regard aveugle à force d’incompréhension. Les plus alertes échangent machinalement des opinions sur le programme qui passe sur le téléviseur dont ils entendent mal le son réglé trop bas, programme dont ils ont depuis quelque temps déjà oublié le sujet. Ceux qui ne peuvent plus quitter leur lit sont invisibles, cloîtrés dans la solitude d’une chambre devenue antichambre de leur cercueil, et dont la seule activité réside dans la satisfaction des besoins les plus élémentaires que le personnel prévenant tente de garantir au mieux de ses possibilités.

Les baies vitrées et les terrasses offrent une vue peu enthousiasmante sur des immeubles gris, en partie délabrés bien qu’apparemment habités, longeant le rue de la Grisaille. Au loin, on devine des champs, des vaches, des forêts, enfin autre chose. Mais cela semble si lointain, tellement inaccessible, surtout pour des yeux qui ont perdu l’habitude d’accommoder au loin…

Ce n’est pas que l’établissement soit désagréable; il est plutôt bien tenu, rendu presque pimpant grâce aux efforts du personnel d’encadrement. Mais le décor qui lui sert de cadre ne laisse que peu de place à l’espoir, aussi ténu soit-il.

Depuis que je fréquente (à l’insu de mon plein gré) cet établissement, à titre de visiteur fort heureusement, j’essaie désespérément d’imaginer une stratégie infaillible pour ne pas y finir comme résident.

Mais, hormis la mort, je ne trouve pas. Et cela me déprime…

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Conte russe

Evgueni Poderenkov était dans sa chambre d’hôtel à Moscou, pas très loin du Kremlin, en train de s’allumer une dernière cigarette avant de dormir. Il craqua une allumette pour ce faire, et apprécia la première bouffée de fumée. Sa cigarette terminée, il alla se coucher. Il ne remarqua pas que l’allumette avait projeté une particule incandescente sur le tapis, et que celui-ci commençait doucement à brûler, comme un simple rougeoiement tout d’abord, qui s’étendit lentement jusqu’à former une tache. Au milieu de la nuit, un courant d’air attisa la flamme, et le rougeoiment devint une flamme qui ne parvint pourtant pas à réveiller Evgueni Poderenkov. Ce ne fut que lorsque la braise se fut muée en véritable feu que Evgueni Poderenkov fut tiré de son sommeil, suffoquant du fait de la fumée. Il tenta maladroitement d’éteindre le sinistre, mais devant l’inanité de ses efforts, il sortit de sa chambre en pyjama et donna l’alarme dans l’hôtel.

Le personnel mit quelque temps à réagir, laissant ainsi au tapis en flammes l’opportunité de devenir incendie. Un incendie suffisamment important pour que les modestes extincteurs du personnel de l’hôtel, enfin réveillés, s’avèrent inefficaces, Le feu se propagea rapidement dans les étages dépourvus de protections pare-feu. Les pompiers, avertis trop tard, arrivèrent quand l’hôtel était déjà en flammes; ils ne purent qu’essayer de protéger les bâtiments avoisinants contre la propagation du brasier.

Ils ne furent en revanche pas en mesure d’empêcher le feu de se propager aux conduites de gaz du quartier; les conduites n’étaient pas de la première jeunesse, et les vannes de sécurité destinées à éviter la propagation du feu dans le circuit d’alimentation n’étaient pas toutes entièrement fonctionnelles. De plus, de nombreux établissements avaient, à l’époque des restrictions d’énergie après la chute de l’URSS, constitué des réserves de gaz clandestines dans des réservoirs moyennement sécurisés, si bien que les conséquences s’avérèrent désastreuses. Le quartier tout entier explosa, et le nuage de poussière fut visible loin à la ronde, arborant une forme de champignon bien connue et redoutée.

Le commandant en chef des armées était exceptionnellement à Moscou cette nuit-là, où il avait passé la soirée en compagnie du ministre de la Défense pour une soirée de travail qui s’était prolongée tard dans la nuit, et avait nécessité beaucoup de vodka pour soutenir la réflexion. Le commandant avait, en guise d’expérience du combat, le souvenir de films d’archives à la gloire de l’armée rouge lors de la Deuxième Guerre Mondiale, ainsi qu’une connaissance approfondie du contenu des réserves du bar servant de mess aux officiers supérieurs supervisant l’opération militaire spéciale en Ukraine. Le serviteur de l’Etat quant à lui, avait trouvé son portefeuille de ministre dans le slip de sa jeune sœur qu’il avait présenté à un moment opportun au président de la Sainte Russie. Ils étaient dans un hôtel en bordure de la zone de déflagration, et leurs compétences réunies permirent aux deux personnages de conclure à une attaque ennemie; alors que le commandant penchait pour une attaque venant d’Ukraine, le ministre penchait plutôt pour une attaque venant de l’OTAN, vu le caractère sans doute nucléaire d’un missile capable d’occasionner une telle déflagration. Comme ni l’un ni l’autre n’avaient jamais assisté à l’explosion d’une bombe atomique (sauf dans des films d’archives ennuyeux et mal filmés, souvent même en noir et blanc), et n’avait que rarement assisté à l’explosion d’une bombe conventionnelle (même s’ils étaient à l’origine de nombre d’explosions de ce genre, mais c’était sur les têtes de civils de la partie adverse, alors c’est moins grave, n’est-ce pas ?), être soudain confronté à une grosse explosion leur faisait songer spontanément au pire. D’autant que les miasmes de la vodka de la soirée précédente ne tendaient pas à améliorer les capacités de discernement de ces deux hauts fonctionnaires. Les offices chargés de la défense n’avaient rien vu venir, et les rapports de police faisant état d’un incendie suivi d’une explosion de gaz furent balayés (les flics sont notoirement incompétents, c’est bien connu), et on avertit finalement le chef de l’Etat d’une probable attaque (peut-être nucléaire) de la Mère Patrie par les troupes de l’OTAN. Le président, en repos dans sa modeste datcha au bord de la Mer Noire, après avoir longuement écouté les explications de ses deux hauts fonctionnaires, décida de rentrer immédiatement à Moscou, et donna l’ordre, au moyen d’une procédure simplifiée qu’il avait lui-même mise sur pied aux débuts de l’opération militaire spéciale, de lancer deux missiles tactiques à ogive nucléaire sur Kiev et sur la base de l’OTAN la plus proche, en Pologne. Il précéda ces tirs d’une annonce sur la télévision d’Etat, mais ne prit pas contact avec les forces armées adverses, puisque ces dernières avaient selon toute probabilité utilisé l’arme nucléaire sans avertissement préalable, au mépris des conventions. Conventions qui par ailleurs étaient commodes quand elles pouvaient servir vos propres arguments, mais sources d’ennuis (et donc à balayer) en toute autre circonstance.

