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Gloire et richesse

Pour beaucoup de nos contemporains, la gloire ou la richesse, voire les deux ensemble, car souvent liées, sont des objectifs de vie primordiaux. Toutes leurs vie sont conditionnées par une recherche du pouvoir, par le biais de la politique ou par le biais de l’économie, mais un peu curieusement, lorsqu’ils sont parvenus à leurs fins, ils continuent à se battre pour y demeurer en dépit de la logique élémentaire qui devrait les inciter à se consacrer à d’autres objectifs, les leurs ayant été atteints. C’est une tendance que l’on retrouve chez de nombreux êtres humains; même dans des domaines pourtant réservés aux plus jeunes, comme le sport : il y a plein de vieilles gloires qui tentent de s’accrocher à un passé plus glorieux. Nous vivons actuellement un exemple particulièrement sensible de ce genre d’attitude, puisque la plus grande puissance mondiale est dirigée par un président de 81 ans, et que l’un des principaux prétendants à sa succession est un jeune homme de 78 ans, qui a déjà été président et accessoirement grossier, machiste, vulgaire, menteur invétéré et probablement mafieux.

Ce n’est pas un phénomène nouveau; en 1997, Pierre Accoce et le Dr Pierre Rentchnik publiaient un ouvrage intéressant, à relire même s’il date un peu, « Ces malades qui nous gouvernent ». On y indiquait quelques pistes pour inciter des dirigeants diminués à renoncer à leurs fonctions en temps utile sans impliquer le corps médical et en respectant la dignité de l’individu. Ce livre avait été publié suite à la présidence de François Mitterand, qui avait dissimulé une maladie grave lorsqu’il s’était présenté pour un second septennat en 1988, et il ciblait aussi d’autres dirigeants, souvent français, comme par exemple Georges Pompidou. Le cas de Mitterrand est particulièrement exemplaire : on lui diagnostique un cancer de la prostate en 1981, mais il va tout de même chercher un deuxième septennat en 1988; d’aucuns crieront au sacrifice face aux intérêts de la Nation, mais le sacrifice ne consisterait-il pas plutôt en la décision de se résigner et soutenir une candidature plus jeune et donc plus résiliente et plus à l’écoute des problèmes qui seront d’actualité à la fin du mandat actuel ? Il me semble au contraire que l’attitude des Mitterrand, Biden et autres Trump relève de l’égocentrisme de bas étage, de la peur de voir son nom disparaître du haut de l’affiche, de la crainte de devoir déléguer un pouvoir auquel on s’est habitué.

Dans le monde économique, c’est peut-être encore plus flagrant, bien qu’avec des effets moins immédiatement perceptibles pour le commun des mortels; aux Etats-Unis, Elon Musk et Jeff Bezos se disputent – avec quelques autres, dont le français Bernard Arnault (LVMH) – le titre discutable de plus grande fortune de la planète. Ces personnages, dont la fortune s’évalue en centaines de milliards d’euros détiennent un pouvoir immense, mais non contrôlé par les règles démocratiques. Ils peuvent, par leurs ressources et leurs financements souvent opaques, soutenir de manière très concrète la campagne ou la politique de tel ou tel candidat dans le cadre d’une élection majeure; candidat qui, élu, deviendra ainsi de facto leur obligé, voire leur débiteur par la suite, créant ainsi les conditions cadre pour s’enrichir encore davantage.

Les hommes acquièrent du pouvoir en vue de réaliser des objectifs auxquels ils croient; mais arrivés au pouvoir, ils se rendent compte que ces objectifs sont peut-être irréalistes, et surtout que le pouvoir est une chose confortable et enivrante. L’exercice du pouvoir corrompt les idéaux qui ont conduit à la prise de pouvoir…

Il y a une phrase qui résume quelque peu tout ce discours, et son auteur est assez inattendu, car c’est une personne qui s’est accrochée au pouvoir absolu de quasi-dictateur pendant plus de cinquante ans :

Sans le pouvoir, les idéaux ne peuvent être réalisés ; avec le pouvoir, ils survivent rarement.

L’auteur de cette phrase est Fidel Castro, dirigeant de Cuba de 1959 à 2008.

Diversité

« il ne faut jamais mettre tous ses oeufs dans le même panier ».

Cette sagesse populaire cache une vérité fondamentale. Un système résilient est un système qui s’est doté d’alternatives crédibles en cas de dysfonctionnements; apparemment, nombre d’entre nous ont oublié cette vérité pourtant fondamentale, au profit de critères d’enrichissement ou de volonté de pouvoir personnels.

Ainsi, l’agriculteur sait qu’il devrait avoir plusieurs cordes à son arc; dépendre de la seule vigne ou de la seule récolte d’abricots, par exemple, le rend vulnérable à un orage de grêle ou à des gels printaniers inopportuns; il doit donc diversifier ses sources de revenus pour être en mesure de faire face à une catastrophe naturelle (même si le réchauffement climatique induit par l’homme rend le terme « naturel » quelque peu abusif actuellement).

Il y a eu très récemment une panne informatique d’ampleur mondiale dûe à un bug informatique. Ce bug a été introduit par un logiciel d’antivirus – ironie ! – crée par la firme américaine CrowdStrike et censé protéger les infrastructures « cloud » et les postes terminaux dans l’écosystème Windows de Microsoft. Ce bug a été diffusé dans le monde entier grâce aux systèmes de mise à jour automatique, en l’occurence beaucoup plus efficaces que n’importe quel pirate informatique russe pour mettre à genoux l’économie occidentale. L’informatique et les technologies de l’information sont un contre-exemple frappant de la diversité : nous ne communiquons pratiquement plus qu’à travers le protocole de communications IP, nous utilisons des postes de travail basés sur Windows (pas loin de 90%, plus même dans les environnements professionnels) ou UNIX (MacOS ou Linux); et nous sommes généralement connectés à des serveurs cloud, souvent même sans le savoir. Il en va ainsi également de nos smartphones, où il devient difficile à un non-expert d’éviter le transfert de ses données sur des serveurs éloignés. Ces dépendances nous rendent extrêmement vulnérables, à l’heure de la dématérialisation, de la virtualisation, où même les cartes de crédit sont en voie de disparaître progressivement au profit du paiement par smartphone ou par montre connectée.

