Vieux ? moi ?

Voici quelques jours, je sortais d’un marché avec mes emplettes à la main, quand un adepte de trottinette circulant à bonne allure sur le trottoir, malgré la fréquentation faillit percuter une dame proche de moi. Dans son mouvement d’évitement un peu désespéré, il faillit me percuter moi aussi, ce qui entraîna une remarque agacée de ma part, genre « Ca va pas, non ? », ou quelque chose de similaire. Cette remarque eut pour résultat de la part du jeune chauffard la phrase « Pousses ton cul, vieux con ! » lancée par-dessus son épaule. Il esquissa même un doigt d’honneur, mais faillit perdre le contrôle de son deux-roues en lâchant le guidon, le rebord du trottoir le forçant à utiliser ses deux mains pour le contrôle de son engin. Inutile de dire qu’il continua ensuite son chemin, et je n’ai pas eu de nouvelles de cette personne, ce qui me convient parfaitement.

La vulgarité de la phrase de ce pré-adolescent ferait penser à un jeune pithécanthrope éduqué par un couple de phacochères asociaux, si un président de la République Française n’avait, en son temps utilisé une expression similaire à l’égard de l’un de ses administrés. Mais bon, je ne connais pas non plus les personnes qui se sont chargées de l’éducation de M. Nicolas Sarkozy. Peut-être suis-je injuste envers les phacochères ? Et puis, on est toujours le con de quelqu’un (Pierre Perret), si bien que cette épithète n’a plus grand-chose de vexatoire, en réalité. Je dirais même qu’il peut être jubilatoire et gratifiant d’être traité de con par certains ; en ce qui me concerne, si je me faisais traiter de con par M. Trump, je me dirais que je ne peux pas être complètement déraisonnable. Je dis Trump, mais il y a de nombreux autres exemples.

« Vieux » ? Voilà un qualificatif qui m’interpelle davantage. Probablement parce que le fait de mettre un « 7 » à la place des dizaines dans le nombre d’années qui représente mon âge m’a déjà rendu sensible au temps qui passe ? Quand est-on « vieux » ? C’est vrai que ma dégaine n’est plus vraiment d’actualité : Blue-jean même pas troué, polo presque propre et pull de coton jeté sur l’épaule, cheveux blancs se raréfiant avec un look de baba cool des années 80 et une silhouette qui tend à s’empâter sous l’effet conjugué des bons petits plats préparés par ma chère épouse, du rosé généreux élevé par mes amis vignerons, et d’un exercice physique pas toujours optimal… Et au fil des années, je me suis mis à préférer nettement l’épicurisme au stakhanovisme, et le rock des années 80 au rap du 21ème siècle. Le résultat doit faire un peu ringard, je suppose. Voire carrément «has been».

Malgré cela, je ne me sens pas vieux. Même si je recompte mes petites pilules le matin au petit déjeuner, même si je préfère lors des randonnées parcourir les montées à la descente, même si mon corps est maintenu en état de fonctionnement par un petit bidule implanté sous mes muscles (enfin, ce qu’il en reste), je n’ai pas l’impression d’être trop décrépit. Je ne me reconnais pas dans les vers de Jacques Brel qui a écrit une chanson particulièrement sombre sur le sujet, si les paroles ne vous font pas peur… Alors, mon jeune pithécanthrope à la trottinette peut me traiter de vieux con à sa guise, cela ne me traumatise pas exagérément; quant à lui, s’il n’est provisoirement qu’un jeune con, il risque, sauf à évoluer radicalement, de devenir assez rapidement un sale con, puis un gros con, un pauvre con et au bout de la route, un vieux con lui aussi.

D’ailleurs, avec l’âge viennent l’expérience et la sagesse (enfin, pas chez tout le monde, mais on l’admet généralement); dans de nombreuses civilisations (asiatiques et amérindiennes, par exemple), les Anciens étaient les conseillers respectés des jeunes et vigoureux chefs à qui ils apportaient cette expérience faisant défaut aux guerriers. Dans nombre de civilisations modernes, cette coutume a perduré, parfois à l’excès, avec l’élection ou le maintien de dirigeants cacochymes ou carrément séniles, comme récemment en Algérie, avec M. Abdelaziz Bouteflika, qui a passé les dernières années de son mandat gouvernemental dans son fauteuil roulant, grabataire suite à un accident vasculaire cérébral.

Pour ceux de nos dirigeants qui se targuent de leur âge pour mettre en avant leur expérience et une potentielle sagesse afin de se faire élire aux plus hautes responsabilités, qu’ils se méfient : un âge avancé est effectivement réputé pour être le domaine privilégié de l’expérience et de la sagesse; mais c’est aussi l’antichambre de la sénescence, et le marchepied vers la sénilité.

Il en va bien sûr de même pour moi; mais je n’ai ni les pouvoirs, ni les responsabilités de certains dirigeants; si, du fait d’une pathologie, de l’âge ou par simple distraction, je me trompe de bouton, c’est la lumière de la salle de bains qui s’allume au lieu de celle de la cuisine, alors que… Au fait, Vladimir, mon presque contemporain : ce diagnostic de démence sénile précoce aggravée, c’en est où ?

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