C’est ainsi que la Russie entra en guerre nucléaire avec l’OTAN. Dans la foulée, la Corée du Nord déclara la guerre à la Corée du Sud et aux Etats-Unis, et la Chine fut contrainte de suivre le mouvement. La pollution générée par cette conflagration mondiale fit probablement davantage de morts que les explosions atomiques elles-mêmes, en dépit de la brièveté du conflit proprement dit. La planète Terre expérimenta un hiver nucléaire qui allait durer suffisamment longtemps pour que la civilisation ne soit plus jamais ce qu’elle avait été avant que Evgueni Poderenkov n’allume sa cigarette dans cet hôtel au centre de Moscou.

Moralité :


Ce conte est fortement inspiré d’une chanson de Mani Matter, « I han es Zündhölzli azündt« . Mani Matter est un chanteur, auteur et compositeur bernois très célèbre décédé en 1972, assez peu connu dans les pays francophones en raison de sa volonté de s’exprimer en dialecte bernois (Bärndutsch). Stephan Eicher a repris une chanson de son répertoire (« Hemmige« ) pour lui rendre un hommage mille fois mérité.


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Highway to Hell

Je me suis réveillé l’autre matin sur les accords rugueux de ce morceau de hard rock mythique du groupe AC/DC. Un des tout meilleurs morceaux de hard rock de l’histoire, à mon humble avis, avec des « Smoke on the Water » de Deep Purple ou certains tubes de Led Zeppelin. A six heures du matin, ça réveille et ça met de l’ambiance. Mais c’est vrai que dans le cas de AC/DC, c’est une ambiance un peu apocalyptique…

Je dois avoir quelques dizaines de blogs esquissés dans le répertoire « brouillons » de mon site web. Ils n’ont pas été publiés parce que :

  • Ils sont mauvais
  • J’ai déjà abondamment parlé de ce sujet auparavant
  • Ils ne sont pas drôles
  • J’ai l’impression de me prendre au sérieux
  • Un journaliste vient de dire exactement la même chose (mais en mieux)

L’actualité est assez désespérante par les temps qui courent. Quel que soit le sujet abordé, on a l’impression qu’on va plus ou moins rapidement dans le mur. On est averti, il y a plein de signaux qui nous disent « stop!« , mais on continue; c’est un peu la thématique de « Highway to Hell ». « Pas de limitations, on se fout des interdictions, des risques, on veut la vie facile, tant pis si on en crève, c’est l’autoroute vers l’enfer ».

Qu’on en juge :

Climat. Ce début de juillet 2023 nous rappelle très efficacement que les progrès en matière de réchauffement climatique sont quasi inexistants, n’en déplaise à d’incorrigibles optimistes (que j’admire d’ailleurs très sincèrement) comme M. Piccard. On essaie timidement de renoncer aux énergies fossiles, mais on aura besoin d’électricité. Beaucoup. Alors on compte par exemple sur l’hydroélectrique, mais zut! les glaciers fondent et il n’y a plus d’eau. J’en passe et des meilleures que j’ai déjà mentionnées par le passé. « Highway to Hell…« 

Paix dans le monde. J’aimerais me réveiller un matin sans entendre parler de Poutine, de Progojine, d’Ukraine ou de Russie. Mais je suppose que le jour où cela arrivera, on sera en plein guerre civile au Sénégal ou que la Chine aura agressé Taïwan. « Highway to Hell…« 

Ultraconservateurs. Partout, les partis politiques ultraconservateurs gagnent de l’importance. Aux Etats-Unis d’Amérique, les Républicains ont oublié qu’ils avaient fondé l’Amérique moderne, non-esclavagiste, et sont désormais devenus (enfin, la majorité d’entre eux) un groupe de personnes rétrogrades, opposées à toute nouveauté ou ouverture sur le monde, plus près de ce qu’ils croient être Dieu que des femmes, surtout si ces dernières sont de couleur. En Suisse aussi, nous avons nos poupées qui disent non; c’est d’ailleurs le plus grand parti de Suisse, et comme il dit toujours non, rien n’évolue. « Highway to Hell…« 

Dictatures. On se disait dans les années 70-80 que le monde allait évoluer vers la démocratie, ce système inauguré probablement par les citoyens athéniens en 750 av J.C. (non, J.C ne signifie pas Jules César). Populariser les systèmes démocratiques était même l’un des objectifs affichés lors du déploiement d’Internet ! En réalité, les dictatures restent nombreuses, et les dictateurs ont appris à manipuler les systèmes d’information à leur bénéfice; les Etats-Unis d’Amérique ont d’ailleurs failli vivre un coup d’Etat instauré par leur propre président, le chimpanzé hypertrophié à poil roux appelé Trump. Mais ce n’est que partie remise, il se représentera, contre un Joe « Lagaffe » Biden, un défenseur de la démocratie âgé de 80 ans. La démocratie aura besoin d’un déambulateur, je le crains. « Highway to Hell…« 

Je passe sur la biodiversité, les inégalités sociales, et toute cette sorte de choses; c’est consternant et tout le monde connaît ces problèmes évoqués tous les jours dans le cadre des informations diffusées sur les médias traditionnels. C’est trop déprimant, à force d’être répété.

Voilà pourquoi mes blogs en sont resté à l’état de brouillon, ces derniers temps. Je n’ai plus trop envie de parler de choses sérieuses, mais je ne trouve pas grand-chose de drôle comme sujet de déconnades. Même le sport ne me fait plus sourire, entre les salaires (est-ce le terme approprié ?) délirants de M’Bappé, les performances surhumaines de Pogacar (au fait, y a-t-il encore quelqu’un pour prendre au sérieux Jonas Vingegaard ou autre cycliste qui se dit « propre » ?) ou les victoires algorithmiques de Djokovic qui doit probablement s’être fait greffer une IA (si c’est le cas, alors bravo pour l’équipe informatique : beau boulot !).

Dernière actualité, mais ce n’est pas non plus un scoop : je prends de l’âge, ou, dit plus crûment, je vieillis. « On va pas vers le beau« , comme disent certains de mes amis. C’est peut-être de là que vient mon pessimisme et mon discours grincheux de vieux con qui ne s’assume pas ? « Highway to Hell…« 

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L’école des médiocres

Le conseil fédéral en Suisse est formé de sept sages (ou considérés comme tels) qui président collégialement aux destinées du pays. Enfin, c’est l’idée générale. Sauf que le terme « collégial » implique généralement une certaine collaboration, un apport mutuel fondé sur la complémentarité et une saine et constructive émulation, et que ce n’est guère l’impression qui se dégage de cet aréopage ces derniers temps.

On aurait pu espérer que le départ à la retraite du peu collégial ministre des Finances Ueli Maurer améliorerait l’entente entre les différents ministres, mais à vrai dire, ce n’est pas vraiment évident. Ce ministre des Finances (qui se passionnait à vrai dire davantage pour les sonneurs de cloches qu’il fréquentait affublé d’un T-shirt ridicule) était en exercice depuis 2016 (il avait auparavant dirigé le département militaire entre 2009 et 2015); il a de ce fait eu le temps de suivre pas à pas la déchéance du Crédit Suisse qu’il était censé surveiller au travers de l’autorité de surveillance des marchés financiers (FINMA). Il a d’ailleurs probablement suivi de près cette déconfiture, suffisamment en tous cas pour juger en septembre 2022 qu’il était temps de partir à la retraite et de refiler la patate chaude à son successeur. Courage, fuyons ! C’est madame Karin Keller-Suter qui a eu le privilège d’improviser avec les cadavres découverts (ou redécouverts) dans le placard, et de fusionner deux dinosaures pour constituer un monstrosaure dont tout le monde se demande pendant combien de temps il restera viable, et à quel prix.

