Changer le monde…

Je me souviens de mon père, qui avait vécu deux guerres mondiales comme mobilisé (en élite pour la première, en vétéran pour la seconde, mais en Suisse il est vrai) et qui voulait changer le monde. Son espoir résidait dans la victoire du socialisme mondial, du communisme à la sauce Union Soviétique. Il croyait dur comme fer en l’abolition des riches et en la dictature du prolétariat prônée par Karl Marx. Il était prêt à excuser les exactions de Staline, les expliquant par la nécessité d’éliminer les contre-révolutionnaires; les Américains représentaient l’injustice, le capitalisme la mort de la société et la misère du peuple.

J’ai commencé par adhérer aux opinions et aux convictions de mon père, qui était un modèle pour moi, comme pour beaucoup de petits enfants. Quand j’ai commencé à diversifier mes sources d’information, je me suis mis à douter de la pertinence du communisme comme modèle de société. De plus, j’étais dans un collège-lycée géré par des religieux, et ceux-ci ont tendance à prôner des modèles de société quelque peu différents du communisme. Si je me suis intéressé un temps au modèle mis en avant par les chanoines, j’y ai renoncé relativement tôt après l’adolescence; les contradictions des chanoines étaient suffisamment évidentes pour que même un adolescent peu expérimenté s’en rende compte. D’ailleurs, un de ces enseignants ecclésiastiques était surnommé « touche-pipi » par les internes, ce qui en dit long sur la crédibilité de ces personnes soi-disant vertueuses et abstinentes. Je veux préciser ici que je n’ai moi-même jamais été agressé, ni importuné de quelque manière que ce soit (sinon par l’une ou l’autre heure de colle probablement méritée) par cette personne ou une autre de cette institution; mais je n’étais pas à l’internat, il est vrai.

Le modèle religieux monothéiste m’est néanmoins paru assez tôt boiteux, reposant sur une croyance qui me semblait de plus en plus arbitraire, au fil de mon parcours vers l’âge adulte. D’ailleurs, les religions monothéistes tiennent une place de choix dans les grands fauteurs de guerre et de massacres qui ont peuplé l’humanité; au palmarès des doctrines sanguinaires, Abraham (père supposé des religions juive, chrétienne et islamique) figure (à son insu il est vrai) en bonne position dans un hit-parade qu’occupent aussi, dans le désordre, Hitler, Mao ou Staline. Le modèle religieux ne m’a finalement pas convaincu. En fait, je me suis mis à douter un peu de tous les modèles, car j’ai assez vite constaté l’inanité des tentatives visant à définir un modèle de société pouvant convenir à tout le monde et en tous temps, ce que hélas nombre de politiciens prônent encore aujourd’hui avec assurance et persévérance !

L’injustice, la corruption et la tyrannie semblent être de grandes constantes dans l’histoire de la civilisation : les puissants bâtissent des empires en exploitant les plus démunis, que cette puissance s’exprime par la force des armes, par le pouvoir de la répression ou la puissance conférée par des moyens économiques démesurés. Tous les systèmes se valent pour imposer ses vues, même les démocraties occidentales dont nous sommes si fiers : des escrocs comme Berlusconi ou Trump suffisent pour nous en convaincre. “La démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes” disait Winston Churchill; bien que cette phrase mérite d’être replacée dans le contexte de frustration où elle a été prononcée (Churchill venait de perdre le pouvoir contre le travailliste Clement Attlee), elle exprime une malheureuse réalité : on n’a actuellement rien trouvé de mieux que la démocratie, n’en déplaise à Poutine ou à Xi, ou encore à des primates dégénérés se réclamant d’un Allah qui a probablement, s’il existe, renoncé à se préoccuper de l’humanité devant tant de stupidité et de méchante bêtise.

Il faudrait changer le monde, mais je ne sais pas comment faire; quelqu’un a-t-il une idée ? C’était en substance le refrain de la chanson « I’d love to change the world » (1971) de Ten Years After: I’d love to change the world / But I don’t know what to do / So I’ll leave it up to you.

