Du Xème au XIIème siècle, l’Occident connut une société bâtie sur la relation très hiérarchisée entre un roi, des seigneurs, des vassaux et des serfs; on a appelé ce système le système féodal. Le roi était le souverain suprême, de droit divin; il dirigeait- ou parfois combattait – des seigneurs plus ou moins importants, ducs, marquis ou autres nobles, qui eux-mêmes disposaient de vassaux qui en dernier ressort commandaient à des serfs qui cultivaient la terre et recevaient la protection de leurs suzerains en échange de leurs récoltes et de leur bétail. Les serfs étaient illettrés, et la vision du monde qu’ils avaient leur était entièrement transmise par les religieux lors des messes, car les religieux étaient pratiquement seuls à savoir lire et écrire : ils contrôlaient donc complètement l’information. Ils dépendaient aussi d’une certaine manière des seigneurs qui les financaient en échange de l’absolution de leurs péchés. Indirectement, les seigneurs contrôlaient donc ce que leurs sujets de la plus basse extraction savaient du monde. Une meilleure diffusion de l’information lors de la Renaissance, en partie encouragée par l’invention de l’imprimerie par Gutenberg, permit d’élever le niveau de connaissance des vassaux, puis des serfs, et le système féodal tomba peu à peu en désuétude, même si le principe hiérarchique qui lui était associé survécut longtemps encore en Europe. Actuellement encore subsistent des rois dont le pouvoir est souvent limité à de la représentation et à l’alimentation de la presse à scandales.
La Renaissance, dans un premier temps, puis le siècle des lumière et la révolution française eurent raison des derniers soubresauts de ce système féodal ultra-hiérarchisé, fondé sur l’exploitation des plus démunis en faveur des gens nantis, dont la seule qualité était la naissance dans une famille de la noblesse.
Les Etats-Unis s’apprêtent à acclamer leur nouveau président; mais pas que lui. A ses côtés, outre une équipe de supporters politiques bien établie se profilent les géants de la technologie, Elon Musk en tête bien sûr, mais aussi Tim Cook, Mark Zuckerberg, et Jeff Bezos pour ne citer que les plus fortunés. Ces gens ont le pouvoir de contrôler l’information, peut-être de manière moins absolue que ne le faisait l’église au XIIème siècle, mais de manière suffisamment efficace pour entretenir une désinformation nécessaire à l’entretien du pouvoir du président.
Donald Trump n’est pas une exception, il ne fait que suivre l’exemple de Poutine et ses oligarques, de Xi et de ses milliardaires très contrôlés, de Erdogan et d’autres, qui ont tous su modifier la constitution de leur pays pour s’arroger le pouvoir à vie, en s’entourant de proches plus ou moins sûrs, ou en tous cas suffisamment contrôlés pour pouvoir être éliminés rapidement au besoin. C’est sur ce dernier point que Trump aura peut-être des soucis dans le proche avenir, car les institutions américaines ne seront peut-être pas si faciles à contourner ou à supprimer que cela a pu être le cas dans d’autres pays.
Le roi -pardon, président- et son gouvernement d’un côté, les seigneurs économiques de l’autre. Serions-nous accidentellement, par le biais d’une faille dans l’espace-temps, revenus à l’époque des seigneurs féodaux ? Si l’église n’a plus le monopole de la désinformation, les géants des technologies de l’information et de la désinformation sont les auxiliaires du pouvoir en place, même si ce rôle de simples auxiliaires pourrait ne pas suffire longtemps à satisfaire leurs ambitions. La similitude avec le système féodal est en tous cas frappante. Il suffit de constater ce que beaucoup de pays vivent déjà pour se rendre compte que l’on n’est pas très éloigné d’un système fondé sur les inégalités les plus criantes entre ceux qui détiennent le pouvoir et ceux qui le subissent. D’ailleurs, certains états comme l’Arabie Saoudite n’ont jamais vraiment abandonné le système féodal, et semblent vouloir exporter leur prospérité pétrolière dans le monde entier à coups de milliards, de projets débiles, de coupe du monde de foot et autres jeux asiatiques d’hiver. D’ailleurs, Elon Musk n’est pas en reste, en matière de projets irréalistes, lui qui veut établir une colonie permanente sur Mars.
Ne restera-t-il que l’Europe pour défendre les valeurs démocratiques ? Voire… L’Italie est gouvernée par l’extrême droite, l’Allemagne, la France et l’Autriche sont minées par des partis ultra-conservateurs, pour ne rien dire du Royaume-Uni qui ne fait plus partie de la communauté européenne. Et les oligarques américains n’ont pas attendu l’élection de leur guide suprème pour attaquer ouvertement les démocraties européennes affaiblies, en prônant l’accession au pouvoir de l’extrême droite chaque fois que cela semble possible, et dénigrant ouvertement les partis au pouvoir.
Les seigneurs sont de retour; et ils n’ont pas beaucoup changé par rapport aux seigneurs du Moyen Age. Le pouvoir et l’appât du gain sont toujours leurs premières priorités, et dans cette logique, la démocratie est clairement un obstacle.
Bienvenue dans le nouveau système féodal.