Le pire, c’est que ces tendances à la centralisation et à la virtualisation ne profitent guère aux utilisateurs, sinon par un sentiment de confort souvent cher payé en cas d’arnaques. En revanche, les revenus et la puissance que confèrent à leurs propriétaires cette hégémonie posent des problèmes même aux plus grands états; on l’a vu dans le secteur bancaire : « Too big to fail »… Même les néo-libéraux les plus convaincus, les Reagan en herbe, les Thatcher en devenir, commencent à émettre des doutes sur la viabilité des géants des technologies de l’information qui sont parvenus à rendre le monde entier dépendant de leur bon vouloir. Elon Musk n’a-t-il pas à un moment donné pris des décisions ayant favorisé l’une ou l’autre partie dans la guerre que se livrent l’Ukraine et la Russie ?

En ce qui concerne les technologies de l’information, le monde a mis pratiquement tous ses oeufs dans le même panier; dans les années 1970-1980, le monde académique avait défini un environnement « ouvert », (OSI, Open Systems Interconnect) qui était destiné à assurer l’interopérabilité des systèmes de télécommunications et informatiques; nombre d’opérateurs ont tenté jusque dans les années 1990 d’implémenter ce modèle exemplaire, basé sur l’interopérabilité de systèmes hétérogènes. Il a été balayé en quelques années par des solutions plus simples et moins interopérables promues par des entreprises visant un profit rapide et maximal. Que ces entreprises aient eu ces objectifs est compréhensible, c’est l’objectif de toute entreprise dans un système prônant l’économie libérale; mais les lois visant à encourager la concurrence plutôt que l’hégémonie n’ont pas – ou mal – fonctionné. Ceux qui auraient alors dû réglementer ce développement étaient dépassés par la problématique, ou n’ont pas anticipé la mainmise actuelle de certaines entreprises plus puissantes que nombre d’Etats, et non des moindres, mais qui sont aussi des colosses au pied d’argile.

Les technologies que nous utilisons et consommons chaque jour font toutes parties d’écosystèmes homogènes et provenant d’un nombre très restreint de sources; que l’une de ces sources vienne à faire défaut, et c’est une partie considérable de l’édifice de notre société qui se lézarde. Le cas de CrowdStrike n’est qu’un avertissement; avec frais.

Rhétorique nucléaire

Le président de la Russie, Vladimir Poutine agite de plus en plus souvent la menace à peine voilée de l’utilisation d’armes nucléaires tactiques dans le conflit ukrainien; si l’on songe aux conséquences d’une telle utilisation, on ne peut raisonnablement pas croire qu’il osera une telle escalade; la question qui se pose est plutôt : jusqu’à quel point le gouvernement russe est-il encore raisonnable ?

Selon de nombreuses études et simulations, résumées brutalement ici, une guerre nucléaire constituerait la fin de la civilisation telle que nous la connaissons, avec l’apparition d’un hiver nucléaire qui réduirait drastiquement les ressources alimentaires de la planète, de l’ensemble de la planète, et ceci de manière si durable que le plus cinglé des survivalistes ne pourra survivre à son stock de boîtes de conserves. Une conflagration nucléaire entre Russie et Etats-Unis détruirait les deux pays, mais les effets secondaires seraient tels que plus de la moitié de l’Humanité périrait à très brève échéance; et que le sort de l’autre moitié ne serait guère enviable, pas plus d’ailleurs que le sort de la faune et de la végétation.

Si la Russie utilise des armes nucléaires tactiques, l’OTAN sera contrainte de répliquer, peut-être pas de manière nucléaire, mais activement, ce qui risque de provoquer l’escalade de la part du paranoïaque tsar de Moscou, donc pousser l’OTAN vers l’utilisation de l’arme nucléaire; Poutine a littéralement le sort de l’Humanité dans ses mains. Comment a-t-on pu en arriver à un stade où un paranoïaque a le pouvoir de détruire la civilisation ainsi qu’une part très significative de la vie sur notre planète ?

Bien que Poutine assure qu’il n’utilisera l’arme nucléaire qu’en dernier ressort, comment le croire, alors que son discours est presque aussi truffé de contre-vérités que celui de son complice et admirateur Donald Trump ? (« Poutine, il conduit son pays, au moins c’est un dirigeant, contrairement à ce que nous avons dans notre pays” (citation de Donald Trump)). Comment croire que ce gouvernement dont certains membres appellent ouvertement à l’utilisation de l’arme nucléaire, comment croire que ce ramassis de nostalgiques de l’URSS de Staline aura l’intelligence élémentaire de s’arrêter à temps ? Le dirigeant chinois, Xi Jinping joue un jeu non moins dangereux en encourageant discrètement la Russie pour obtenir des coudées plus franches en mer de Chine et autour de Taïwan. Les Etats-Unis sont empêtrés dans une situation compliquée, entre le conflit du Proche Orient où Biden ne sait pas jusqu’à quel point il pourra soutenir l’Israël de Netanyahou sans se faire trop d’ennemis intérieurs en vue des élections, et ces mêmes élections où la menace de Trump est bien réelle, (malgré sa culpabilité prononcée) et où sa non-élection ne clorait pas forcément le problème d’un clown avide de pouvoir qui ne reconnaîtrait pas facilement une éventuelle défaite électorale.

On se croirait ramenés aux heures les plus chaudes de la guerre froide (désolé pour ce jeu de mots au goût très moyen), quand Khrouchtchev et Kennedy jouaient à qui pisse le plus loin avec des missiles nucléaires à Cuba. C’était en 1962, et Khrouchtchev avait eu au dernier moment la sagesse de renoncer à l’affrontement. Mais Poutine aura-t-il ce réflexe salvateur pour l’Humanité ? Si cet autocrate se sent menacé de défaite, on peut en douter; si la phrase « Après moi le déluge » n’est pas de Poutine (elle est de Louis XV, inspirée par Mme de Pompadour), elle semble pourtant lui convenir parfaitement. Et dans l’hypothèse où Poutine parvient à annexer l’Ukraine, ou à en faire un vassal obéissant, comment croire qu’il s’arrêtera là, alors qu’il est ouvertement encouragé à poursuivre ?

En face, il y aura un gouvernement présidé par un vieillard; soit un Biden à l’orée de la sénilité, soit un Trump presqu’aussi âgé mais à l’esprit complètement dérangé, et de surcroît menteur et mégalomane; comme arbitre, un Xi Jinping retors qui se croit revenu au temps de l’Empire chinois, et que seuls les dollars ramenés par l’exportation en Occident de produits manufacturés en Chine retiennent encore d’engager un conflit en mer de Chine. Quant à l’Europe, minée par les montées en puissance des extrémistes de tout poil, il est douteux qu’elle parvienne à jouer un rôle de médiation valable; et ce ne sont pas des conférences au Bürgenstock, où l’on n’a pas pu inviter certains des principaux protagonistes, dont le pays agresseur, qui permettent d’être optimistes quant à la suite des évènements.