Bien que l’on ne puisse guère me suspecter d’admiration pour le peu regretté Ministre des Finances, force est de constater qu’il n’est hélas pas le seul à afficher une attitude pour le moins passive face aux évènements qui secouent la période actuelle. Aussi lentement que possible, et moins vite que nécessaire, pourrait-on dire pour parodier le Ministre de l’Intérieur.

Parce qu’il y a aussi Poutine, bien sûr, qui incite certains à poser la question de la neutralité suisse ! Et pourtant, c’est si bien la neutralité : on ne se fâche avec personne, on fait des affaires avec tout le monde, et les guerres permettent de s’enrichir ! On en veut pour preuve la Deuxième Guerre Mondiale, où on était copains avec tout le monde et où on a fait des bénéfices avant, pendant et après le conflit. En fait, surtout pendant. Alors on ne va pas trop se dépêcher de vouer aux gémonies l’agression de Poutine, non ? D’aucuns diront que la neutralité permet à la Suisse de jouer un important rôle de médiation; mais ce n’est pas très convaincant. Depuis 2006, la Suisse joue le rôle de représentation des Etats-Unis envers l’Iran; l’actualité montre que le régime des mollahs n’a pas beaucoup évolué depuis; et il semble même que cette représentation soit moyennement appréciée par le gouvernement américain… Cela permet au moins à l’ambassadrice de Suisse à Téhéran de s’afficher avec son plus beau tchador, au mépris des femmes iraniennes qui se battent pour s’en débarrasser.

Nombre de pays européens fustigent la Suisse qui interdit la réexportation d’armes; il est difficile de ne pas leur donner en partie raison lorsqu’il leur semble absurde de fabriquer et d’exporter des armes que l’on n’a pas le droit d’utiliser : tant qu’à faire, autant ne pas exporter d’armes du tout, le discours sera plus cohérent. Et puis allons jusqu’au bout du raisonnement, ne fabriquons pas d’armes, et la question ne se posera plus, et même M. Jean-Luc Addor n’aura plus d’objections à faire valoir (ce qui serait, soit dit au passage, dramatique pour l’ego de cet ancien militaire).

Les Helvètes ont pris l’habitude de la situation confortable dans laquelle ils sont protégés par leurs voisins européens, profitant de leurs infrastructures et de leur marché, mais n’en font pas partie, ce qui au passage leur évite de devoir se plier à certaines règles en vigueur dans l’Union Européenne. Ainsi, un sondage récent montre que les citoyens suisses continuent à se bercer de l’illusion qu’ils pourront continuer à vivre dans le monde des accords bilatéraux, même si l’UE a clairement dit que ces accords tomberaient en désuétude et devaient être remplacés par un accord-cadre dont ls premiers travaux datent de 2008. Accord-cadre dont une première version a été déchirée en 2021 par le Conseil Fédéral (sous l’impulsion de l’UDC et de l’USS, frères ennemis unis par des forces négatives), et dont aucune nouvelle version n’est mise en chantier jusqu’à maintenant. Il aura fallu une initiative privée pour que M. Maros Sefcovic, vice-président de la Commission européenne soit convié en Suisse; coïncidence sans doute, on nous annonce la reprise des négociations avec l’UE pour le mois de juin courant !

Gouverner, c’est réagir aux évènements quand on ne peut vraiment plus faire autrement. (Le Conseil Fédéral de la Suisse, quelque part au vingt-et-unième siècle)

Dernière manifestation du niveau minable de la politique en Suisse : la gauche vaudoise (socialistes et verts) qui attaque une adversaire politique sur des vétilles fiscales, faute de disposer d’un projet susceptible de mobiliser un électorat depuis trop longtemps lassé par la morosité du discours politique purement électoraliste et désespérément vide qu’on lui propose. A court d’idées, on attaque des personnes… Si au moins la critique s’adressait aux compétences professionnelles, mais non, c’est des à-côtés anecdotiques qui sont mis en exergue pour tenter de faire tomber une personne par ailleurs légitimement élue par le peuple censé être souverain (même si le souverain peut aussi se tromper parfois). Notons au passage que sa fraude fiscale supposée s’élève à quelque CHF 175.-, alors que l’expertise qui a permis d’établir ce fait a dû se chiffrer en pas mal de milliers de francs pour le contribuable vaudois !

J’espère que l’on a touché le fond, là, parce que plus médiocre que cela, j’ai de la peine à concevoir. Mais je suppose que l’un ou l’autre politicien de renom ne tardera pas à me détromper. M. Nydegger, peut-être ? Sa dialectique de qualité, sa rhétorique brillante et ses réparties bien huilées par sa profession d’avocat dissimulent très efficacement une absence de vision consternante : ne rien changer, restons cachés, les étrangers sont le danger, l’Europe est toxique, etc…

La scène politique suisse est devenue un conglomérat de personnes majoritairement médiocres. On ne se préoccupe pas de l’avenir (ca fait peur, l’écologie, la guerre, tout ça), mais juste du présent; nos enfants ? Bôf, ils se débrouilleront, on verra ça en temps utile, d’ici là on trouvera des solutions. Des projets ? Pourquoi faire, on est bien comme ça, non ?

Lorsque j’exerçais encore comme enseignant, et que j’encourageais mes étudiants à entreprendre, je leur expliquais systématiquement qu’il ne faut jamais craindre l’échec d’une entreprise : le seul moyen de ne pas risquer l’échec est de ne rien entreprendre; et les Américains (que je n’admire pas forcément) ont cette qualité de considérer que quelqu’un qui a entrepris quelque chose et s’est planté a appris de son échec; en Suisse, on tend plutôt à le traiter de loser. Du coup, ce sont ceux qui n’entreprennent rien (et qui donc ne courent pas le risque de se tromper), qui sont promus aux postes à responsabilité. Ceci favorise peut-être la stabilité dans une certaine mesure, mais quelle école de la médiocrité !

