Cher activiste…

d‘Extinction/Rébellion, de Renovate Switzerland ou autre organisation voulant persuader la société de faire des efforts dans le domaine écologique, je respecte sincèrement vos préoccupations et vos motivations, que je partage pour la majeure partie d’entre elles. Certains d’entre vous sont des personnalités scientifiques de premier plan, professeurs d’universités, prix Nobel même, coauteurs du sixième rapport du GIEC, et à ce titre parmi les personnes les mieux placées pour alarmer la population sur l’état déplorable de la planète et l’urgence qu’il y a de « faire quelque chose ». Je partage pleinement vos convictions, même si je suis loin de pouvoir me targuer d’une compréhension aussi précise que la vôtre des problèmes que vous soulevez et de l’urgence que vous dénoncez.

Mais je reste extrêmement dubitatif quant à l’efficacité des moyens que vous utilisez pour faire adhérer les citoyens et les dirigeants politiques à vos idées. J’ai déjà eu l’occasion, par le passé, d’exprimer mes doutes face à l’action consistant à se coller les mains au bitume pour exprimer ses idées, ou à crever des pneus de SUV pour fustiger les propriétaires. Je ne crois pas qu’un tel activisme soit constructif, ni même utile à la cause écologique : il ne suffit pas de faire parler de soi dans les médias pour rendre la cause que l’on veut défendre populaire. Bien sûr, c’est là l’avis d’une personne bien moins compétente que vous sur le plan de l’écologie, et de surcroît plutôt genre vieux con (même s’il m’arrive de croire le contraire), surtout par rapport à de jeunes et brillants scientifiques (ou confirmés, pour d’autres) comme certains d’entre vous. Mais permettez moi tout de même de développer quelque peu…

Je suis également partagé à l’idée de créer un parti politique pour défendre les idées écologistes. D’ailleurs, en Suisse, on en a crée deux (Les Verts et les Vert’libéraux); mais le discours est-il deux fois plus explicite pour autant ? Je crains plutôt que cela n’ajoute à la confusion que peuvent éprouver certains ! Donc je ne crois pas forcément à l’action politique directe non plus; une autre justification pour cette opinion est que l’écologie est l’affaire de tous, pas de la droite, ni de la gauche, ni du centre. Pire, un parti implique une certaine exclusivité. Un chef d’entreprise aux idées libérales mais possédant une conscience écologique affirmée doit-il voter PLR ou Vert’libéraux ? Un travailleur social convaincu mais amoureux de la nature et conscient des dangers qu’on lui fait subir doit-il voter PS ou Vert ? Certes, « c’est la confrontation  avec les autres qui vous permet de dévoiler toutes  vos  facettes » (Björk), mais une confrontation doit-elle nécessairement déboucher sur une opposition politique ? Imposer un choix n’est pas forcément une bonne solution, car cela fait perdre des voix à l’un ou l’autre parti. Ben oui, me direz vous, c’est le principe de la démocratie ! Juste, mais si l’écologie est le problème de tous, alors c’est l’écologie qui semble, statistiquement du moins, être le principal perdant dans le processus, puisque tous sont concernés mais que des voix seront perdues dans toutes les mouvances politiques.

Mais alors, me direz vous : que suggérez vous ?

Je reste toujours étonné du relatif silence des activistes écologiques sur les médias dits « sociaux ». Oh, bien sûr, ils utilisent les réseaux comme Facebook ou What’s App pour échanger des idées entre eux, et organiser leurs meetings « mains collées » ou similaires; mais ils restent assez discrets en dehors de leur sphère propre, là où justement il s’agirait de gagner de nouveaux convertis. Pour nombre d’entre vous, l’écologie est une affaire d’écologistes, avant tout; ce qui a pour effet de diffuser un certain sentiment d’exclusion pour les non-initiés. On ressent souvent l’impression que vous êtes « ceux qui savent », et que les autres devraient réagir immédiatement dans le sens que vous indiquez; d’ailleurs, vos actions vont dans ce sens-là : vous cherchez à forcer la main à la société pour qu’elle aille dans le sens où vous pensez – à raison, sans doute – qu’elle doit se diriger.

Malheureusement, vos arguments peinent à convaincre les professionnels qui font face à des problèmes pratiques auxquels vous ne proposez pas de solution (et pour cause, vous n’êtes pas dans la même problématique). Un paysan affilié à l’UDC écoutera certainement plus volontiers son collègue de parti qui fait face à des problèmes similaires à quelques kilomètres de sa propre ferme, plutôt que d’écouter une scientifique aussi brillante soit-elle, et aussi pertinent que soit son discours, sortie d’une université qu’il ne connaît que par ouï-dire. Un directeur de banque sera plus réceptif aux dires de son concurrent (membre du PLR) de la banque d’en face, à l’apéro dinatoire de fin d’année qu’à la diatribe d’un militant de Extinction/Rébellion qui voudrait le voir bloquer les investissements de son institut bancaire chez TotalEnergies. Vous vous adressez aux politiciens et vous vous plaignez qu’ils ne font rien ? Adressez vous aux êtres humains en premier lieu : ce sont eux qui, dans nos démocraties, font les politiciens; ce sont eux aussi qui sont (ou devraient être) les premiers concernés par les catastrophes qui nous menacent : c’est donc, à mon sens, à eux qu’il convient de parler. Les politiciens élus ne prendront guère de décisions qui pourraient sembler impopulaires à leurs électeurs ou contraires à leurs intérêts; en tous cas, je vois assez mal monsieur Rösti pénaliser les énergies fossiles, cela ressemble à l’action de se tirer une balle dans le pied.