Comme le disait mon voisin, paysan de son état : « On va pas vers le beau ». Mais lui parlait de la météo. Un problème tout aussi actuel, avec des conséquences potentielles similaires.

Provoc

Deux élus UDC, Thomas Aeschi et Michael Graber, ont cherché à forcer un barrage de police dans l’enceinte du Palais Fédéral suisse, lors de la visite du président du Parlement ukrainien Rouslan Stefantschouk. Leur argument ? Ils voulaient aller travailler, et le cordon de sécurité de police les en empêchait. Leur solution ? Franchir le cordon de sécurité et agresser les policiers. Le fait que non loin de là, un autre escalier leur permettait d’accéder à leur espace de travail leur a sans doute échappé, malgré leur longue carrière au Palais Fédéral dont ils devraient connaître les divers accès. Bel exemple de démocratie appliquée… On se demande si ces deux tristes politiciens se seraient souvenus de l’existence d’un autre passage vers leur lieu de travail si l’invité s’était appellé Marine Le Pen, ou Viktor Orban ? Mais peut-être seraient-ils restés figés dans un garde-à-vous respectueux et admiratif ?

Il est difficile de croire que ces deux hurluberlus n’aient pas agi en toute connaissance de cause, pour provoquer, faire le buzz’, dénoncer une visite qu’ils n’approuvaient pas, et que Poutine (pure coïncidence, évidemment) n’approuve guère non plus. Ils sont considérés comme intelligents, donc, peu susceptibles de céder à une impulsion irraisonnée; agresser un membre de l’autorité dans l’exercice de ses fonctions, quelles que soient les circonstances, est un délit, et un acte antidémocratique fort. Les démocraties ont des outils pour dénoncer les abus de pouvoir, et ce sont ces outils qui doivent être utilisés pour dénoncer des cas problématiques. Si ces outils s’avèrent insuffisants, les démocraties permettent de réviser les instruments utilisés, et de redéfinir les règles. C’est vrai, M. Aeschi (incidemment président du groupe parlementaire à l’Assemblée Fédérale), que c’est moins rapide qu’un coup de poing dans la gueule; mais j’ai la faiblesse de croire que c’est moins inélégant.

Le comble de l’inélégance, c’est la réaction du conseiller fédéral UDC Rösti, qui donne raison à ces fauteurs de troubles, alors que comme représentant le plus haut placé de l’autorité fédérale, la plus élémentaire correction me semblerait consister en un devoir de réserve, ou mieux, dans la défense des policiers chargés de mission qui se font agresser physiquement dans l’exercice de leur fonction. Je peux comprendre et admettre qu’il veuille défendre son parti; mais selon la constitution helvétique, il n’est plus en position partisane: il n’est donc pas censé prendre position dans cette lamentable affaire. Mieux, il est censé défendre les institutions, et les fonctionnaires de police sont une partie essentielle de ces institutions, qu’on les apprécie ou non.

En réalité, cette affaire croquignolesque constitue un épisode supplémentaire dans la longue liste de provocations de l’extrême-droite en Europe et dans le monde; c’est une petite provocation, car l’UDC suisse extrémiste est constituée de petites gens; mais cela reste une provocation dans la logique extrémiste et anti-démocratique des mouvements de ce même bord. Le pire, c’est que cela fonctionne ! En France, Jordan Bordello se voit déjà Premier Ministre, et Marine le Pénis pose son cul sur le fauteuil de Présidente pour 2027. En Europe, même si la social-démocratie demeure aux commandes, les extrémistes ont gagné beaucoup de terrain; l’arme préférée reste la provocation, arme qu’ont peaufiné Berlusconi d’abord, et Trump ensuite. Même en Suisse, des mouvements néo-nazis comme « Junge Tat » trouvent des sympathisants plus nombreux qu’on ne le pense, souvent d’ailleurs dans les rangs de cette même UDC.

Trump a inauguré de manière spectaculaire ce genre de provocation en incitant ses « supporters » à attaquer le Capitole; Il a ensuite été imité, de manière moins organisée il est vrai, par Bolsonaro; et c’est vrai que MM Aeschi et Graber ont fait beaucoup moins fort au Palais Fédéral; chacun fait selon ses moyens, l’important, c’est la solidarité, n’est-ce pas ?

Montagnards ?

L’italien germanophone Reinhold Messner a été le premier alpiniste à gravir les quatorze sommets de plus de 8000 mètres de la planète; il a escaladé le premier en 1972, et le quatorzième en 1986, soit quatorze ans plus tard; il est considéré dans le milieu de l’alpinisme comme l’un des meilleurs du XXème siècle. Depuis, de nombreux ascensionnistes ont gravi les quatorze 8000 de la planète; lorsque Erhard Lorétan devint le troisième homme au monde à réussir cette série d’ascensions (entre 1982 et 1995), un sponsor lui proposa de tenter l’ascension de ces quatorze sommets en une année; Lorétan rétorqua que c’était impossible, sauf à utiliser une infrastructure très lourde et de l’oxygène, ce à quoi il se refusait

Nirmal Purja, en 2019, escaladait ces mêmes 14 sommets en l’espace d’une même année, utilisant l’hélicoptère pour relier les camps de base et l’oxygène pour gravir les sommets; puis, en 2023, son record de six mois et six jours fut pulvérisé par Kristin Harila et Tenjen (Lama) Sherpa en seulement 92 jours. Ce record est considéré par beaucoup comme le record au plus lourd bilan carbone que l’on puisse imaginer, en raison de l’utilisation massive de l’hélicoptère pour la liaison entre les divers camps de base, en éludant les marches d’approche et le transport du matériel. Quant à moi, même si je suis opposé à l’utilisation aussi massive d’infrastructures lourdes pour permettre des records finalement assez dénués d’intérêt, je pense que certains tour opérateurs (comme NAMAS Adventure, par exemple) proposant une ascension express de l’Everest et éventuellement du Lhotse ont un bilan carbone nettement plus catastrophique que l’alpiniste norvégienne. Par ailleurs, Kristin Harila détient de nombreux autres records (hommes et femmes confondus), comme l’ascension de l’Everest et du Lhotse en seulement 8 heures, ou 26 sommets de plus de 8000 mètres en un an et trois mois; mais finalement, peu importe. A ce propos, Nirmal Purja fut l’un des premiers à mettre en évidence la surfréquentation de l’Everest en postant une photo devenue célèbre d’alpinistes (désolé, je n’ai pas trouvé d’autres dénominations) faisant la queue pour atteindre le sommet. Dans sa critique, il a juste oublié qu’il faisait partie intégrante du problème…

Plus récemment, des ascensionnistes de l’Everest ont vu une corniche céder sous leur poids; il est certain qu’en faisant la queue sur une arête, on charge davantage les corniches de neige qu’en passant individuellement, même lentement…

