Fondation

Récemment, j’ai relu « Fondation« , un recueil de nouvelles de science-fiction écrit par Isaac Asimov entre 1957 et 1965; il a par la suite complété ce recueil par une série de romans plus volumineux qui permettaient à l’écrivain de relier ces récits au reste de son œuvre très riche, et accessoirement d’intéresser des lecteurs plus jeunes à ces récits. Les revenus associés aux droits d’auteur, c’est toujours bon à prendre, non ? Bref.

Les récits de ces nouvelles sont censés se dérouler dans un futur éloigné, à 20 ou 30000 ans de nos jours. L’humanité a découvert le moyen de voyager de manière quasi instantanée sur des distances astronomiques et a ainsi colonisé la galaxie et fondé un Empire Galactique comprenant plusieurs centaines de milliers de planètes habitables ou terraformées. Un mathématicien génial, Hari Seldon, a inventé une nouvelle science, ou une méta-science, intégrant des aspects sociologiques, psychologiques, historiques, mathématiques et statistiques qu’il a appelé « psychohistoire » et qui permet de prédire l’évolution future probable d’une société d’êtres humains, étant donné un point de départ déterminé. Et cette science lui permet de prédire clairement que l’Empire Galactique va sombrer dans le chaos et être détruit; bien qu’il soit encore possible, non pas de le sauver, mais d’atténuer considérablement les conséquences de cette chute inéluctable en prenant les mesures nécessaires.

Ces prédictions ne sont guère du goût du pouvoir en place, qui craint les critiques que pourraient engendrer des nouvelles pessimistes, et de surcroît n’est guère enclin à modifier quoi que ce soit à ses manières de faire habituelles (ce qui s’avère par ailleurs être l’une des causes du futur effondrement de l’Empire). Il fait donc arrêter Hari Seldon en l’accusant de tentative de subversion en vue de renverser le pouvoir en place. S’ensuit un procès à huis clos où, pour se défendre, Hari Seldon doit démontrer le bien-fondé de sa théorie psychohistorique alors même que ses juges ont pour mission de démontrer que les prédictions du mathématicien sont infondées. Malheureusement pour eux, la démonstration mathématique est difficilement réfutable, et le procès aboutit à une impasse où l’accusé sait qu’il a raison et le prouve mathématiquement, et ses accusateurs ainsi que le jury savent également qu’il a parfaitement raison, mais sont dans l’impossibilité de l’admettre pour ne pas désavouer le système gouvernemental en place. Le résultat, c’est que Hari Seldon est lavé de toute accusation de sédition, mais aucune mesure d’une quelconque efficacité n’est entreprise afin de ne pas inquiéter inutilement les populations. Tout au plus entreprend on la rédaction d’une compte-rendu exhaustif de toutes les connaissances de l’Empire (une sorte d’Encyclopédie Galactique) afin de s’assurer que les connaissances existantes ne seront en aucun cas perdues. Ce qui bien sûr ne résout strictement rien, mais Hari Seldon, grâce à la psychohistoire, avait prédit ce dénouement, et le récit pourra se poursuivre avec l’implantation de la Fondation pour l’Encyclopédie sur une planète éloignée (pour qu’elle ne perturbe pas le gouvernement), laquelle va évoluer pour devenir progressivement le pouvoir succédant à l’Empire Galactique.

Le point intéressant, c’est ce moment tragi-comique où tout le monde sait que l’accusé a raison, qu’il va se passer des choses graves, mais où on n’entreprend rien parce que cela pourrait éventuellement modifier la situation existante et déstabiliser certains pouvoirs en place, qu’ils soient politiques, sociaux ou économiques. Mieux vaut percuter le mur plus tard que de risquer d’être légèrement déséquilibré par une manœuvre d’évitement.

C’est une situation remarquablement similaire que j’ai retrouvé dans le rapport final de la COP26 à Glasgow. Tous les protagonistes ou presque sont convaincus de l’exactitude des prédictions des scientifiques concernant l’évolution du climat sur terre. Tous savent que le train « Humanité » roule à grande vitesse sur les rails « Energies Fossiles » et qu’il va dans le mur; qu’il serait donc urgent de « planter les freins », ou d’emprunter le prochain aiguillage à gauche ou à droite, ou mieux encore, faire les deux choses. Mais tout ce que l’on consent à faire, c’est de conseiller de lever légèrement le pied de l’accélérateur.

Remarquablement similaire au cas de Hari Seldon, vous ne trouvez pas ?

Sauf que Hari Seldon, c’est de la science-fiction, et que ce mathématicien dispose de centaines de milliers de planètes pour établir sa Fondation et la faire prospérer. COP26, c’est hélas la réalité, notre réalité, et pour ce qui est des autres planètes…

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