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L’anorak à mon pote

C’était il y a bien longtemps, lorsque je pouvais encore escalader des montagnes skis et peaux de phoque aux pieds, en compagnie d’amis enthousiastes. L’un de ceux-ci, en compagnie duquel j’ai vécu bien des aventures palpitantes et heureuses sur les sommets, possédait un anorak tout à fait remarquable. Il avait dû l’acquérir à l’époque de son adolescence, et le portait encore la quarantaine passée. Il avait été rouge à l’origine (du moins on le suppose), mais les rayons ultraviolets lui avaient conféré une teinte délavée tendant vers l’indéfinissable. Et surtout, il avait été maintes fois reprisé, raccommodé, réparé, rafistolé et recousu, si bien qu’il n’y avait plus guère de tissu d’origine sur cette vénérable pièce vestimentaire; mais mon pote tenait fermement à cet anorak, et je suppose que s’en séparer dut constituer pour mon ami un déchirement traumatisant. Lui seul pourrait décrire le drame qu’il a vraisemblablement vécu le jour où il n’a plus trouvé personne pour repriser la déchirure du raccommodage d’il y a trois ans, lui-même consécutif à une couture réparatrice antérieure ayant subitement lâché.

Je repense très souvent à « l’anorak à mon pote« . En fait, j’y repense chaque fois que j’utilise du matériel informatique ou téléinformatique, c’est-à-dire plusieurs fois par jour. En effet, les logiciels qui forment l’infrastructure de base de notre société numérique sont très semblables à l’anorak en question, et probablement nettement plus décrépits. Permettez moi de m’expliquer brièvement :

La transmission d’informations est basée sur le protocole IP (Internet Protocol) dont les prémisses datent de 1972, et la première version publiée (la version 4) de 1981. Dans le courant des années 1990 fut définie la version 6 (IPv6), mais actuellement encore les deux versions coexistent, et ce sont les anciennes adresses qui sont le plus utilisées. Chose intéressante, IP fut défini à l’origine pour le transfert asynchrone de paquets de données entre ordinateurs, mais est actuellement très largement utilisé pour la transmission de données synchrones comme la voix ou le streaming de vidéos; ceci n’est possible qu’en surdimensionnant largement le réseau de transmission pour minimiser les différences de temps de propagation entre les divers paquets, et en introduisant des mécanismes de compensation des écarts de temps de propagation à la réception de l’information. Certaines applications maîtrisant plus ou moins bien la compensation des distorsions de propagation se caractérisent parfois par un parasitage excessif des conversations téléphoniques, comme What’s App par exemple, lorsque le débit est plutôt faible. C’est un peu comme si « l’anorak à mon pote » était utilisé comme robe de soirée; mais je ne crois pas que mon ami ait été aussi loin dans l’utilisation de son cher vêtement.

Windows (les versions que nous connaissons actuellement) est basé sur Windows NT, qui est lui-même une évolution de VMS de Digital Equipment Corporation, soit des racines architecturales qui remontent à 1977 ! Combien de corrections, de réécritures partielles de morceaux de code, d’ajouts de fonctionnalités et de corrections de bugs (pardon, de « software updates ») ont elles été nécessaires pour en arriver à l’actuel Windows 11 ? Mac OS de son côté est basé sur UNIX BSD (1977) et sur NeXTSTEP (1989, lui-même dérivé de UNIX BSD). Là aussi, on ne compte plus les corrections, adaptations, mises à niveau nécessaires pour conserver à des systèmes vieux de plus de 40 ans un minimum de crédibilité. Et ce n’est pas LINUX, un avatar de Minix, lui-même une version amaigrie (micro-noyau) de UNIX, qui va briller par ses caractéristiques novatrices.

A l’heure des rançongiciels, comment est-il possible que ces systèmes d’exploitation réputés modernes soient incapables de détecter et d’interrompre un programme en train d’encrypter quelques térabytes de données, mais en revanche vous demandent vingt fois si vous êtes sûr de vouloir effacer le fichier tmp12324.tmp ? C’est parce que les rançongiciels n’avaient pas été prévus dans les années 1970, et ajouter cette fonctionnalité demande des modifications structurelles importantes. La notion de fichier date également des années 1970, et on n’a jamais cherché à la remplacer par quelque chose de plus utile, qui permette par exemple aisément de retrouver un contenu alors qu’on a oublié sa localisation physique. Alors, pourquoi ne pas écrire un nouveau système d’exploitation, à l’instar de mon pote qui a dû se résoudre à acheter un nouvel anorak à l’époque ? La réponse est évidente : ça coûte cher et cela ne rapporte pas grand-chose; jusqu’au jour où il y aura un gros, gros souci, comme ce que j’avais évoqué dans mon élucubration Exploit, ou comme ce qu’ont imaginé Philippe Monnin et Solange Ghernaouti dans leur roman « OFF« .

En attendant, c’est vrai que l’explorateur de fichiers ouvert sur mon écran dont le fond représente le Bryce Canyon enneigé au lever du soleil a de la gueule. « L’anorak à mon pote » ne peut pas rivaliser du point de vue esthétique, je crains. Mais du point de vue raccommodages et bidouillages, même tout à la fin de son existence, il était moins décrépit que nos systèmes informatiques. Beaucoup moins. Enfin bon, puisque vous lisez ceci, c’est que cela marche encore. Comme « l’anorak à mon pote » à l’époque…

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Ski, Snow and Sun

Depuis plusieurs années, j’ai l’habitude de skier quelques jours dans le Lötschental, cette vallée valaisanne atypique, rive droite du Rhône. La petite station de Lauchernalp propose peu de pistes, mais quelques très belles descentes, et un point culminant à plus de 3000 mètres, ce qui semblerait garantir un enneigement d’une qualité raisonnable.

La vallée n’est pas un haut-lieu du ski, et n’est pas non plus très touristique, mais il y a quelques hôtels confortables, et l’une ou l’autre table qui permettent de déguster les produits locaux avec tout le soin que peut apporter un cuisinier avisé. Le restaurant de l’hôtel Nest- und Bietschorn mériterait, à ce point de vue, le déplacement à lui seul. Mais si Lauchernalp ne peut se comparer à Verbier ou à Courchevel, le domaine skiable est intéressant, propose des options de hors-piste variées (dont certaines vraiment somptueuses), et offre des points de vue rares sur les Alpes Valaisannes. Le panorama ci-dessous va des Mischabel au Mont Blanc, et comprend les principaux sommets des Alpes Pennines, dont le Mont Rose, le Cervin, la Dent Blanche et le Grand Combin.

Panorama du Hockenhorngrat, 2018

Ce panorama avait été composé en 2018, lors d’une visite sur les pistes de Lauchernalp avec des amis. On pouvait alors admirer cette vue depuis un promontoire facilement accessible depuis le sommet des pistes de la station; une table d’orientation permettait aux intéressés de se repérer dans la multitude de sommets proposés par le point de vue.

J’ai passé quelques jours (trop peu, hélas) dans cette vallée en février de cette année. Première surprise en montant en télécabine, malgré un enneigement certes parcimonieux, mais tout à fait suffisant et de bonne qualité, la piste noire, la plus intéressante pour les skieurs expérimentés, est fermée (bien que de nombreuses traces semblent démontrer que braver l’interdiction n’est pas absolument impossible). Arrivé au sommet, à plus de 3000 mètres, je m’apprête à gagner le fameux point de vue (un must, en ce qui me concerne, à chaque visite sur ces pistes), mais je me rends compte que l’accès n’est pas préparé, et qu’il faudrait en principe traverser hors piste, dans une pente raide entre des rochers, puis remonter vers le point de vue (alors qu’il y a une année, on gagnait facilement le point de vue par un schuss sur une piste bien damée). Une autre option serait de remonter à pied vers une arête que l’on pourrait ensuite suivre à la descente jusque vers le point de vue. Rien de très pratique, en résumé !