George Mallory, décédé le 8 juin 1924 sur la crête nord de l’Everest, avait en son temps répondu à un journaliste qui lui demandait à quoi pouvait bien servir l’ascension de l’Everest, et pourquoi lui voulait le gravir, « Parce qu’il est là »  (Because it’s there). Je peux imaginer qu’une raison similaire motivait Edward Whymper ou Jean-Antoine Carrel, et tous les pionniers de l’alpinisme de haut niveau, les Rébuffat, Cassin ou autre Bonatti. Mais depuis, tous les sommets les plus célèbres de la planète ont été conquis; bien qu’il reste encore un nombre impressionnant de pics de plus de 5000 mètres où personne n’a jamais mis les pieds, il est difficile de se faire désormais un palmarès avec des premières ascensions. Alors, on en a fait un sport; l’évolution a commencé d’ailleurs d’une manière assez logique : si vous devez être dans une zone de mort, autant y rester le moins longtemps possible; ainsi, Erhard Lorétan et Jean Troillet réalisent l’ascension du couloir Hornbein à l’Everest et retour en quarante-trois heures, sans oxygène; même Reinhold Messner salue l’exploit. Mais l’histoire retiendra que Kristin Harila a réalisé l’ascension de l’Everest ET du Lhotse en huit heures.

Certains disent déjà que l’alpinisme, c’est foutu. La montagne est devenue un terrain de jeu au même titre qu’un stade d’athlétisme; lorsque je pratiquais assidûment le ski de randonnée, je m’énervais lorsqu’étaient organisées des courses de ski-alpinisme comme la célèbre patrouille des glaciers; avec le recul, je pense que j’avais tort de m’énerver, l’évolution était parfaitement prévisible; à force d’améliorer le matériel et les infrastructures (comme les refuges de haute montagne), on encourage de plus en plus de monde à venir partager le terrain de jeux. Un peu comme lorsque vous construisez une autoroute pour fluidifier le trafic : elle sera rapidement saturée par les personnes voulant profiter de l’infrastructure, alors qu’à l’extrémité de l’autoroute, ce sont toujours les mêmes villes et les mêmes rues qui sont censées avaler ce trafic supplémentaire.

Ceux qui pratiquent l’alpinisme en cherchant la performance sont parfois d’excellents alpinistes; le problème, c’est qu’ils ne prennent plus vraiment le temps d’analyser l’environnement dans lequel ils évoluent. Ce printemps, une équipe s’entrainant pour la fameuse Patrouille des Glaciers a été prise par une tempête de foehn aux environs de Tête Blanche. Les acteurs de ce drame étaient apparemment (je ne les connais pas personnellement) des personnes expérimentées, donc peu susceptibles de se laisser piéger par une tempête de foehn, un risque bien connu sur la crète des Alpes, et ayant déjà causé des décès dans des circonstances similaires par le passé. Les prévisions météo sont devenues raisonnablement précises, comment des personnes dites expérimentées (et je n’ai aucune raison d’en douter) peuvent-elles se laisser piéger ?

L’attitude d’un montagnard change considérablement selon qu’il entreprend une course censée durer quelques heures ou plusieurs jours; son matériel aussi d’ailleurs. Envisager une course de montagne sur le plan de la performance, c’est considérer, volontairement ou pas, le verre à moitié plein : l’équipement est, sinon minimal, du moins considérablement allégé; et comme on va vite, il y a de fortes chances qu’on soit en train de boire l’apéro lorsque la tempête surviendra. Et il y a le biais de l’hybris, assez commun chez l’humain, qui veut que l’on se sente suffisamment compétent (ou physiquement assez fort) pour faire face aux éventuels imprévus. Lorsque l’on part pour plusieurs jours, avec éventuellement un bivouac, l’attitude change notablement, on considère le verre à moitié vide, et on tend à envisager le pire comme la normalité, ou du moins, on s’astreint à y être préparé. Mon intention n’est pas de critiquer les malheureux acteurs du drame de Tête Blanche, mais je pense que considérer la montagne comme un espace dédié aux sports constitue une grave erreur, et accessoirement une faute de goût, indépendemment du fait que la surfréquentation qu’engendre cette attitude me déplaît souverainement, voire tend à m’indigner, même si je ne suis moi-même plus en mesure de pratiquer ce genre d’activités pour des raisons indépendantes de ma volonté.

Etre expérimenté en montagne n’implique pas que l’on soit montagnard; cela ne l’exclut pas non plus bien sûr. Mais l’évolution actuelle tend à privilégier l’expérience technique à une attitude sans doute moins prestigieuse et moins rapidement accessible, qui implique une approche plus lente, plus progressive, où l’expertise technique cède le pas à l’observation et à la compréhension, où la rapidité fait place à la circonspection, et où l’objectif de performance cède la place à l’émerveillement. Je ne veux pas prétendre que « c’était mieux avant », cela n’a pas de sens, « avant » ne reviendra plus; mais ceux qui veulent vraiment vivre la montagne n’ont pas besoin de chronomètre; ils n’ont même pas besoin d’un sommet à escalader : la merveille de la montagne est partout, les Alpes permettent des expériences uniques sans se sentir contraint de s’entasser dans un refuge bondé, ou de finir la course avant le départ du dernier car postal à Arolla. Mais bien sûr, le sac sera plus lourd, le matériel plus conséquent, car il faudra se prémunir contre des risques moins prévisibles.

Mais la montagne a un prix. Et un vrai montagnard est prêt à payer ce prix. Toujours. Mais on ne peut pas en comptabiliser le montant en euros ou en francs suisses. Ni en heures, minutes et secondes.

Fromathèque

Lorsque l’on vient du Chablais pour se rendre en France ou en Italie, à Chamonix ou à Aoste, on contourne la ville de Martigny (VS) et on aboutit invariablement à un rond-point orné (?) d’une sculpture multicolore et aussi incongrue qu’un entraîneur du FC Sion encore en activité après trois défaites.

Ce rond-point cache, derrière une grande station-service ENI en bordure de la route du Grand-St.Bernard, un magasin très mal mis en valeur appelé la Fromathèque. Pour y accéder en voiture, la manière la plus pratique est de sortir du rond-point en direction du col de la Forclaz, et d’obliquer immédiatement à gauche en direction de Plan-Cerisier, une route qui s’appelle joliment « Route du Soleil Levant ». Un parking à une centaine de mètres à droite permet de ranger son véhicule, car il semble que l’accès en transports publics n’aie pas été spécialement prévu.

