Répétition

C’était il y a une trentaine d’années, lors d’un cours de répétition; une de ces obligations militaires périodiques en Suisse, dont le but espéré est de vous faire « répéter » les gestes militaires que l’on vous avait inculqués lors de votre école de recrues, lorsque vous aviez une vingtaine d’années. Je participais à ce cours comme simple soldat (« troufion ») des transmissions radio d’état-major. Ces cours s’étendent sur trois semaines, pendant lesquelles nous sommes censés exercer nos connaissances de transmetteurs radio en environnement militaire. Ceci implique l’utilisation de téléscripteurs, de codeurs, d’émetteurs-récepteurs, et d’antennes pour transmission en ondes courtes (donc de dimensions respectables !).

Je me souviens de ce cours de répétition en particulier par le fait remarquable qu’il ne s’y est rien passé. Mais alors rien de chez rien ! Pendant trois semaines, les deux cents personnes présentes se sont levées à cinq heures du matin et couchées à minuit sans avoir fait quoi que ce soit d’autre que respirer, se sustenter et tuer le temps. Bon, nombreux sont ceux d’entre vous qui me diront que ce n’est pas un scoop, du moment que l’on parle de service militaire. J’abonde dans leur sens, mais à ce niveau de non-activité, je ne suis pas sûr qu’ils en aient fait l’expérience.

Pourtant, le séjour ne s’annonçait pas forcément détestable : l’endroit se situe au bord du lac de Gruyères, une jolie région aux alentours de la ville de Bulle; sympa pour des promenades au bord du lac et dans les Préalpes. Sauf qu’en octobre, il y a parfois du brouillard. Pas autant qu’à Londres, mais presqu’aussi épais. Et il y a moins de musées à visiter ou de pubs à fréquenter qu’à Londres. Beaucoup moins. Détail intéressant, l’armée suisse avait depuis peu pris conscience du fait qu’une transmission radio en ondes courtes renseignait immédiatement et très précisément l’ennemi sur la position géographique de l’émetteur; en conséquence de quoi, l’état-major de ladite armée suisse avait interdit toute transmission radio dans le cadre militaire; mais bon, ils avaient juste oublié d’assigner de nouvelles tâches aux responsables des transmissions radio, et d’annuler les investissements consentis pour la maintenance de cette arme promue obsolète. En conséquence de quoi, les personnes concernées avaient interdiction de faire ce pourquoi elles avaient été formées, bien qu’elles disposassent de matériel technique probablement obsolète, mais parfaitement fonctionnel et correctement entretenu. Donc, le cours de répétition auquel j’ai participé à cette époque avait interdiction de répéter. En d’autres termes, on était là pour ne rien foutre. Désolé pour la vulgarité mais je peine à trouver d’autres termes pour exprimer la chose : convoqués pour ne rien foutre.

Bien sûr, on a fait un peu d’école de section : gauche-droite, en colonne par quatre, garde-à-vous, repos, rompez… Et on a un peu marché, surtout le jour où tout le monde s’est paumé dans le brouillard, sauf ceux qui ont trouvé par hasard le bistrot du coin. A part ces activités très constructives, on a surtout fait la pause. Jamais dégusté autant de cafés double crème, d’apéros et de fondues fribourgeoises : c’est bon, mais trois semaines de ce régime, bonjour les dégâts et les pantalons que l’on ne ferme plus !

Chose curieuse, vingt ans avant ce cours de « répétition » (donc cinquante ans avant « maintenant », soit en 1970), lors de mon école de recrues, un de mes camarades plutôt frondeur et contestataire avait interpellé un de nos instructeurs avec une question qui m’a parue subversive sur le moment, mais tout à fait pertinente par la suite : Si on émet un signal radio pour qu’il soit reçu par un destinataire, un autre récepteur peut détecter ce signal et par triangulation, localiser l’émetteur (D’ailleurs, Tintin l’avait déjà suggéré dans « Le Lotus Bleu » en 1936, mais les états-majors et les instructeurs militaires ne lisent probablement pas Tintin) et si nécessaire le détruire. Corollaire, pourquoi émettre ? La réponse avait été péremptoire, comme toute réponse militaire : Les transmissions radio, de par leur flexibilité de mise en œuvre, et la facilité de leur configuration, représentent l’avenir des transmissions militaires à moyen et long terme. Point barre.

Bon, je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps avec mes cours de répétition inutiles, surtout qu’il y en a eu d’autres, mais avec tout de même moins de brouillard (et corollairement moins d’apéros). Je me demande juste si l’armée suisse planifie systématiquement ses investissements de la même façon que pour les transmissions radio d’état-major dans les années soixante. Madame Amherd a assuré par exemple que l’avion de combat choisi en 2021 était le meilleur « techniquement ». Une personne de mes connaissances (personne assez fortunée, il est vrai) a récemment fait l’acquisition d’une Ferrari. Il m’a assuré que « techniquement » c’était le top du top. J’en suis persuadé. Mais bon, il fait Lausanne – Genève retour tous les jours, et aux heures où il fait le parcours, il est plus souvent à cinquante à l’heure (voire à zéro) qu’à cent vingt, pour ne rien dire des trois cents kilomètres heures que son bidule peut aisément atteindre. A mettre en regard des performances d’un Rafale ou d’un F35 A à l’intérieur des (étroites) frontières de la Suisse, peut-être ?

Pour ne rien dire des considérations écologiques…

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