Un nom bien pompeux pour une ballade qui peine à dépasser les 3000 mètres ! Et de plus, un nom bien mal choisi pour un itinéraire dont une grande partie se passe en Valais (diront les Valaisans). C’est parfaitement exact; il se trouve que tant la Dent de Morcles que le Grand Muveran sont sur la frontière entre les deux cantons, et que pour définir un itinéraire intéressant, il vaut mieux effectuer une petite incursion en territoire valaisan. Les Valaisans, qui ont tant de belles courses à nous proposer me pardonneront de qualifier de vaudois des sommets situés sur la frontière et plus accessibles du Valais que de Vaud. Et s’ils ne me le pardonnent pas, eh bien je dirai que la Haute Route Valaisanne est en fait française et italienne; si!
Sans être difficile, l’itinéraire proposé ici n’est pourtant pas de tout repos. Il nécessite l’usage de cordes, piolets et crampons, et passe par des refuges non gardés, ce qui rend les sacs plus lourds (mais il est facile de se ravitailler en chemin). Certaines étapes (en particulier Pierredar-Derborence) sont très physiques. Certains passages peuvent s’avérer délicats selon la saison, et l’itinéraire demande un excellent entraînement physique. Mais la récompense est à la hauteur de l’effort; les Alpes Vaudoises (surtout dans la région d’Anzeindaz) sont réputées pour la richesse de leur flore; les coups d’oeil sur les Alpes Valaisannes, le Mont Blanc et les Alpes Bernoises sont incroyables : en octobre, la vue porte jusqu’à la Furka et au-delà on devine les massifs des Grisons; elle se perd au Sud dans les lointains du Grand Paradis, du Viso, de la Vanoise ou même des Ecrins. Le lac Léman apparaît comme un immense fjord qui se terminerait sur une vallée du Rhône indistincte. Le Jura semble nimbé de teintes violettes, alors que le plateau disparaît sous les stratus ou sous les brumes de pollution.
Les sensations que l’on peut retirer au sommet de la Dent de Morcles, par exemple, sont tout à fait comparables à celles que l’on éprouve sur un 4000m; si la gloire d’avoir réussi le sommet est nettement inférieure, le plaisir de se trouver en un endroit privilégié est équivalent, et l’immensité des espaces ainsi proposés à la vue peut-être même supérieur.
L’itinéraire proposé ici relie Aigle à Bex, de manière à favoriser aussi bien les automobilistes convaincus, qui n’auront qu’un minimum de transports en commun à « subir » (?), que les les anti-automobilistes non moins convaincus qui trouvent aux deux extrémités de l’itinéraire une gare CFF bien desservie par les trains directs. Quant à ceux qui acceptent aussi bien la voiture que les transports en commun, ils trouveront ici le meilleur des deux mondes.
Situation : Départ à Aigle, arrivée à Bex
Difficulté, altitude : PE
Horaire : de cinq à six jours, mais peut être raccourci au besoin
Matériel : Bons souliers, éventuellement cordelette pour le Grand Muveran, piolet et crampons nécessaires en fin de saison pour le col du Pascheu.
Période favorable : Juillet à octobre-novembre
Itinéraire premier jour : Les Diablerets – Pierredar
Horaire : 3 h
De la gare d’Aigle CFF, emprunter le train Aigle – Sépey – Diablerets jusqu’au terminus des Diablerets. Se diriger tout d’abord en direction du col de la Croix le long de la grand’route, puis prendre à gauche un chemin goudronné dans un premier temps, puis en terre battue pour gagner Creux de Champ. De là, suivre le sentier de Pierredar qui s’élève tout d’abord à gauche à travers la forêt, puis longe la barre de rochers des Diablerets jusqu’au cirque de Pierredar.
La cabane est située sur la moraine qui termine le glacier de Prapio. Cette cabane n’est pas gardée en permanence, et quand elle l’est, c’est en général de manière bénévole : il est donc préférable, voire nécessaire de prendre son ravitaillement, à moins de s’être assuré de la présence d’une intendance !
Itinéraire deuxième jour : Pierredar-Derborence
Horaire : 7 h
De Pierredar, suivre d’abord la crète de la moraine sur laquelle est construite la cabane, puis remonter le glacier de Prapio crampons aux pieds. Une via Ferrata agréable permet d’éviter la partie basse du glacier, délitée et peu praticable actuellement. Cette via Ferrata se poursuit ensuite jusqu’au Scex Rouge, mais la quitte en prenant pied sur le glacier. On utilisera la rive gauche du glacier pour remonter jusqu’au point 3005m, sur le glacier des Diablerets. De là, en direction générale Sud-Ouest, en restant au pied d’une barre de rochers, gagner le sommet des Diablerets à 3209.7 m. La descente vers Derborence nécessite tout d’abord de revenir sur ses pas pour descendre le glacier de Tsanfleuron. On peut se repérer sur les installations de remontée mécanique pour l’itinéraire, et la tour St. Martin (ou quille du Diable) comme indicateur général de direction. Au bas des installations de remontée, on trouve la cabane de Prarochet, où on peut se restaurer. De la cabane, descendre sur l’itinéraire bien marqué qui mène à Tsanfleuron. Au sortir des lapiés, bifurquer à droite, sur un chemin qui mêne à Derborence par la Chaux de Mié, le Poteu des Etales, et Godey. De Godey, suivre le chemin carrossable en direction de Derborence et l’auberge du lac.