Pourquoi vous parler de ce magasin ? Il se trouve qu’il propose une quantité appréciable de produits locaux de qualité vraiment très intéressante. Si par hasard, vous y parvenez, demandez à goûter le patéro… Un pâté apéritif de chasse sublime, une vraie tuerie. Et l’étalage propose une magnifique sélection de fromages et de spécialités du Valais, ainsi que quelques-uns des meilleurs vins du canton. Il pourrait servir de vitrine régionale aux automobilistes venant de France et d’Italie, s’il était mieux mis en évidence; mais il est pratiquement invisible de la route, et ne bénéficie d’aucune publicité particulière. Dommage; mais peut-être ne se soucie-t-on guère des clients étrangers ?

Récemment, je suis passé par cet endroit pour prendre un peu de ce fameux paté-apéritif, le patéro, et acheter du fromage à raclette; j’ai demandé qu’on m’apprête le fromage pour des raclonettes, certes moins pittoresques qu’une raclette traditionnelle avec une vraie meule travaillée au couteau, mais plus pratiques pour déguster une raclette lorsqu’il y a peu de convives. On m’a désigné un étalage où s’empilaient des multitudes de barquettes de plastique avec des portions précoupées de fromage; comme dans n’importe quel supermarché, en somme. J’ai fait remarquer que le plastique ne me semblait pas utile pour une raclette, et demandé un fromage à la coupe; finalement, si je vais dans un magasin spécialisé, ce n’est pas pour obtenir un service que n’importe quelle supérette peut m’offrir. Cette demande a eu le don d’agacer la personne qui me servait; elle s’est retenue de m’envoyer promener, mais tout juste. Elle a cherché deux quarts de meule de fromages (emballés dans du plastique) et m’a demandé quel fromage je désirais. Goûter avant de choisir n’était visiblement pas prévu dans les réponses possibles, donc j’ai demandé innocemment « un bon fromage qui a du goût », et on a bien voulu consentir à me couper dans l’un des quarts de meule la quantité que je souhaitais, mais sans me proposer de l’apprêter en tranches, alors qu’une machine adéquate était disponible. Pour le patéro, on m’a indiqué d’un geste agacé où il se trouvait et je me suis servi. Je dois admettre que la phase du paiement s’est par contre passée sans anicroches : le lecteur de cartes a accepté ma carte de crédit sans se formaliser du fait que je n’étais pas valaisan.

Je veux préciser que la raclette était réellement excellente, et le patéro est une vraie tuerie. Je me répète, mais la qualité des produits de la Fromathèque est vraiment supérieure. Mais pourquoi le service est-il si lamentable, avec un accueil souriant visiblement non prévu dans le contrat d’engagement ? Pourquoi une maison spécialisée dans le commerce et la promotion du fromage ne peut-elle éviter la mise sous barquette plastique de ses produits, alors que partout dans les supermarchés, on tente désormais d’éviter ce type d’emballage polluant, malaisé à recycler et énergivore ? Pourquoi, par ailleurs, l’endroit n’est-il pas mieux mis en évidence, alors qu’il constitue une image promotionnelle pour la région et le canton ?

Il semble que certains ne puissent s’empêcher de répéter encore et encore les mêmes erreurs. On veut promouvoir l’une des plus belles régions de Suisse et du monde pour y organiser un évènement de portée mondiale, et on allume un vieux tonneau rempli de mazout au sommet d’une montagne emblématique. On veut organiser une descente de ski Coupe du Monde dans un site exceptionnel, mais on réserve des créneaux temporels inadéquats et des moyens mécaniques disproportionnés pour « aménager » un glacier qui n’avait pas besoin de cela pour se dégrader. On veut organiser des championnats du monde de ski alpin, mais on délègue la responsabilité des infrastructures à des compagnies étrangères pas forcément concernées par ce genre d’activité. On veut promouvoir les produits locaux, et on installe dans un local situé dans un endroit difficile à localiser des vendeurs peu soucieux de l’accueil des clients.

Ces critiques ayant été faites, je vous conseille tout de même de faire un détour par la Fromathèque; et éventuellement de continuer ensuite en direction du magnifique village de Plan-Cerisier, en faisant un arrêt-apéro à la cave de Florian et Marie Besse (depuis quelques années secondés par leur fille Mélanie) pour une dégustation, et poursuivre ensuite sur la route étroite (en cul-de-sac) vers le restaurant de Plan-Cerisier, qui possède la plus belle terrasse de la région de Martigny. Vous ne regretterez pas vos tribulations, même si l’accueil de la fromathèque puisse éventuellement vous laisser sur votre faim. Et, je me répète encore une fois, les produits proposés sont excellents, même s’ils sont parfois assez mal vendus.

Santé !

Le plus pauvre n’échangerait pas sa santé pour de l’argent, mais le plus riche donnerait tout son argent pour la santé. (Charles Caleb Colton)

Deux initiatives pour limiter le montant des primes d’assurance-maladie seront proposées bientôt au peuple suisse. Si l’initiative proposée par la gauche de limiter le montant des primes à 10% du revenu me paraît aller dans la bonne direction, j’avoue ne pas bien comprendre les objectifs visés par la deuxième initiative proposée par le Centre; mais au fond, peu importe.

Le système de primes d’assurance maladie fondé sur des taxes est profondément injuste; une personne ayant un « revenu » minimal selon les critères de l’AVS peut théoriquement payer jusqu’à un quart de ce revenu en primes d’assurances maladie, alors qu’une personne ayant un revenu plus confortable (au hasard, un ancien conseiller fédéral à CHF 20000.- par mois) ne paie que moins de 3%. Oui, bien sûr, il existe des aides pour les démunis, que l’on peut demander en remplissant le formulaire 43bis, et en se rendant ensuite au bâtiment d’administration communale, au bureau 51 pour un entretien avec M. Tartempion, et ensuite revenir la semaine prochaine avec les pièces justificatives inévitablement manquantes. Cela reste une demande d’aumône, assez humiliante pour des personnes ayant parfois travaillé dur toute leur vie dans des métiers physiquement éprouvants, mais souvent hélas médiocrement rémunérés.

Les neuf dixièmes de notre bonheur reposent sur la santé. Avec elle, tout devient source de plaisir. (Schopenhauer)

La santé est, selon moi, un paramètre de la sécurité individuelle, et aussi de la sécurité sociale. Au même titre que les institutions comme la police ou la gendarmerie essaient, sans toujours y parvenir, de garantir une certaine sécurité pour la société. Au même titre que l’armée qui peut intervenir si un vilain méchant pas beau venant de préférence de l’Est vient nous chercher des poux. Cette même armée qui peut aussi venir en aide aux citoyens en cas de catastrophe naturelle; mais paie-t-on une taxe pour ce genre de services ? Non, c’est inclus dans les finances cantonales ou fédérales, prélevé sur le budget alimenté par les impôts. En quoi la santé représente-t-elle un cas à traiter différemment, du moment que l’assurance de base est obligatoire ?