Le soir, entre deux plats, j’interroge le patron de l’hôtel qui me renseigne : le sommet des pistes est situé sur un glacier vestigial (le Milibachgletscher) qui a perdu 6 mètres de son épaisseur au cours du chaud été 2022. Comme il ne restait déjà plus grand-chose, ces six mètres ont suffi à dégager nombre de rochers qui rendent le travail nécessaire à l’accès au point de vue par les dameuses aléatoire, voire impossible, et par conséquent rend très malaisé cet accès aux skieurs. Accessoirement, la piste noire qui était située sur la branche inférieure de ce glacier a perdu son socle de glace, et dépend désormais de l’enneigement saisonnier pour sa préparation.

Cette évolution est logique, au vu du réchauffement climatique, et illustre si besoin était le péril dans lequel se trouve actuellement la pratique du ski : pendant combien de temps pourra-t-on encore skier ? Et comme on le voit à la lumière de l’exemple que je viens de décrire, même les sites en haute altitude voient les possibilités se dégrader rapidement.

Cette préoccupation touche également les professionnels du ski, qui demandent aux organisateurs de compétitions de sports d’hiver plus d’efforts environnementaux, en évitant des déplacements inutiles entre l’Europe et les Etats-Unis, par exemple, ou en choisissant des dates plus raisonnables que la mi-novembre pour des épreuves. La demande est raisonnable, mais un peu naïve, car personne ne demande aux organisateurs d’épreuves de courses automobiles de formule 1 d’alléger les déplacements entre les épreuves, ceci montre toutefois que la préoccupation est réelle, alors même que l’Arabie Séoudite va organiser des Jeux Asiatiques d’Hiver en plein désert.

D’aucuns diront que je me préoccupe de petits détails de confort (en l’occurrence, admirer une vue exceptionnelle), alors même que des personnes meurent en grand nombre victimes de catastrophes naturelles ou -pire- de psychopathes sanguinaires et assassins. Ils ont raison, en principe. Mais je préciserai tout de même que ces « détails de confort » cachent une réalité qui pourrait dans un avenir pas très lointain faire beaucoup plus de victimes que les plus sanguinaires des dirigeants criminels que l’on sait.

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Qui c’est ?

… a pu se demander la grande championne de ski Mikaela Shiffrin après avoir été copieusement insultée, parfois de manière ordurière, suite à sa déconvenue aux Jeux Olympiques de Beijing en 2022. Des amabilités comme « tu supportes pas la pression »« tu as ce que tu mérites », « idiote de blonde »« prends ta retraite » et d’autres moins polies lui ont été adressées sur Twitter et Instagram, par exemple, par de courageux anonymes, protégés par les insuffisances sécuritaires des réseaux sociaux. Si ce genre de remarques peut s’avérer décourageant pour une grande championne et une célébrité, que dire des jeunes adolescents, pour qui le phénomène du cyber harcèlement peut s’avérer plus dommageable, voire parfois léthal? Remonter à la source de ces commentaires n’est jamais très simple, et peut s’avérer très compliqué et parfois même impossible. Pourquoi donc?


Les télécommunications ont connu un essor proprement invraisemblable depuis la fin de la deuxième guerre mondiale jusqu’à nos jours. Plus encore que l’informatique, les moyens de communication sont passés en quelques décennies de la transmission limitée de la voix aux transmissions multimédia à très haut débit que chacun utilise quotidiennement et parfois de manière abusive.

Les analogies ne sont pas forcément pertinentes, mais je me souviens que, dans les années 1980, j’effectuais mes paiements mensuels en utilisant un modem à 9600 bit/seconde sur une ligne téléphonique standard, avec une bande passante de 3.1 kHz. Beaucoup d’utilisateurs n’avaient que des modems à 1200 ou 2400 bit/seconde. Par contraste, je fais toujours actuellement mes paiements mensuels en utilisant des moyens téléinformatiques, mais les débits sont compris en 40 et 150 Mbit/seconde, soit grosso modo cent mille fois supérieurs. J’ajoute que je réside dans une région (littoral neuchâtelois) où les débits proposés sont corrects, sans être vraiment pharamineux, et que même si j’en éprouvais le besoin, je ne pourrais pas parvenir à des débits comparables à ce qu’expérimentent certains de mes amis mieux situés (région lausannoise, par exemple). Essayons simplement d’imaginer un progrès similaire pour l’automobile ou l’aviation : même la science-fiction n’a pas osé une telle extrapolation. Par quel miracle en est-on arrivé là ? Les progrès en traitement du signal et en microélectronique, diront les ingénieurs; la motivation de bénéfices de plus en plus juteux, rétorqueront les cadors de l’informatique mobile…

Par contraste, malgré les performances de nos réseaux de télécommunications, il semble qu’il devienne de plus en plus difficile d’en garantir un usage adéquat : failles sécuritaires, pourriels, messages non sollicités, rançongiciels, mobbing se disputent joyeusement l’utilisation des réseaux en relative impunité, grâce à un anonymat largement soutenu par les protocoles de communication sous-jacents. Pourquoi est-il donc si difficile de savoir qui est réellement à l’origine d’une information dans le monde Internet ?

Pour envisager une réponse à cette question justifiée, il faut comprendre comment s’est développé Internet, comment il est organisé, et cela impose quelques notions théoriques et historiques qui sembleront indigestes à certains : je ne leur en voudrai pas s’ils m’abandonnent en cours de route, promis !

A l’époque où j’étudiais les télécommunications à l’EPFL, Internet n’était qu’un projet (qui se nommait ARPANET, initié à l’origine par les militaires de DARPA) mené par quelques universités américaines. En 1976 (j’étais alors assistant à l’EPFL), j’avais passé quelque temps à l’université d’été à Lannion dans les Côtes d’Armor (France), au CNET, où étaient donnés des cours avancés en téléinformatique (on faisait à l’époque la distinction entre les communications entre humains et entre ordinateurs). Nous avions eu droit à un cours assez exhaustif sur ARPANET, et sur les travaux avancés de l’INRIA (qui s’appelait encore IRIA) qui cherchait à formaliser les développements récents en téléinformatique. C’est à cette occasion que j’eus une première description de la modélisation d’un système de communications, et un aperçu du modèle OSI dont la formalisation définitive intervint deux ans plus tard. OSI est l’abréviation de « Open Systems Interconnection », et désigne un modèle qui permet de séparer les fonctionnalités dans un système de télécommunications en « couches » matérielles ou logicielles, chacune remplissant certaines fonctionnalités nécessaires à la communication, de telle manière que l’implémentation d’une couche quelconque puisse être échangée contre une autre implémentation sans que la fonctionnalité de l’ensemble en soit impactée. En pratique, cela permet à votre navigateur Internet favori d’accéder de manière transparente à un site par le biais de votre réseau WiFi domestique ou depuis le train en utilisant votre smartphone comme passerelle de communication. Pour le navigateur, il n’y a aucune différence visible. Pour l’utilisateur, seule une éventuelle dégradation de la vitesse pourra indiquer le changement de média de transmission. Parallèlement à la communauté scientifique européenne, les universités américaines développèrent aussi un modèle de communications en couches, mais beaucoup plus simple, à la manière pragmatique des nord-américains.