Itinéraire troisième jour : Derborence-Plan Névé
Horaire : 8 h
Etape longue et pénible ! On peut la couper en deux en dormant à Anzeindaz, mais si l’on veut faire cette étape d’un coup, il est préférable de partir de bonne heure de Derborence. Le tenancier de l’auberge se fera un plaisir, sur demande et avec un bon verre de Fendant le soir avant, de vous préparer un casse-croûte et un petit déjeuner matinal.
De Derborence, remonter vers Anzeindaz en passant le pas de Cheville, puis en descendant en pente douce le plateau d’Anzeindaz en direction de la cabane Barraud, ou du refuge Giacomini. De là, après une pause méritée, remonter en direction sud vers le col des Essets (2029m). De là, trois alternatives.
La première mène, par une grande vire sous une falaise verticale (les rochers de l’Ecuelle) au glacier de Paneyrosse (qui n’a plus grand’chose de glaciaire) puis au col des Chamois. Du col, on continue un peu sous l’arête vierge (Tête à Pierre Grept) jusqu’à un large couloir marqué par des traces de peinture. La descente semble vertigineuse, impossible même, mais pourtant elle est assez facile. Pour se donner du courage, il faut penser à ceux qui effectuent cette descente au printemps, skis aux pieds… Cette descente est rarement utilisée, et les marques de peinture ne sont pas de la dernière fraîcheur, quand elles existent; mais la descente est assez courte. Au bas du couloir, on rejoint l’itinéraire du Pascheu que l’on empruntera le lendemain, et on rejoint la cabane de Plan-Névé où la soupe vous réconfortera des efforts consentis.
La deuxième alternative est nettement plus « promenade » : du col des Essets, descendre dans le vallon qui s’ouvre à l’Ouest-Sud-Ouest en direction de La Vare, puis continuer en direction des Outans. Ne pas se tromper à la bifurcation vers Le Richard ou Pont de Nant : le détour nous ferait perdre pas mal de temps et d’énergie; c’est bien vers la cabane de Plan-Névé, au Sud, que nous nous dirigeons. Après un passage dans une barre de rochers (chemin facile), on retrouve le chemin d’accès de Pont de Nant que l’on suit jusqu’à Plan Névé (une heure depuis la bifurcation). La soupe est de la même qualité en venant par cet itinéraire.
Enfin, depuis le col des Chamois, un sentier équipé de câbles mène à la cabane de Plan-Névé par le Sex des Branlettes et le Fer à Cheval en direction Nord, contournant Pierre Qu’Abotse. Ce chemin est plus souvent utilisé à la montée, et peut se révéler délicat lorsque les vires herbeuses sont mouillées. En revanche, l’itinéraire est fort bien marqué de peinture bleue et blanche.
Itinéraire quatrième jour : Plan Névé – Rambert
Horaire : 5 h
Une étape relativement courte, mais alpine. De Plan Névé, quitter la cabane en longeant l’alpinodrome vers une moraine que le chemin remonte par une crête en direction du glacier de Plan-Névé. Il s’agit là encore d’un glacier à l’état vestigial, dont la mort est programmée en ces temps de réchauffement climatique. Remonter ce glacier en restant un peu sur la gauche (mais pas trop, ce serait inconfortable et exposé à des chutes de pierre) jusqu’à ce que s’ouvre à gauche un couloir raide. Traverser le glacier en direction du pied du couloir. En fin de saison, les crampons sont nécessaires. De là en suivant les chaînes, gagner le col du Pascheu que l’on traverse. Dès que possible, on se dirige au Sud en direction de la Forcla, d’abord à travers les pierriers, puis en suivant le bon chemin en provenance de Derborence. Ne pas se diriger vers Chamosentse, mais passer à droite du lac à 2450 m et viser un col situé à l’ouest de la Dent de Chamosentse. Le col situé à l’Est de la Dent de Chamosentse est certes tentant, parce que moins élevé, mais l’effort serait finalement plus grand pour remonter de Chamosentse à Rambert. Dès que possible après le col (et en suivant le chemin si des névés ne l’ont pas recouvert), se diriger vers l’Ouest en direction d’un promontoire sur lequel est juchée la cabane Rambert.