Ce n’est d’ailleurs pas la seule contradiction du système : on demande aux hôpitaux d’être rentables, mais demande-t-on à une caserne militaire d’être bénéficiaire ? Demande-t-on à des agents de police de rapporter de l’argent ? Ils en rapportent, bien sûr, indirectement en assurant la sécurité et la stabilité de la structure sociale; mais la santé des personnes physiques est aussi un atout pour cette même société; alors ces cas sont-ils réellement si différents ?

Le seul remède, à mon sens, à des primes d’assurance-maladie qui deviennent insupportables, c’est l’indexation au revenu. Et l’indexation au revenu, c’est les impôts. Bien sûr, j’en vois d’ici qui vont monter aux barricades, en disant que cela va coûter de l’argent, qu’on ne peut pas se payer ça, etc… Mais cela coûte déjà beaucoup d’argent ! Aux individus nécessiteux d’un côté, mais à la société aussi par la baisse du pouvoir d’achat que cela implique, par les aides toujours plus nombreuses qu’il faut accorder.

Existe-t-il pour l’homme un bien plus précieux que la Santé ?
Socrate

Je suppose que d’anciens conseillers fédéraux vont se fendre d’une lettre commune pour dénoncer une telle proposition, eux qui ne remarquent probablement même pas les primes d’assurance qu’ils paient chaque mois. Pourtant, ils ne réagissent guère aux propositions de dépenses militaires qui sont faites actuellement par le département concerné, bien qu’il s’agisse, à mon sens, d’une problématique similaire : la sécurité publique…

Roublardise

Les Valaisans sont souvent qualifiés de roublards. Madame Viola Amherd ne fait pas défaut à cette réputation; voilà qu’elle invente un trou d’un milliard dans son département pour laisser accroire que l’armée est à cours de liquidités, et qu’elle fait répandre en parallèle la rumeur que la Suisse serait désormais en danger, menacée par une invasion russe à plus ou moins brève échéance. Ses sous-fifres, moins rusés qu’elle (mais il faut leur pardonner, ce sont des militaires, et qui plus est suisse-allemands non valaisans) mettent quelque peu les pieds dans le plat en se contredisant maladroitement, mais dans l’ensemble, ils confirment l’impression générale laissée par leur cheffe de file. L’armée est en manque de liquidités, en manque de personnel, en manque d’hommes (et aussi de femmes, mais bon, on peut faire sans). Tout le monde s’émeut de la situation, droite et extrême-droite en tête; la gauche n’ose pas trop discuter de peur d’être taxée d’irresponsabilité au moment où ils s’apprêtent à dépenser inconsidérément de l’argent pour payer une treizième aumône (c’est vrai que certains osent parler de salaire) pour les retraités. Quant au centre, pas de souci, ils sont du même parti, ils ne vont pas tirer sur leur consoeur, si ? Certains acteurs ne vont certes pas se priver de tirer à boulets rouges sur l’imprévoyance de la ministre de la défense; mais ce n’est pas un problème : au contraire, cela ajoute de la crédibilité à la demande de finances supplémentaires !

Là-dessus, madame Viola présente un budget à hauteur de plusieurs dizaines de milliards de francs suisses pour « constituer une armée crédible face aux nouvelles menaces qui se profilent à nos frontières ». Et ça marche; personne n’ose discuter une dépense de plusieurs milliards dans les prochaines années, « pour se défendre contre ce salaud de Poutine », alors que la droite ergote sur les quelques milliards qui risqueraient éventuellement de mettre un peu de beurre dans les épinards de quelques malheureux retraités qui ont déjà dû divorcer pour parvenir à survivre. Si vraiment la treizième rente AVS était trop coûteuse, alors pourquoi le Conseil Fédéral, ou la droite et le centre, ou les ex-conseillers fédéraux à qui personne n’avait rien demandé en dépit de leurs CHF 20000.- de rente mensuelle, n’ont-ils pas jugé bon de présenter un contre projet plus judicieux ?

On se demande comment financer l’AVS, mais le financement de l’Armée ne constitue aucun problème. Apparemment, c’est nécessaire, puisque des spécialistes auto-proclamés (comme l’autre valaisan Jean-Luc Addor, mais lui n’est même pas roublard) disent que l’ennemi est aux frontières, ou en passe d’y parvenir.

Soyons sérieux ! Il ne semble pas totalement improbable qu’en cas de victoire de Poutine sur l’Ukraine, il continue en annexant l’Estonie, puis la Lettonie et la Pologne; mais avant qu’il parvienne aux frontières suisses, il lui faudra encore bouffer l’OTAN dans son intégralité; alors, en toute logique, ne vaudrait-il pas mieux faire partie de l’OTAN pour éviter que les troupes de Poutine ne parviennent à nos frontières ? Parce que si l’OTAN se fait bouffer, franchement, vous croyez que la Suisse fera mieux que ne le fait l’Ukraine actuellement ? Si vraiment Poutine est la menace ultime, alors faisons partie de l’OTAN, et nos investissements militaires deviendront sans doute plus crédibles; si l’Occident et ses valeurs sont menacées, alors adhérons à l’Occident, à l’Europe, à l’Union Européenne en l’occurence; avec tous ses défauts, elle avance tout de même de manière plus crédible que notre Conseil Fédéral qui n’a plus de conseil que le nom, et de fédéral que la fonction.

Le gouvernement suisse est devenu médiocre; la faute au consensus, probablement. On élit les personnes les moins clivantes; on met en avant Mme Baume-Schneider pour ne pas risquer avoir le syndicaliste Maillard à la prochaine occasion; on pourrait citer d’autres exemples; peu importe après tout. Le fait est que le système est devenu un exemple du plus petit dénominateur commun; à ce jeu, la roublardise de Madame Amherd fait merveille : les combines pourries ont toujours fonctionné à merveille chez les médiocres.

On cherche informaticiens…

Voici quelques années déjà que je retourne périodiquement chez mon ancien employeur pour jouer le rôle d’expert aux travaux pratiques en vue de l’obtention du titre de bachelor ou parfois de master. C’est un exercice qui me permet de garder le contact avec d’anciens collègues, et aussi avec la technologie qui a motivé mon parcours professionnel tout au long de mon existence. Les travaux pratiques consistent en un petit projet dont le déroulement s’étend sur une demi-année au total, pour un travail correspondant à trois centaines d’heures comptables environ. Certains candidats sont brillants, voire même hors normes; d’autres sont nettement en retrait ou n’ont carrément pas le niveau requis. Dans ce dernier cas, il faut également se questionner sur les raisons qui ont permis de faire parvenir le candidat jusque là, sans être parvenu à l’éliminer auparavant : il s’agit clairement d’une perte de temps et de ressources pour tout le monde.

