Il y a quelques jours, j’étais chez des amis, et un article dans un magazine consacré à l’automobile ouvert sur la table du salon a attiré mon attention. Son intitulé était « A contresens sur l’autoroute de la pensée unique« . Pour l’essentiel, il contenait une interview d’un professeur des universités français, M. Yves Roucaute, qui niait les causes humaines du réchauffement climatique, et qui minimisait les risques de pénurie d’énergies fossiles à l’avenir. Il dénonçait en outre des intentions anti-démocratiques de la « dictature verte », et les atteintes à la liberté individuelle dont les mouvements écologistes se rendaient selon lui coupable. Il a écrit entre autres ouvrages « L’obscurantisme vert. La véritable histoire de la condition humaine« , éditions du Cerf, 2022.
Le discours m’a intéressé, pas du tout pour les opinions qu’il défendait, mais par son appartenance à cette mouvance éco sceptique qui ne fait pas énormément de bruit, mais qui reste toujours sous-jacente et bien représentée dans l’opinion publique. Beaucoup de décideurs, et non des moindres, tendent à se retrouver dans ce genre de discours, même si le plus souvent ils rechignent à l’admettre en public. De fait, ce monsieur est loin d’être isolé dans ses opinions; même si l’on peut mettre en doute ses compétences en climatologie (il est professeur de philosophie et de droit, et a été conseiller technique dans plusieurs ministères), le nombre de scientifiques éco sceptiques est relativement conséquent, comme tend à l’indiquer cette liste des scientifiques qui ne croient pas aux causes humaines du réchauffement climatique.
La liste en question n’est probablement pas exhaustive, et contient par ailleurs quelques références discutables, à l’exemple de Claude Allègre, qui traîne une réputation sulfureuse en matière scientifique, notamment pour ses prises de position discutables à l’époque des scandales liés à l’amiante. On y trouve aussi M. Didier Raoult, le microbiologiste ayant proposé un traitement pour le moins controversé à base d’hydroxychloroquine pour le traitement du Covid-19. Mais il y a aussi des noms accompagnés d’un pedigree (pardon, d’un curriculum vitae) impressionnant : comment peuvent ils nier ce qui semble pourtant constituer une évidence scientifique ?
En réalité, la démarche scientifique ne laisse que peu de place à la notion d’évidence; c’est ce qui fait sa plus grande force, mais c’est aussi sa faiblesse. Alors qu’un argument basé sur une croyance ne supporte aucune contradiction (comment contredire un créationniste, qui postule qu’il a raison a priori ?), un argument scientifique est par nature contestable, et toute démarche scientifique doit l’être. Et même lorsqu’une série de faits semble parfaitement avérée, un fait nouveau peut survenir qui va profondément modifier la donne et bousculer ce qui apparaissait jusqu’alors constituer une certitude. C’est particulièrement vrai dans le cadre de l’étude de systèmes très complexes, où les modèles mathématiques sont par nécessité incomplets et contiennent des lacunes où la contestation a beau jeu de s’insinuer. Et si l’on parle de systèmes complexes, quoi de plus difficile à appréhender que la climatologie d’une planète comme la Terre ?
Il est donc licite qu’un scientifique éco sceptique mette en doute les causes humaines du dérèglement climatique, même si ses théories vont à l’encontre des affirmations de la plupart de ses collègues; et les arguments qu’il va présenter pour étayer ses théories devront être réfutés par ses adversaires, ce qui va renforcer finalement les arguments des climatologues et démentir ses allégations, ou au contraire infirmer gravement la théorie en vigueur défendue par les experts climatologues, conduisant ainsi à terme à une révision en profondeur du modèle. Ce genre de contestation scientifique est nécessaire aux progrès de la science : une science qui n’aurait pas de contestation s’apparenterait fort à une religion et de ce fait n’aurait plus droit à l’appellation de science, justement. Bon nombre de scientifiques éco sceptiques sont des chercheurs tout à fait honnêtes, qui doutent du bien-fondé des hypothèses sur lesquelles sont basés les modèles sur lesquels se fondent la grande majorité des climatologues actuels, dont les membres du GIEC. Mais la réciproque n’est à l’évidence pas vraie : il ne suffit pas de douter pour être un scientifique, et ce ne sont pas les distinctions prestigieuses qui valident une théorie, aussi commode soit-elle.
Quant aux personnages comme M. Yves Roucaute, ils font souvent montre d’un profil similaire : carrière riche de titres plus pompeux qu’efficaces qui leur confèrent une certaine respectabilité, âge qui implique un avenir plus orienté vers la retraite que vers la promotion professionnelle, compétences déclinantes… Ce genre de personnage ne risque plus grand-chose à endosser une cause douteuse, dans la mesure où cette implication lui assure une retraite dorée dans une villa de luxe au bord de la mer, le tout financé par un grand groupe pétrolier en échange de quelques ouvrages de désinformation. Désinformation sur le tabac, la pollution électromagnétique, la responsabilité des énergies fossiles dans le dérèglement climatique… Même combat, mêmes solutions.
Pour la destination de sa retraite dorée, je conseillerais bien à monsieur Roucaute The Pearl, à Doha (Qatar). Je crois avoir ouï dire qu’il y avait encore des disponibilités à l’adresse suivante (Je vous rassure, je ne parle pas arabe, mais Google, oui) :
En français, on pourrait traduire ça par « rue des Corps Rompus ». Il devrait y trouver des voisins francophones; peut-être M. Gianni Infantino ?