Dénichez donc quelques chefs d’entreprises ayant une conscience écologique, et persuadez les de rouler pour l’écologie. Pas pour vous, mais pour leurs enfants, pour leur planète ! Que chacun d’eux reste affilié au PLR, mais que son discours devienne plus « éco conscient », au sein de son propre parti; sans doute aura-t-il de meilleures chances que vous de persuader ses pairs, et avec des arguments plus pertinents que tout ce que vous pourriez mettre en avant. Trouvez un paysan intelligent (cela existe, et c’est facile à trouver, je vous assure) qui se rend compte qu’il va dans le mur. Encouragez le à converser avec ses collègues affiliés à l’UDC : il y a de bonnes chances qu’il parvienne, bien mieux que vous, à persuader nombre de collègues, sinon à l’adhésion à vos opinions, du moins à une saine remise en question des certitudes acquises. Et les opinions émises à la base d’un parti vont rapidement remonter vers la direction, dans la mesure où un nombre significatif d’individus s’accordent sur le message : c’est le principe même de la démocratie telle que nous la connaissons en Suisse, mais aussi ailleurs en Occident.

Mais, me direz vous, comment trouver ces perles pas si rares que ça ? Et comment les inciter à rouler pour l’écologie? En fait, c’est un problème qui a déjà été résolu, et il passe par ces fameux réseaux sociaux. Donald Trump n’aurait jamais dû entrer en fonctions le 20 janvier 2017. Il a été élu par une manipulation de l’opinion américaine utilisant les réseaux sociaux, justement. Le procédé est similaire à celui utilisé par Matteo Salvini qui a engagé une équipe d’informaticiens pour influer sur les opinions de vote. Cela fait plusieurs années d’ailleurs que les élections, dans nos démocraties, sont perturbées par des scandales annoncés quelques mois avant les élections. Un hasard ? Si le mot « hasard » a pour synonymes Poutine, MBS, Xi ou Kim, alors oui, c’est le hasard. Et il y a d’autres synonymes que j’omets, que j’oublie ou que j’ignore.

Mais peut-être que je vous choque en vous suggérant d’utiliser les mêmes outils que ces personnages plutôt sulfureux ? Vous avez raison, je réprouve l’utilisation de ce genre d’outils, et je me considère comme un connaisseur de par ma formation et mon cursus professionnel. Mais je réprouve aussi la maculature d’œuvres d’art dans les musées, entre autres : si vous voulez jeter de la sauce tomate sur une œuvre que vous ne considérez pas comme pérenne, alors choisissez plutôt MBS ou un de ses acolytes comme cible, ce sera plus constructif. Accessoirement, plus rigolo; et plus difficile aussi, voire plus dangereux, mais bon… Ces moyens, pour discutables qu’ils soient, ne sont pas illégaux; et correctement utilisés, fondés sur un argumentaire de qualité comme celui que vous défendez, ils me semblent plus raisonnables que se coller les mains à l’asphalte en attendant que des fonctionnaires de police viennent vous libérer. Par ailleurs,, alors que les Trump ou autres Poutine utilisent la désinformation pour leurs actions, vous pouvez vous offrir le luxe de ne présenter qu’une information parfaitement véridique et authentique ! Vos rangs regorgent de personnes supérieurement qualifiées, en informatique pour infiltrer les réseaux sociaux, en écoles d’art pour concocter des clips de qualité professionnelle, en marketing pour optimiser l’impact d’un message et que sais je encore : pourquoi n’utilisez vous pas mieux les compétences dont vous pouvez disposez ? Les personnes qui pourraient vous apporter leur aide ne sont pas forcément membres actifs de vos mouvements, parfois jugés trop radicaux; mais ils ne demanderaient pas mieux que s’investir pour une cause qu’ils estiment légitime. Les contacter au travers des réseaux sociaux constitue aussi une méthode assez simple et efficace de les recruter.

Il y a un autre avantage à utiliser les réseaux sociaux comme arme dans ce genre de combat. Bloquer le Pont Bessières à Lausanne n’a que peu d’impact en dehors de la Suisse, voire de la Suisse Romande, si tant est qu’il y ait un impact significatif dans le pays. Internet en revanche ne connaît que peu de frontières; à l’époque Greta Thunberg l’avait compris, mais pour nombre de raisons qu’il ne m’appartient pas de chercher à analyser, elle n’a pas jugé opportun de pousser le fragile avantage qu’elle avait su se procurer. Il me semble possible de faire mieux; des personnes de votre qualité peuvent mobiliser des chercheurs dans les universités, les écoles polytechniques, les hautes écoles, pour initier un vaste programme de propagande sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’infiltrer les réseaux des principaux partis politiques pour inciter certains membres à promouvoir des solutions allant dans le sens de vos aspirations. Identifier ces membres est un problème que les spécialistes en data mining peuvent résoudre sans difficultés excessives : du moins, la méthodologie menant à la solution est connue et éprouvée. Il n’y a pas que les informaticiens de Saint-Pétersbourg qui soient en mesure d’exploiter ces méthodes.

Peut-être n’est-ce pas une bonne idée, ou peut-être l’avez-vous déjà expérimentée en pure perte. Mais je m’étonne alors de ne jamais en avoir entendu parler, Je ne crois pas que la contestation directe puisse influencer à brève échéance la politique du DETEC dirigé par M. « Ölbert » Rösti, par exemple. Et je ne crois pas non plus que l’action politique d’un parti « Vert » puisse y parvenir. En revanche, certains chefs d’entreprises, agriculteurs et investisseurs ont déjà, spontanément, adopté une attitude éco-consciente; il suffit peut-être de peu d’efforts pour que leur nombre augmente de manière significative, assez pour que les dirigeants politiques ne puissent plus repousser l’examen du problème aux prochaines élections.

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