J’ai pu remarquer au fil des années une évolution constante des travaux en informatique et en télécommunications. Les travaux se complexifient dans les fonctionnalités demandées, mais paradoxalement se simplifient dans leur architecture et leur réalisation. Alors qu’il y a quelques années, une grosse partie d’un rapport résidait en une description du problème et de la solution envisagée, ainsi que de la manière d’y parvenir, on tend actuellement à passer davantage de temps à décrire les outils que l’on entend mettre en œuvre pour parvenir à un produit dont on perd parfois un peu de vue la pertinence et l’adéquation au problème. Des outils de plus en plus complexes, et de plus en plus performants font que l’on passe désormais davantage de temps à essayer de comprendre ce que fait l’outil que de tenter de maîtriser les implications du problème que l’outil est censé aider à résoudre…

Ainsi, ces dernières années, le développement informatique s’est tourné vers des méthodes dites agiles, basées sur l’utilisation de frameworks sophistiqués. Ces méthodes tendent à postuler que l’étape dite de spécification fonctionnelle de la solution est inutilement chronophage, et prônent une implication très rapide du client dans le processus de développement. On utilise pour ce faire du prototypage rapide, des itérations nombreuses permettant au client de donner un avis sur la solution très tôt dans le processus de développement. Des frameworks _ cadres de travail- complexes et très sophistiqués permettent de modifier les détails d’une solution par simple paramétrage, mais sans toutefois autoriser des changements profonds dans la logique de la solution. Bien adaptées à la solution de problèmes relativement simples, comme les sites web, ces méthodologies peinent toutefois à convaincre dans le cas de problèmes plus sensibles. Ainsi, un atelier de coiffure pourra mandater un petit groupe de développeurs informatiques, parfois peu expérimentés, pour la réalisation d’un site web comprenant photos et système de réservation; en revanche, on est moins convaincu que ce groupe de développeurs soit en mesure de mettre sur pied le site d’une compagnie d’assurances correctement sécurisé avec des méthodes similaires (et -a fortiori- des connaissances à l’unisson).

Je n’ai a priori aucune objection à l’utilisation de méthodes agiles ou de frameworks; mais les développeurs qui travaillent dans cet environnement sont trop souvent poussés à une productivité à tout prix, en raison de la concurrence très forte sur ce segment de marché informatique. Il est vrai que c’est le principe de base d’une société capitaliste, mais un capitalisme intelligent et responsable chercherait à améliorer sa productivité sur le court, moyen et long terme, par exemple en prévoyant des possibilités de formation de ses employés en prévision de nouvelles méthodologies de développement; or dans le cas qui nous préoccupe, ce n’est que le court terme qui est visé. En d’autres termes, les développeurs, souvent privés de toute possibilité de post-formation, sont utilisés pendant quelques années, et lorsqu’ils sont dépassés par de nouvelles technologies, ils doivent s’adapter comme ils peuvent ou chercher du travail ailleurs. D’ailleurs, c’est plus intéressant pour l’employeur qui peut réengager des programmeurs novices, tout juste sortis de l’école et au fait des dernières nouveautés, qu’il paiera moins cher qu’un informaticien expérimenté, ou susceptible de demander une augmentation en raison de son ancienneté !

Récemment, j’ai suivi un cas tout à fait extrême à ce point de vue. Un étudiant qui a déjà passé plus de six ans dans l’école (ce qui va entraîner son exmatriculation), et qui parallèlement travaille pour une petite entreprise d’informatique de la région lémanique. Il s’agit d’une de ces entreprises qui travaille à flux tendu sur de petits projets orientés vers le web et les clients mobiles, d’une complexité suffisamment modeste pour lui permettre d’engager des gens peu qualifiés aimant bien programmer, et qui n’a guère les moyens d’investir dans la formation de ses employés : c’est dire si le diplôme de bachelor de l’un de ses employés a peu de signification. Le discours est plus que probablement « Tu as un job, tu gagnes de l’argent, que veux tu de mieux ? ». Un salaire qui paraît confortable à certains suffit parfois à démotiver un étudiant pour une formation dont il ne perçoit plus bien l’intérêt, puisqu’il a déjà un job ! En tous cas, c’est ce que notre étudiant a dû penser, car il n’avait pratiquement rien fait pour son travail de bachelor ! Son excuse était qu’il avait eu trop de travail chez son employeur, sur un projet très similaire d’ailleurs, bien que beaucoup plus simpliste. Il a de ce fait privilégié le travail chez son employeur, au risque (une réalité depuis quelques lors) de perdre le bénéfice de sa formation à la HES-SO; bien sûr, c’est son problème : mais que se passera-t-il lorsque son employeur le remerciera, ou plus probablement devra mettre la clé sous le paillasson ? Car il ne faut pas se leurrer : faire un site web simple, avec les outils disponibles est à la portée de presque n’importe qui, en particulier de générateurs de code automatiques que l’on devrait voir apparaître en production d’ici … pas très longtemps. Qui a parlé des intelligences artificielles génératives, au fond de l’auditoire ?

Que feront ces programmeurs peu formés lorsqu’ils seront en concurrence avec des générateurs de logiciels ? Question subsidiaire : que feront nos diplômés HES en informatique lorsqu’ils arriveront sur un marché du travail où sévissent des logiciels générateurs de code ultra-performants ? Leur formation leur permettra-t-elle de présenter encore un intérêt quelconque pour un employeur hypothétique ?

La faute n’est pas que du côté d’étudiants trop pressés d’entrer dans le monde du travail : elle est aussi du côté d’écoles trop fières de leur prestige académique. Pourquoi les Hautes Ecoles Spécialisées se sont-elles détournées de leur mission originelle qui les rendait proches de l’industrie et de la réalité du travail local ? Certaines institutions de la HES-SO n’acceptent plus que des professeurs munis d’un doctorat, au mépris de toute expérience industrielle préalable. Ces enseignants sont parfois brillants, mais le plus souvent aussi sur une voie de garage et totalement déconnectés de la réalité industrielle locale. Souvent recalés par de plus prestigieuses institutions, ils se rabattent sur les HES moins rémunératrices, mais aussi moins exigeantes envers les qualités des professeurs engagés. L’exigence du doctorat élimine par ailleurs nombre de personnes expérimentées et dotées d’un carnet de relations dont pourraient profiter les étudiants. Les professeurs engagés se contentent souvent de répéter des enseignements certes pertinents, mais purement théoriques, sans relation même lointaine avec la réalité professionnelle que ces écoles devaient à l’origine apporter !

