Le droit à l’image

Les logiciels de génération d’images synthétiques ont fait d’immenses progrès ces dernières années. Ils sont boostés par les technologies d’intelligence artificielle qui « apprennent » à reconnaître les différents composants d’une image et deviennent capables de les recréer et de les animer.

En 1993, Jurassic Park inaugurait timidement l’ère des images de synthèse animées, au cours de séquences où l’on voyait des troupeaux de dinosaures courir dans la prairie. L’animation était en partie réalisée à la main, et une séquence de quelques secondes demandait des heures, voire des jours de travail. Lorsqu’apparurent Le Seigneur des Anneaux, ou Harry Potter, seulement huit ans plus tard, l’intégration était déjà devenue beaucoup plus fluide, et les acteurs évoluaient de manière tout à fait réaliste aux côtés de monstres improbables. L’apparition de logiciels comme MASSIVE permettait de faire évoluer des armées d’êtres synthétiques qui pouvaient interagir les uns avec les autres, et se combattre au besoin.

Huit ans plus tard encore, Avatar ouvrait de nouvelles brèches dans l’univers de l’image de synthèse en introduisant des images d’une fluidité et d’un réalisme rarement expérimenté. Mais Avatar avait encore besoin d’êtres humains comme acteurs : il est en effet infiniment plus difficile d’animer un être humain synthétique qu’un monstre à l’écran, et cela reste vrai aujourd’hui. Mais pour combien de temps ?

De fait, si l’on n’a pas encore pu voir de nouveaux films mettant en scène James Dean ou Marylin Monroe, c’est probablement plus pour des questions juridiques que techniques. Dans l’état actuel de la juridiction, il parait plus que probable que les investisseurs rechignent à risquer des procès à répétition avec les héritiers de grands acteurs disparus; mais pour combien de temps ?

Actuellement, de nombreux logiciels libres, voire des sites spécialisés, vous permettent, à partir d’une ou plusieurs images de référence, de créer des images de synthèse réalistes mettant en image le modèle dans des circonstances arbitraires; encore difficiles à maîtriser il y a peu, ces logiciels sont désormais disponibles sur des smartphones où il promettent de faire beaucoup de dégâts chez les harceleurs en herbe que sont les écoliers et les adolescents. L’image de Sophie embrassant Jacques (vous pouvez remplacer le verbe embrasser, ainsi que les prénoms par ce que vous voulez) fera rapidement le tour des « amis » du harceleur, au plus grand dam des deux intéressés qui n’ont jamais eu de relations de quelque nature que ce soit ensemble. Mais allez donc contester une photo ! Et allez contester la rumeur que va inévitablement générer cette photo partagée parmi tous les élèves du lycée en question ! Récemment, un scandale a éclaté en Espagne parce que des adolescents ont publié des photos de leurs camarades de classe féminines nues. Les photos avaient été générées par un de ces nombreux programmes d’intelligence artificielle permettant de dénuder des personnes généralement de sexe féminin. Une simple photo prise avec un smartphone suffit et il peut ne pas être très évident de contester ensuite l’image résultant du passage par l’un de ces logiciels spécialisés. Pas plus que l’identité des gens, l’origine des documents n’est définie dans le monde numérique, en dépit des mises en garde d’experts depuis plus de vingt ans. Une problématique qui rappelle d’ailleurs étrangément l’absence de réaction du monde politique face à l’urgence climatique proclamée depuis plus de quarante ans maintenant par le monde scientifique.

Le droit à l’image est inscrit dans le code pénal de la majorité des démocraties occidentales; mais il se révèle incroyablement difficile à appliquer. Les parents qui publient des photos de leur petit dernier sur Instagram violent potentiellement le droit à l’image du bébé; mais comment les sanctionner ? En France, un projet de loi est étudié pour étendre ce droit aux mineurs, mais on peut douter de l’efficacité d’une telle mesure. Il y a deux ans, une photo détournée était reconnaissable par un expert dans 95% des cas. Actuellement, les meilleurs logiciels trompent même les meilleurs experts dans plus de 50 % des cas… Et cela ne va pas évoluer dans l’autre sens.

De fait, le problème fondamental est toujours le même; le monde numérique n’a jamais intégré la traçabilité dans son développement, et le monde politique n’a jamais pris conscience de l’importance de cette notion. Cette notion est aussi importante pour les personnes physiques que pour les documents électroniques (textes, photos, films) échangés sur Internet. Il est indispensable désormais de disposer d’une identité numérique indiscutable et fiable dans le cadre de tout échange sur Internet, que c elui-ci concerne des documents ou des personnes, voire des pseudo-personnes comme des chatbots ou autres entités virtuelles. Quant à ceux qui prônent une soi-disant liberté d’expression qui serait garantie par l’anonymat, qu’ils se préoccupent un peu des dégats occasionnés par le manque de traçabilité qui en résulte. Mais il est vrai que beaucoup d’acteurs de la planète numérique ont tout intérêt à conserver le statut quo : la bataille pour une traçabilité numérique n’est pas gagnée. Et corollairement, le droit à l’image pourra continuer d’être allègrement bafoué à l’avenir !

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