L’image ci-dessous a été empruntée au site GURU99, mais on peut aussi consulter la référence sur Wikipédia pour obtenir un descriptif un peu plus exhaustif du modèle. A gauche, on a représenté le modèle OSI tel que défini en Europe, à droite, une correspondance avec le modèle américain; dans le modèle américain, la couche la plus basse (Network Interface) est souvent appelée MAC (Media Access Control), la couche Network est plus connue sous le nom de IP (Internet Protocol), et la couche Transport sous le nom de TCP (Transport Control Protocol).

Pour utiliser une analogie grossière, le problème est assez similaire au processus qui permet l’achat d’une livre de pain chez votre boulanger.

Physical layer : Pour communiquer avec le boulanger, vous utilisez votre organe phonatoire, l’air et vos oreilles. C’est le support physique de la transmission : fil, ondes électromagnétiques, fibre optique, relais satellite, etc…

Data Link Layer : Vous formez des sons qui assemblés, composent des phonèmes et des mots que le boulanger sera en mesure d’interpréter. C’est la segmentation en unités de transmission faciles à gérer et à contrôler.

Network Layer : Il s’agit d’identifier un interlocuteur susceptible de vous vendre du pain et de s’assurer que c’est bien lui qui vous écoute et vous sert. C’est la détermination de la destination et d’un chemin menant à celle-ci.

Transport Layer : Les différents phonèmes que vous avez générés forment une ou plusieurs phrases qui ensemble forment un message; genre : « Bonjour, je voudrais une livre de pain ».

Session Layer : L’ensemble des phrases émises par un requérant et des réponses du destinataire (chacune correspondant au résultat d’une opération de la couche Transport) forment une transaction; par exemple, le dialogue suivant :

  • Bonjour, je voudrais une livre de pain
  • Bonjour, voici votre pain, cela fait 2 Euros
  • Merci, voici 5 Euros
  • Merci je vous rends 3 Euros

Quel que soit le point dans lequel on interrompt cet échange, il y a une perte pour l’un des interlocuteurs; soit le pain n’est pas remis, soit il n’est pas payé, ou alors la monnaie n’est pas rendue : la couche session permet de s’assurer que les quatre messages sont tous transmis et reçus correctement dans l’ordre voulu.

Presentation Layer : Le dialogue ci-dessus pourrait se dérouler entre un client ne parlant que le chinois et un boulanger francophone, une tierce personne jouant les interprètes de fortune, ou les interlocuteurs utilisant des signes suffisamment expressifs ; le contenu sémantique et le résultat ne devraient pas changer pour autant.

Application Layer : Si vous utilisez une carte de crédit, ou avez une ardoise chez le boulanger, il faudra vous authentifier, implicitement ou explicitement, avec une identité (pièce d’identité ou ID électronique), la reconnaissance du boulanger ou un mot de passe.

Chose intéressante, pour acheter une livre de pain, il n’est pas nécessaire de connaître l’identité des protagonistes, sauf si le moyen de paiement le requiert. Si le moyen de paiement est anonyme (monnaie), alors le processus complet peut rester anonyme. Ceci correspond à l’expérience habituelle chez un boulanger chez qui l’on n’est pas forcément connu.

Nous vivons actuellement dans une galaxie régie par le modèle américain (TCP-IP), et il semble bien que cette situation soit appelée à perdurer encore quelque temps. Ceci implique que les couches supérieures (Session, Presentation et Application) ne font l’objet d’aucune définition ni d’implémentation standardisée. Chaque application est libre d’implémenter les services correspondants à sa guise. Les deux modèles ne sont en réalité pas si différents qu’on pourrait le penser de prime abord; simplement, les européens ont voulu modéliser l’ensemble du problème, alors que les nord-américains se sont contentés du problème de l’acheminement de bout en bout des éléments d’information. On l’a vu dans la modélisation précédente, la notion d’identification n’est prévue qu’au niveau de l’application; il s’ensuit, puisque nous sommes dans le modèle nord-américain, que rien n’est prévu dans le protocole de communication pour l’identification des utilisateurs.

Les deux modèles sont axés sur le problème d’ingénierie que représente l’acheminement fiable et sûr de l’information d’un point A à un point B en passant par un réseau arbitrairement complexe de relais de communication et de vecteurs de transmission hétérogènes. Cette problématique d’acheminement est en principe entièrement résolue au niveau Transport (OSI niveau 4, ou protocole TCP dans le modèle TCP-IP) : ce qui vient au-dessus concerne les applications et les utilisateurs. Il est intéressant de remarquer que l’acheminement ne fait aucun cas de l’identité des utilisateurs, sinon par une référence abstraite qui désigne le terminal utilisé (adresse IP ou numéro de téléphone, par exemple). C’est simplement que l’ingénieur n’a aucun besoin de cette identité, le terminal lui suffit amplement; si on désire restreindre l’accès à certains utilisateurs, ce n’est pas, au vu de l’ingénieur, un problème de télécommunications, mais le problème du terminal lui-même. Cela paraît logique et pertinent, mais cela a des conséquences que nous n’avons pas encore fini de subir.

La principale conséquence est que le réseau permet l’anonymat, sans toutefois le garantir. Il est possible, avec un minimum de précautions, de transmettre de l’information de manière raisonnablement anonyme à des personnes que l’on ne connaît pas forcément, simplement en détectant l’adresse d’un terminal auquel ils sont raccordés. Cela permet de protéger l’identité des personnes qui désirent critiquer le gouvernement sans finir leurs jours dans un quelconque goulag en Mongolie Inférieure, et c’est probablement, à ce point de vue, une assez bonne chose. Mais cela peut aussi protéger l’identité de certains harceleurs, ou diffuseurs de fausses nouvelles. Cela permet aussi à un utilisateur pas trop malhabile d’usurper l’identité de quelqu’un d’autre. C’est aussi la porte ouverte à la diffusion de pourriels ou à l’organisation d’arnaques plus ou moins sophistiquées, comme l’arnaque nigériane, par exemple, qui rapporterait, selon diverses sources, des centaines de millions de dollars annuellement aux utilisateurs malveillants (en Côte d’Ivoire, on les appelle des brouteurs).