Dans les années 1970-80, sur la côte ouest des Etats-Unis, un groupe improbable composé de brillants universitaires, de hippies « peace and love » et de militaires saturés de guerre froide et de Vietnam avaient trouvé une réponse à cette question : il fallait faire communiquer les gens entre eux. Soit dit entre parenthèses, l’idée n’était pas nouvelle, mais les moyens technologiques à disposition semblaient rendre enfin la chose réalisable; c’est aussi incidemment pour cette raison (entre beaucoup d’autres) que je me suis intéressé à l’électronique et aux télécommunications. Les membres de ce groupe réalisèrent ce que nous appelons aujourd’hui Internet. Ce que l’on a baptisé « Printemps arabe » est une révolte populaire née en partie des réseaux sociaux, eux-mêmes le fruit d’Internet, Mais bon, quelques années plus tard, Mouammar Khadafi est bien mort, mais la Lybie (même sans mentionner le drame de Derna) se porte-t-elle mieux ? Pour ne rien dire de la Tunisie où Ben Ali est parti, mais où le pouvoir n’a finalement guère changé. Et on pourrait citer Tian’anmen ou la Révolution des parapluies, des exemples où Internet a joué un rôle prépondérant, mais pour un résultat décevant et même contre-productif à court ou moyen terme. Si Internet a joué un rôle (et c’est certainement le cas par les temps qui courent), l’amélioration ne semble pas évidente pour le moment. En revanche, les régimes autocratiques et les dictateurs en herbe ont rapidement compris l’intérêt que présente un réseau de communications global; ils se sont approprié l’outil et n’hésitent pas à l’utiliser pour déstabiliser les démocraties avec de fausses informations et des complots fantaisistes, ou en manipulant l’opinion publique. L’élection de Donald Trump en 2016 n’aurait jamais dû avoir lieu, mais les réseaux sociaux (influencés par des usines à trolls russes) sont parvenus à influencer suffisamment l’opinion publique pour inverser la tendance favorable à Hillary Clinton et aux démocrates; de nombreuses usines à trolls sont implantées un peu partout dans le monde, en Russie notamment, ou le défunt Evgueni Prigojine en avait crée dans le contexte de la guerre contre l’Ukraine. Oui, indiscutablement Internet a changé le monde; mais était ce ainsi que cela avait été pensé à l’origine ?

Plus préoccupant, Internet a fourni à quelques entreprises des pouvoirs démesurés; bien sûr il y a les moyens financiers de géants comme Amazon ou Google; mais il y aussi le pouvoir que peut receler le contrôle d’une infrastructure devenue vitale. Ainsi, on soupçonne que le réseau d’accès satellitaire Starlink a été volontairement coupé pour interférer avec la guerre entre l’Ukraine et la Russie. Le simple fait qu’un individu, aussi intelligent ou stupide soit-il, puisse disposer de ce pouvoir est extrêmement préoccupant. Mais à partir du moment où de simples particuliers disposent de moyens financiers et techniques dont l’ordre de grandeur est similaire à celui de beaucoup d’Etats, comment empêcher la chose ?

D’aucuns se sont fait un devoir d’imaginer un monde plus simple, sans dieu ni diable, sans canons et sans argent; C’est le thème de Imagine de John Lennon. Mais bon, Lennon était multimillionnaire , et il a été assassiné par un cinglé. Sa chanson est devenue un tube planétaire, un hymne à la non-violence; mais qu’est-ce que cela a changé pour le monde ? Pas simple, de changer le monde…

Bon, je crois que je vais renoncer à changer le monde dans l’immédiat. En attendant, j’écoute une bonne chanson française; tiens, par exemple, « Le pouvoir des Fleurs« , de Laurent Voulzy. Paroles de Alain Souchon, bien sûr. Histoire de parler d’autre chose… Ou pas.

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