Il n’y a pas si longtemps, certains professeurs d’informatique prônaient encore la supériorité d’un langage de programmation relativement à d’autres ! Un peu comme si il était impossible d’énoncer de manière correcte une vérité en allemand et qu’il fallait impérativement utiliser le français… Pendant plusieurs années, des étudiants avec un diplôme d’ingénieur en poche devaient avouer, lors de leur recherche d’emploi, qu’ils ne connaissaient aucun langage de programmation utilisable dans le monde réel (ce qui entre parenthèses, ne mettait guère en exergue l’enseignement dans l’école dont venait le candidat). L’ambition d’excellence académique est certes louable, mais pourquoi ne peut-elle être compatible avec une recherche d’efficacité dont notre tissu industriel a tant besoin actuellemnt ?

L’industrie manque cruellement d’informaticiens capables de gérer les projets qui se présentent actuellement. Faute de personnel adéquat, les projets sont sous-traités; en Europe de l’Est, en Russie, en Inde ou en Chine; est-ce le but ? « On cherche informaticiens ou programmeurs ». Mais on en trouve de moins en moins… Ou plutôt, on en trouve de moins en moins d’adéquats. L’intelligence artificielle pourra-t-elle répondre aux défis qui se posent à l’industrie actuellement ? Rien n’est moins sûr; mais faute de grives…

Le droit à l’image

Les logiciels de génération d’images synthétiques ont fait d’immenses progrès ces dernières années. Ils sont boostés par les technologies d’intelligence artificielle qui « apprennent » à reconnaître les différents composants d’une image et deviennent capables de les recréer et de les animer.

En 1993, Jurassic Park inaugurait timidement l’ère des images de synthèse animées, au cours de séquences où l’on voyait des troupeaux de dinosaures courir dans la prairie. L’animation était en partie réalisée à la main, et une séquence de quelques secondes demandait des heures, voire des jours de travail. Lorsqu’apparurent Le Seigneur des Anneaux, ou Harry Potter, seulement huit ans plus tard, l’intégration était déjà devenue beaucoup plus fluide, et les acteurs évoluaient de manière tout à fait réaliste aux côtés de monstres improbables. L’apparition de logiciels comme MASSIVE permettait de faire évoluer des armées d’êtres synthétiques qui pouvaient interagir les uns avec les autres, et se combattre au besoin.

Huit ans plus tard encore, Avatar ouvrait de nouvelles brèches dans l’univers de l’image de synthèse en introduisant des images d’une fluidité et d’un réalisme rarement expérimenté. Mais Avatar avait encore besoin d’êtres humains comme acteurs : il est en effet infiniment plus difficile d’animer un être humain synthétique qu’un monstre à l’écran, et cela reste vrai aujourd’hui. Mais pour combien de temps ?

De fait, si l’on n’a pas encore pu voir de nouveaux films mettant en scène James Dean ou Marylin Monroe, c’est probablement plus pour des questions juridiques que techniques. Dans l’état actuel de la juridiction, il parait plus que probable que les investisseurs rechignent à risquer des procès à répétition avec les héritiers de grands acteurs disparus; mais pour combien de temps ?

Actuellement, de nombreux logiciels libres, voire des sites spécialisés, vous permettent, à partir d’une ou plusieurs images de référence, de créer des images de synthèse réalistes mettant en image le modèle dans des circonstances arbitraires; encore difficiles à maîtriser il y a peu, ces logiciels sont désormais disponibles sur des smartphones où il promettent de faire beaucoup de dégâts chez les harceleurs en herbe que sont les écoliers et les adolescents. L’image de Sophie embrassant Jacques (vous pouvez remplacer le verbe embrasser, ainsi que les prénoms par ce que vous voulez) fera rapidement le tour des « amis » du harceleur, au plus grand dam des deux intéressés qui n’ont jamais eu de relations de quelque nature que ce soit ensemble. Mais allez donc contester une photo ! Et allez contester la rumeur que va inévitablement générer cette photo partagée parmi tous les élèves du lycée en question ! Récemment, un scandale a éclaté en Espagne parce que des adolescents ont publié des photos de leurs camarades de classe féminines nues. Les photos avaient été générées par un de ces nombreux programmes d’intelligence artificielle permettant de dénuder des personnes généralement de sexe féminin. Une simple photo prise avec un smartphone suffit et il peut ne pas être très évident de contester ensuite l’image résultant du passage par l’un de ces logiciels spécialisés. Pas plus que l’identité des gens, l’origine des documents n’est définie dans le monde numérique, en dépit des mises en garde d’experts depuis plus de vingt ans. Une problématique qui rappelle d’ailleurs étrangément l’absence de réaction du monde politique face à l’urgence climatique proclamée depuis plus de quarante ans maintenant par le monde scientifique.

Le droit à l’image est inscrit dans le code pénal de la majorité des démocraties occidentales; mais il se révèle incroyablement difficile à appliquer. Les parents qui publient des photos de leur petit dernier sur Instagram violent potentiellement le droit à l’image du bébé; mais comment les sanctionner ? En France, un projet de loi est étudié pour étendre ce droit aux mineurs, mais on peut douter de l’efficacité d’une telle mesure. Il y a deux ans, une photo détournée était reconnaissable par un expert dans 95% des cas. Actuellement, les meilleurs logiciels trompent même les meilleurs experts dans plus de 50 % des cas… Et cela ne va pas évoluer dans l’autre sens.

De fait, le problème fondamental est toujours le même; le monde numérique n’a jamais intégré la traçabilité dans son développement, et le monde politique n’a jamais pris conscience de l’importance de cette notion. Cette notion est aussi importante pour les personnes physiques que pour les documents électroniques (textes, photos, films) échangés sur Internet. Il est indispensable désormais de disposer d’une identité numérique indiscutable et fiable dans le cadre de tout échange sur Internet, que c elui-ci concerne des documents ou des personnes, voire des pseudo-personnes comme des chatbots ou autres entités virtuelles. Quant à ceux qui prônent une soi-disant liberté d’expression qui serait garantie par l’anonymat, qu’ils se préoccupent un peu des dégats occasionnés par le manque de traçabilité qui en résulte. Mais il est vrai que beaucoup d’acteurs de la planète numérique ont tout intérêt à conserver le statut quo : la bataille pour une traçabilité numérique n’est pas gagnée. Et corollairement, le droit à l’image pourra continuer d’être allègrement bafoué à l’avenir !