Le réseau n’imposant pas l’identification des usagers, ce sont les applications qui doivent s’en charger; mais ce n’est pas simple : comment garantir que la personne qui ouvre un compte sur un site quelconque est bien celle qu’elle prétend être ? Ouvrir un faux compte sur Facebook n’est pas excessivement complexe et constitue un problème assez sérieux pour les opérateurs de sites de ce genre. Il en va de même pour le problème assez voisin qui est de vérifier que l’utilisateur d’une information le fait de bonne foi, et non pour nuire à la société : le CEO de META, Mark Zuckerberg, en sait quelque chose après le procès retentissant qu’il a perdu pour avoir permis l’exploitation de données par Cambridge Analytica. Exploitation qui a permis accessoirement à Donald Trump d’accéder au pouvoir, en tous cas, nombreux sont les experts qui le pensent. Ces mêmes mécanismes sont également utilisés pour la diffusion de fake news, qui foisonnent régulièrement en période électorale afin d’influer sur les électeurs en discréditant un candidat paraissant indésirable à un groupe industriel ou à un état malveillant. Si on ajoute à toutes ces opportunités de nuire impunément la gratuité des services de base (dont j’ai déjà parlé précédemment), Internet est un réel paradis pour les utilisateurs malveillants.

Il n’est pas certain qu’un accès au réseau authentifié permette d’éviter tous ces inconvénients; mais la fraude en serait à tout le moins rendue beaucoup plus complexe. Et certaines activités seraient du coup rendues plus sûres et plus faciles à réaliser.

Mais quels eussent été les prérequis, dans les années 1980, pour l’intégration de l’identité de la source dans les protocoles de communication ? Cela eût-il été possible ?

La réponse n’est pas forcément évidente à donner; il n’est d’ailleurs même pas certain que cela soit possible de nos jours. En prérequis, il est nécessaire de disposer d’une identité électronique. En 1975, cette exigence représentait techniquement une gageure; sa réalisation eût probablement retardé le déploiement d’Internet de plusieurs années : ni les connaissances théoriques (le chiffrement RSA, par exemple, date de 1983), ni les implémentations mathématiques, ni la puissance des processeurs n’étaient disponibles à l’époque. Actuellement, cette exigence serait vraisemblablement difficile à faire accepter aux utilisateurs, alors même qu’il semble compliqué de simplement définir une identité électronique fiable et ayant un caractère universel, même si techniquement, cela ne représente plus un problème insurmontable. De plus, comme il s’agit d’un prérequis global au niveau de la planète, on peut être raisonnablement certain que l’unanimité ne serait pas aisée à réaliser, et s’attendre à ce que nombre d’états s’opposent à une telle exigence.

Plus préoccupant, soumettre toute unité de communication à une identification électronique coûte très cher. Implémenter ceci au niveau IP (transmission de paquets élémentaires) implique une identification de l’utilisateur pour chaque paquet de données transmis, soit, techniquement, une redondance et un surcroît de traitement immense : il faut savoir que cette opération entraîne, dans l’état actuel de la technique, une algorithmique non triviale, impliquant de la cryptographie complexe. Implémenter l’identification au niveau 4 (Transport) serait certes moins lourd, mais outre le fait que nombre d’applications n’utilisent pas le niveau transport, il est des applications qui ne nécessitent pas d’identification, comme par exemple la consultation d’un horaire de chemin de fer, ou la lecture des prévisions du temps, voire encore la consultation de cet article. A quoi bon imposer une identification dans ces cas particuliers ?

On en conclut que le modèle OSI que nous avons très succinctement introduit plus haut n’est pas injustifié : l’identification des utilisateurs est un problème lié à l’application, pas à la communication. Nous n’avons en revanche pas adopté le modèle OSI, mais sa contrepartie américaine simplifiée. Il n’existe donc pas de « standard », ni au niveau de la définition, ni au niveau de l’implémentation, pour les trois couches supérieures du modèle, donc pour les services de Session, de Présentation et d’Application. Sans couche Application, pas de standard pour l’identification des utilisateurs, et c’est à chaque application d’implémenter sa propre cuisine en fonction de ses besoins. Ainsi, les banques en Suisse ont adopté pour la plupart un schéma basé sur un intelliphone qui sert aussi de dispositif d’acquisition pour les codes QR de facturation; les assurances, de leur côté ont opté pour un système basé sur un code dynamique, un TAN (Transaction Authentication Number) transmis par intelliphone. Mais ces deux acteurs n’ont qu’à identifier des utilisateurs connus, alors qu’un acteur comme Facebook doit aussi définir de nouveaux utilisateurs, et c’est le plus souvent à ce niveau que les fraudes apparaissent.

Pourquoi le modèle nord-américain, basé sur TCP-IP, s’est-il imposé ? Tout simplement parce qu’il avait l’avantage d’exister, et d’être déjà déployé au niveau de certains pays, en particulier aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, et une entreprise comme Cisco Systems avait pu déjà inonder certaines entreprises de routeurs IP bon marché; par contraste, les implémentations européennes basées sur le mode de transfert asynchrone ATM étaient loin de connaître un tel développement. En 1995, les fabricants d’ordinateurs portables avaient besoin d’un standard mécanique pour connecter les « laptops » au réseau informatique : ils ne désiraient pas devoir introduire des cartes réseau interchangeables, coûteuses et aux connecteurs fragiles. La norme de connecteurs RJ45 convenait parfaitement aux constructeurs comme HP, COMPAQ, Apple et autres qui favorisèrent en conséquence l’implantation des protocoles de la famille IP dans les administrations et les entreprises. Que ce soit pour des raisons économiques, ou par manque de clairvoyance, ou encore pour des raisons moins avouables, les politiciens européens ne tentèrent pas, à l’époque, d’influencer ces choix, ce qui provoqua, à terme, la ruine des télécommunications en Europe (Siemens, Ericsson, et surtout Nokia).

Refaire l’histoire n’a jamais amené grand-chose de positif, mais Internet eût-il été « meilleur » si un modèle à 7 couches fonctionnelles avait été introduit et implémenté ?

Une couche Session, au-dessus de TCP-IP, permettrait de garantir l’intégrité de toute transaction; ceci permettrait de remplacer, par exemple, les fameux cookies qui nous empoisonnent l’existence lors de la consultation de sites web, et accessoirement permettent un traçage de nos activités parfois à la limite du raisonnable.

Une couche Presentation, permettrait de normaliser la présentation de l’information à destination de personnes de langues différentes, ou présentant une déficience physique (malvoyance, incapacité d’utilisation d’un clavier, etc…)

Et la fameuse couche applicative permettrait, entre autres services, d’implémenter la notion d’identification, de manière unique et sécurisée. Dans le cas idéal, on pourrait même renoncer aux mots de passe, dans la mesure où une identité électronique universelle et fiable est disponible. Oui, bon : là, on est un peu dans le domaine de la science-fiction, car le problème n’est plus technique, mais politique et économique, voire un problème de société.

Malheureusement, il me semble peu probable qu’une telle évolution ait lieu dans un proche futur; on continuera encore longtemps à douter de l’identité réelle de l’expéditeur de ce courriel qui vous promet dix millions d’euros simplement en cliquant sur un lien proposé dans le corps du texte. Si des lois peuvent à court terme avoir un effet dissuasif sur certains, les vrais criminels continueront de sévir, certains de leur impunité.


