L’école des médiocres

Le conseil fédéral en Suisse est formé de sept sages (ou considérés comme tels) qui président collégialement aux destinées du pays. Enfin, c’est l’idée générale. Sauf que le terme « collégial » implique généralement une certaine collaboration, un apport mutuel fondé sur la complémentarité et une saine et constructive émulation, et que ce n’est guère l’impression qui se dégage de cet aréopage ces derniers temps.

On aurait pu espérer que le départ à la retraite du peu collégial ministre des Finances Ueli Maurer améliorerait l’entente entre les différents ministres, mais à vrai dire, ce n’est pas vraiment évident. Ce ministre des Finances (qui se passionnait à vrai dire davantage pour les sonneurs de cloches qu’il fréquentait affublé d’un T-shirt ridicule) était en exercice depuis 2016 (il avait auparavant dirigé le département militaire entre 2009 et 2015); il a de ce fait eu le temps de suivre pas à pas la déchéance du Crédit Suisse qu’il était censé surveiller au travers de l’autorité de surveillance des marchés financiers (FINMA). Il a d’ailleurs probablement suivi de près cette déconfiture, suffisamment en tous cas pour juger en septembre 2022 qu’il était temps de partir à la retraite et de refiler la patate chaude à son successeur. Courage, fuyons ! C’est madame Karin Keller-Suter qui a eu le privilège d’improviser avec les cadavres découverts (ou redécouverts) dans le placard, et de fusionner deux dinosaures pour constituer un monstrosaure dont tout le monde se demande pendant combien de temps il restera viable, et à quel prix.

Bien que l’on ne puisse guère me suspecter d’admiration pour le peu regretté Ministre des Finances, force est de constater qu’il n’est hélas pas le seul à afficher une attitude pour le moins passive face aux évènements qui secouent la période actuelle. Aussi lentement que possible, et moins vite que nécessaire, pourrait-on dire pour parodier le Ministre de l’Intérieur.

Parce qu’il y a aussi Poutine, bien sûr, qui incite certains à poser la question de la neutralité suisse ! Et pourtant, c’est si bien la neutralité : on ne se fâche avec personne, on fait des affaires avec tout le monde, et les guerres permettent de s’enrichir ! On en veut pour preuve la Deuxième Guerre Mondiale, où on était copains avec tout le monde et où on a fait des bénéfices avant, pendant et après le conflit. En fait, surtout pendant. Alors on ne va pas trop se dépêcher de vouer aux gémonies l’agression de Poutine, non ? D’aucuns diront que la neutralité permet à la Suisse de jouer un important rôle de médiation; mais ce n’est pas très convaincant. Depuis 2006, la Suisse joue le rôle de représentation des Etats-Unis envers l’Iran; l’actualité montre que le régime des mollahs n’a pas beaucoup évolué depuis; et il semble même que cette représentation soit moyennement appréciée par le gouvernement américain… Cela permet au moins à l’ambassadrice de Suisse à Téhéran de s’afficher avec son plus beau tchador, au mépris des femmes iraniennes qui se battent pour s’en débarrasser.

Nombre de pays européens fustigent la Suisse qui interdit la réexportation d’armes; il est difficile de ne pas leur donner en partie raison lorsqu’il leur semble absurde de fabriquer et d’exporter des armes que l’on n’a pas le droit d’utiliser : tant qu’à faire, autant ne pas exporter d’armes du tout, le discours sera plus cohérent. Et puis allons jusqu’au bout du raisonnement, ne fabriquons pas d’armes, et la question ne se posera plus, et même M. Jean-Luc Addor n’aura plus d’objections à faire valoir (ce qui serait, soit dit au passage, dramatique pour l’ego de cet ancien militaire).