On peut aussi couper, depuis Derborence, directement vers Rambert en remontant le beau vallon de la Derbonne. On gagne alors un jour sur l’itinéraire complet, et pas mal de fatigue. De plus, en début de saison, il se peut que l’itinéraire décrit précédemment ne soit pas viable en raison de la neige. Cette variante reste alors l’unique possibilité envisageable pour relier Derborence à la cabane Rambert.
Itinéraire cinquième jour : Rambert-Grand Muveran-Fenestral
Horaire : 8 h
De Rambert, se diriger tout d’abord en direction Nord, le long de la crète Moret. Dépasser quelques petites barres de rochers peu marquées, en se repérant aux indications (marques de peinture) sur les rochers. Une cheminée facile doit être remontée sur une quinzaine de mètres. Ensuite, l’itinéraire bien marqué (sentier, marques de couleur) serpente entre les barres de rochers jusqu’aux dalles sommitales. En début de saison, il peut y avoir encore des névés dont il convient de se méfier, surtout à l’approche des dalles sommitales. Gagner le sommet, et savourer l’exceptionnelle vue que l’on a depuis ce sommet. On redescend par le même itinéraire, puis on continue la descente en direction de Bougnone au-dessus d’Ovronnaz, par Plan Coppel et Saille. Aux chalets de Saille, le chemin part à flanc de coteau, en direction Sud, vers les installations de remontée mécanique de Bougnone. Dépasser le restaurant en suivant un chemin toujours plein Sud, puis revenant progressivement vers l’Ouest en direction de Petit Pré. On retrouve à Petit Pré le chemin d’accès au refuge de Fenestral qui vient d’Ovronnaz. Ce chemin traverse tout d’abord le plat d’Euloi pour s’élever ensuite dans un vallon vers le col de Fenestral. Le refuge est situé immédiatement après le col.
Itinéraire sixième jour : Fenestral-Dent de Morcles-Bex
Horaire : 7 h
Du refuge de Fenestral, gagner le col de Fenestral, puis suivre tant bien que mal (chemin) l’arête en direction Nord-Ouest pour dépasser un petit ressaut, puis quitter l’arête en direction générale Ouest-Nord-Ouest pour déboucher sur le plateau de Grand Cor. Traverser ce plateau en direction Nord, et remonter les pentes qui mênent à la Grande Dent de Morcles. La barre de rochers principale peut se contourner par la droite en montant.
Parvenir au sommet de la Grande Dent de Morcles, moment peut-être le plus spectaculaire de cette traversée du fait de la vue encore plus dégagée que du sommet du Grand Muveran, et d’une impression de vide extraordinaire. Le Rhône, et Dorénaz 2500 m plus bas, sont pratiquement entre les pointes des chaussures!
Du sommet, redescendre sur ses pas de quelques mètres jusqu’à un petit col étroit qui s’ouvre sur un couloir non moins étroit en face Ouest. C’est le Nant Rouge. Descendre de quelques mètres dans le Nant Rouge, et on retrouve bientôt un chemin bien marqué. Un gros bloc en travers du chemin demande quelques contorsions pour le dépasser. On peut passer par dessous en rampant (gare à la ligne minceur !) ou par dessus en « crapahutant » (expression romande signifiant grimper du rocher facile, mais avec une connotation un peu ridicule). Ensuite, suivre le chemin en direction de la cabane de La Tourche. Des bifurcations en chemin permettent au besoin de gagner le col Demècre ou l’Au d’Arbignon, mais c’est vers le campement militaire de Riondaz que nous nous dirigeons tout d’abord. Ensuite, suivre la route carrossable jusqu’à la bifurcation vers la cabane de la Tourche (15 minutes à remonter). De la cabane de la Tourche, continuer en direction Nord, en suivant plus ou moins la crète, vers la Croix de Javerne que l’on dépasse. En suivant toujours la crète, on parvient à une bifurcation, avec un chemin bien marqué qui oblique plein Ouest et qui descend dans les vernes en direction de Dreusine. Au chalet de Dreusine, continuer la descente sur le même versant (ne pas obliquer au Sud ou au Nord) en direction des Ravorens et des Monts de Bex. Parvenu aux chalets des Monts (830 m), ne pas emprunter la route carrossable en direction Nord, mais revenir un peu en arrière le long de cette route (deux épingles) pour parvenir, à l’orée de la forêt, à une bifurcation où l’on choisit la route Nord (l’autre convient aussi, mais c’est un peu plus long). Continuer le chemin jusqu’à la route cantonale, où le tramway vous permet de regagner la gare CFF, et un train en direction d’Aigle ou d’ailleurs.