Qui c’est ? C’est l’plombier, bien sûr, mais à l’instar du célèbre sketch de Fernand Raynaud, si Mikaela Shiffrin veut savoir qui est vraiment le plombier derrière la porte, elle va au-devant d’une longue procédure juridique et d’une enquête compliquée, sans garantie de succès.


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C’est plus de la photo !

Je discutais il y a quelque temps avec un ornithologue amateur chevronné, et plus généralement un passionné de vie animale avec lequel j’avais eu le privilège de parcourir le parc Krüger il y a quelques années; il m’expliquait qu’il avait arrêté de faire de la photo lorsque les appareils numériques étaient apparus. J’avais eu l’occasion de voir certaines de ses prises de vue argentiques, qui étaient de grande qualité, et lorsque je me suis permis de m’étonner de sa décision, il m’expliqua de manière fort péremptoire que : « La photo numérique, tu peux tout faire avec l’ordi, bidouiller comme tu veux, recadrer, retoucher, c’est plus de la photo ! Ca ne m’intéresse plus. »

Le ton était si catégorique que je n’ai pas insisté, comprenant que cela pourrait s’envenimer si je me mettais à argumenter différemment. Mais je n’en pense pas moins, et j’ai tout de même fait quelques photos qu’il n’a pas jugé bon de commenter de manière par trop négative. Il est vrai que je ne suis pas photographe animalier (si tant est qu’un amateur puisse se targuer du substantif « photographe », bien sûr) , et que lorsque je photographie un animal, c’est plus le contexte et le ressenti de l’image globale que la mise en évidence du sujet qui m’intéresse. Lorsqu’il faisait de la photo argentique, mon interlocuteur se focalisait sur le sujet, préparait son piège ou son affût longuement à l’avance, cassait les branchettes gênantes, préréglait son appareil éventuellement posé sur un trépied, et ensuite comptait sur ses réflexes et sa connaissance des habitudes de l’animal pour déclencher au moment le plus esthétique. Il avait une bobine de 36 vues 35mm, ou un rouleau de 200 vues chargé, et quand il avait exposé l’intégralité de sa pellicule, il devait opérer le changement, une manipulation non triviale dans un affût.

Par contraste, les photographes animaliers modernes utilisent des boîtiers qui sont de véritables usines à manipuler des pixels, qui font la mise au point quasi instantanément et sont capables de suivre le sujet en déplacement, même rapide. Ils peuvent opérer en rafale (jusqu’à 50 images par seconde, voire davantage), parfois en anticipant le déclenchement, et en prenant encore des vues après le déclenchement, ce qui permet de choisir l’instant optimal parmi plusieurs dizaines d’instantanés, à posteriori, tranquillement installé derrière son écran d’ordinateur, Si il y a une branche un peu gênante dans le cadre, il est possible de l’éliminer après coup à l’aide de logiciels spécialisés. Les cartes mémoire modernes peuvent accepter des milliers de prises de vues en haute définition, quand l’appareil photo ne se connecte pas à un disque portable (ou même au cloud) installé à l’abri et au chaud dans la poche du photographe ou dans un boîtier séparé. Ces nouvelles possibilités doivent elles être rejetées simplement parce qu’elles apportent un confort et des opportunités inconcevables avec le matériel d’antan ?

Il suffit d’écouter l’un des meilleurs photographes animaliers du moment, Vincent Munier. Lors d’une expédition en Arctique, où il a réussi quelques remarquables vues du loup arctique le photographe s’est rendu seul avec son matériel photo et son équipement de survie (une pulka et un sac lourd et volumineux) dans le désert gelé de l’Arctique et en est revenu, après un long séjour en autarcie, avec des dizaines de milliers de photos. Il raconte avoir, dans un moment privilégié, effectué 3000 prises de vues en à peine une heure ! Il est vrai que ce résultat est pratiquement impossible à obtenir avec du matériel argentique, sauf à utiliser de la pellicule cinéma et du matériel correspondant. Mais bon : « ce n’est plus de la photo« … Corollaire : le meilleur photographe animalier du moment n’est -du moins selon certains points de vue – pas un photographe.

C’est vrai que Vincent Munier « bidouille » probablement ses photos, à l’instar de la plupart des photographes utilisant du matériel numérique. Je ne connais pas ses techniques, mais je suppose qu’il aime, comme d’autres, accentuer les ambiances en jouant sur les contrastes et en estompant certains détails qui pourraient nuire à ce qu’il désire exprimer. Des logiciels comme Adobe Lightroom ou DxO Photolab excellent dans ce genre de tâches.

Thomas Delahaye, par exemple, a interprété une image de deux chamois (celle de gauche sur la vingt et unième ligne de la référence web) pour accentuer le caractère hivernal de leur habitat du moment.

Il a certainement dû, pour parvenir à ce degré de graphisme, gommer certains détails qui auraient pu troubler la lecture de cette photo, et jouer sur les contrastes pour obtenir l’effet graphique souhaité. C’est ce qui fait dire à mon ornithologue amateur que « Ce n’est plus de la photo ». Pourtant, pour ce qu’il me souvient de l’époque où je faisais des agrandissements dans ma salle de bains, il est aussi possible de « bidouiller » une prise de vues argentique en masquant certains détails lors de l’agrandissement; mais c’est vrai que c’est moins facile.

Peu importe, finalement : l’important, dans la photographie, à mon sens, est l’ensemble des choses que l’on communique à travers une prise de vues. Car photographier, cela peut être se fabriquer un souvenir, mais c’est surtout partager un instant -qui nous semble privilégié- avec d’autres. Dans cette optique, transmettre les émotions et les sentiments que la scène a inspirés au photographe est important, et s’il faut pour cela recadrer légèrement, ou accentuer quelque peu un contraste ou une saturation de couleurs, cela me paraît non seulement légitime, mais éminemment souhaitable. Et lorsqu’un nouvel outil permet de faire mieux, alors cet outil est justifié. Point barre.

En revanche, et là j’aurais tendance à abonder dans le sens de mon ornithologue amateur, de nombreuses applications permettent actuellement d’incruster des photos de personnages dans des scènes où ils ne figurent pas à l’origine; ceci a permis (et incitera de plus en plus dans le futur) à fabriquer de faux « témoignages », particulièrement difficiles à identifier comme tels . De longues années durant, une photographie a fait office de preuve juridiquement recevable; ce n’est plus le cas désormais. Mais ce n’est pas une utilisation qui me concerne personnellement; et ce n’est pas non plus un sujet de préoccupation de mon ornithologue amateur, à ma connaissance du moins.

Je persiste donc à retoucher -avec toute la parcimonie nécessaire – mes prises de vue dans l’optique d’une meilleure mise en évidence de l’impulsion qui m’a poussé à prendre la photographie. Je laisse ceux qui voient ces images juger si ma démarche est justifiée ou excessive. Et tant pis pour les pisse-froid qui voudraient me culpabiliser pour cela.

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