Diversité

« il ne faut jamais mettre tous ses oeufs dans le même panier ».

Cette sagesse populaire cache une vérité fondamentale. Un système résilient est un système qui s’est doté d’alternatives crédibles en cas de dysfonctionnements; apparemment, nombre d’entre nous ont oublié cette vérité pourtant fondamentale, au profit de critères d’enrichissement ou de volonté de pouvoir personnels.

Ainsi, l’agriculteur sait qu’il devrait avoir plusieurs cordes à son arc; dépendre de la seule vigne ou de la seule récolte d’abricots, par exemple, le rend vulnérable à un orage de grêle ou à des gels printaniers inopportuns; il doit donc diversifier ses sources de revenus pour être en mesure de faire face à une catastrophe naturelle (même si le réchauffement climatique induit par l’homme rend le terme « naturel » quelque peu abusif actuellement).

Il y a eu très récemment une panne informatique d’ampleur mondiale dûe à un bug informatique. Ce bug a été introduit par un logiciel d’antivirus – ironie ! – crée par la firme américaine CrowdStrike et censé protéger les infrastructures « cloud » et les postes terminaux dans l’écosystème Windows de Microsoft. Ce bug a été diffusé dans le monde entier grâce aux systèmes de mise à jour automatique, en l’occurence beaucoup plus efficaces que n’importe quel pirate informatique russe pour mettre à genoux l’économie occidentale. L’informatique et les technologies de l’information sont un contre-exemple frappant de la diversité : nous ne communiquons pratiquement plus qu’à travers le protocole de communications IP, nous utilisons des postes de travail basés sur Windows (pas loin de 90%, plus même dans les environnements professionnels) ou UNIX (MacOS ou Linux); et nous sommes généralement connectés à des serveurs cloud, souvent même sans le savoir. Il en va ainsi également de nos smartphones, où il devient difficile à un non-expert d’éviter le transfert de ses données sur des serveurs éloignés. Ces dépendances nous rendent extrêmement vulnérables, à l’heure de la dématérialisation, de la virtualisation, où même les cartes de crédit sont en voie de disparaître progressivement au profit du paiement par smartphone ou par montre connectée.

Le pire, c’est que ces tendances à la centralisation et à la virtualisation ne profitent guère aux utilisateurs, sinon par un sentiment de confort souvent cher payé en cas d’arnaques. En revanche, les revenus et la puissance que confèrent à leurs propriétaires cette hégémonie posent des problèmes même aux plus grands états; on l’a vu dans le secteur bancaire : « Too big to fail »… Même les néo-libéraux les plus convaincus, les Reagan en herbe, les Thatcher en devenir, commencent à émettre des doutes sur la viabilité des géants des technologies de l’information qui sont parvenus à rendre le monde entier dépendant de leur bon vouloir. Elon Musk n’a-t-il pas à un moment donné pris des décisions ayant favorisé l’une ou l’autre partie dans la guerre que se livrent l’Ukraine et la Russie ?

En ce qui concerne les technologies de l’information, le monde a mis pratiquement tous ses oeufs dans le même panier; dans les années 1970-1980, le monde académique avait défini un environnement « ouvert », (OSI, Open Systems Interconnect) qui était destiné à assurer l’interopérabilité des systèmes de télécommunications et informatiques; nombre d’opérateurs ont tenté jusque dans les années 1990 d’implémenter ce modèle exemplaire, basé sur l’interopérabilité de systèmes hétérogènes. Il a été balayé en quelques années par des solutions plus simples et moins interopérables promues par des entreprises visant un profit rapide et maximal. Que ces entreprises aient eu ces objectifs est compréhensible, c’est l’objectif de toute entreprise dans un système prônant l’économie libérale; mais les lois visant à encourager la concurrence plutôt que l’hégémonie n’ont pas – ou mal – fonctionné. Ceux qui auraient alors dû réglementer ce développement étaient dépassés par la problématique, ou n’ont pas anticipé la mainmise actuelle de certaines entreprises plus puissantes que nombre d’Etats, et non des moindres, mais qui sont aussi des colosses au pied d’argile.

Les technologies que nous utilisons et consommons chaque jour font toutes parties d’écosystèmes homogènes et provenant d’un nombre très restreint de sources; que l’une de ces sources vienne à faire défaut, et c’est une partie considérable de l’édifice de notre société qui se lézarde. Le cas de CrowdStrike n’est qu’un avertissement; avec frais.

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