Les Helvètes ont pris l’habitude de la situation confortable dans laquelle ils sont protégés par leurs voisins européens, profitant de leurs infrastructures et de leur marché, mais n’en font pas partie, ce qui au passage leur évite de devoir se plier à certaines règles en vigueur dans l’Union Européenne. Ainsi, un sondage récent montre que les citoyens suisses continuent à se bercer de l’illusion qu’ils pourront continuer à vivre dans le monde des accords bilatéraux, même si l’UE a clairement dit que ces accords tomberaient en désuétude et devaient être remplacés par un accord-cadre dont ls premiers travaux datent de 2008. Accord-cadre dont une première version a été déchirée en 2021 par le Conseil Fédéral (sous l’impulsion de l’UDC et de l’USS, frères ennemis unis par des forces négatives), et dont aucune nouvelle version n’est mise en chantier jusqu’à maintenant. Il aura fallu une initiative privée pour que M. Maros Sefcovic, vice-président de la Commission européenne soit convié en Suisse; coïncidence sans doute, on nous annonce la reprise des négociations avec l’UE pour le mois de juin courant !

Gouverner, c’est réagir aux évènements quand on ne peut vraiment plus faire autrement. (Le Conseil Fédéral de la Suisse, quelque part au vingt-et-unième siècle)

Dernière manifestation du niveau minable de la politique en Suisse : la gauche vaudoise (socialistes et verts) qui attaque une adversaire politique sur des vétilles fiscales, faute de disposer d’un projet susceptible de mobiliser un électorat depuis trop longtemps lassé par la morosité du discours politique purement électoraliste et désespérément vide qu’on lui propose. A court d’idées, on attaque des personnes… Si au moins la critique s’adressait aux compétences professionnelles, mais non, c’est des à-côtés anecdotiques qui sont mis en exergue pour tenter de faire tomber une personne par ailleurs légitimement élue par le peuple censé être souverain (même si le souverain peut aussi se tromper parfois). Notons au passage que sa fraude fiscale supposée s’élève à quelque CHF 175.-, alors que l’expertise qui a permis d’établir ce fait a dû se chiffrer en pas mal de milliers de francs pour le contribuable vaudois !

J’espère que l’on a touché le fond, là, parce que plus médiocre que cela, j’ai de la peine à concevoir. Mais je suppose que l’un ou l’autre politicien de renom ne tardera pas à me détromper. M. Nydegger, peut-être ? Sa dialectique de qualité, sa rhétorique brillante et ses réparties bien huilées par sa profession d’avocat dissimulent très efficacement une absence de vision consternante : ne rien changer, restons cachés, les étrangers sont le danger, l’Europe est toxique, etc…

La scène politique suisse est devenue un conglomérat de personnes majoritairement médiocres. On ne se préoccupe pas de l’avenir (ca fait peur, l’écologie, la guerre, tout ça), mais juste du présent; nos enfants ? Bôf, ils se débrouilleront, on verra ça en temps utile, d’ici là on trouvera des solutions. Des projets ? Pourquoi faire, on est bien comme ça, non ?

Lorsque j’exerçais encore comme enseignant, et que j’encourageais mes étudiants à entreprendre, je leur expliquais systématiquement qu’il ne faut jamais craindre l’échec d’une entreprise : le seul moyen de ne pas risquer l’échec est de ne rien entreprendre; et les Américains (que je n’admire pas forcément) ont cette qualité de considérer que quelqu’un qui a entrepris quelque chose et s’est planté a appris de son échec; en Suisse, on tend plutôt à le traiter de loser. Du coup, ce sont ceux qui n’entreprennent rien (et qui donc ne courent pas le risque de se tromper), qui sont promus aux postes à responsabilité. Ceci favorise peut-être la stabilité dans une certaine mesure, mais quelle école de la médiocrité !

2 réflexions sur « L’école des médiocres »

    1. Moi aussi, je suis heureux d’avoir de vos nouvelles. Encore que la manière m’ait fait longtemps hésiter quant au caractère approprié de ma réponse; bref. Vous m’apprenez que vous souffrez d’acouphènes violents et m’en voyez navré. Ma grand-mère (hélas décédée) avait un remède efficace contre ce genre d’affections : c’était de renoncer à la consommation de reblochon. Reblochon zurichois, il faut le préciser, parce que le reblochon fruitier savoyard est à consommer sans modération. Et il existe d’excellents succédanés vaudois ou fribourgeois pour les allergiques aux produits étrangers pas de chez nous ! Bon, ceci dit, je vous souhaite tout de bon, et au plaisir d’un prochain échange de vues passionnant. Cordialement.

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