« No Billag »

Début mars, les citoyens helvétiques votent sur une initiative qui, si elle est acceptée, supprimerait la redevance radio/TV actuellement inscrite dans la constitution. En clair, ce serait la fin du service public dans le domaine de l’information diffusée en Suisse. En effet, l’article correspondant dans la Constitution serait purement et simplement biffé, laissant le champ libre à la privatisation chère au credo d’une droite pure et dure, incarnée en Suisse essentiellement par l’UDC et plus particulièrement son aile zurichoise. 

Evidemment, les chaînes publiques voient une éventuelle acceptation de cette initiative avec une crainte bien compréhensible. Actuellement, la télévision suisse diffuse des émissions en quatre langues, et si la partie suisse alémanique pourrait peut-être, grâce à l’exclusivité que représente le dialecte suisse alémanique, survivre dans un schéma de financement par abonnements, les parties francophone et italienne n’ont absolument aucune chance de survie dans un environnement en concurrence avec la RAI en Italie et TF1 en France : le marché n’est tout simplement pas suffisant; d’ailleurs, il est fort probable qu’en cas de survie de la partie suisse alémanique de ce qui s’appelle actuellement encore la SSR / SRG, celle-ci devrait se soumettre à un dégraissage massif, et deviendrait du coup une radio-télévision régionale en face des géants allemands.

Les initiants s’en défendent, clamant à tous vents qu’ils ne désirent pas la mort de la SSR; cette affirmation est pourtant clairement mensongère. La SSR est un service public; l’initiative veut détruire le service public, donc il détruira la SSR, même si une chaîne de radio/télévision de ce nom survivait avec les mêmes rédactions, ce qui en l’état semble peu probable. Mais qui sont ces initiants ? On distingue trois groupes assez disparates, dont le seul point commun est leur orientation politique très « à droite ». (Faisons abstraction de   certains milieux dont les articles doivent étonner même madame le Pen).

  • l’UDC zurichoise, héritière de Reblochon (Christoph Blocher, désormais retraité de la politique suisse, mais de fait toujours actif). De la part de cette fraction de parti, l’initiative n’étonne pas : l’UDC zurichoise a toujours considéré que la Suisse est entièrement riveraine de la Limmat (rivière arrosant la ville de Zurich). D’ailleurs Reblochon lui-même admet volontiers que pour la Suisse romande et le Tessin, l’acceptation de l’initiative signifierait probablement la fin des chaînes d’informations telles que connues actuellement. Mais bon, il n’en a rien à cirer; il a le mérite de la clarté du discours…
  • Le grand patron de l’USAM (Union Suisse des Arts et Métiers), monsieur Jean-François Rime. Son argumentation tient au fait que les sociétés doivent payer la redevance alors même que les individus la composant l’ont déjà réglée. On pourrait faire remarquer à monsieur Rime qu’une entreprise est aussi consommatrice de médias, à titre d’entreprise, justement, mais sa remarque n’est pas totalement injustifiée. Ceci mérite-t-il de rejeter tout le service public pour autant ? N’est-ce pas jeter le bébé avec l’eau du bain ? Quant à son argumentation pour une télévision avec abonnement, j’espère pour monsieur Rime qu’il est conscient de l’inanité de ses dires : en tant que Romand (un peu tout de même) et entrepreneur, il devrait tout de même savoir additionner deux et deux… Mais selon certaines sources, il aurait un contentieux politique à régler avec l’ex-présidente de la Confédération, et son soutien à l’initiative serait une manifestation de sa mauvaise humeur. Si c’est vrai, alors c’est navrant… surtout pour monsieur Rime.
  • Les jeunes UDC neuchâtelois, avec Nicolas Jutzet à leur tête. Hormis une volonté néo-libéraliste exacerbée, assumée et affichée, il est difficile de comprendre ce que recherchent ces personnes; d’ailleurs, les explications qu’ils fournissent ne sont guère explicites, voire plutôt confuses. Il semble toutefois que l’idée générale est de ne payer que ce que l’on utilise réellement. Pas question donc de payer un forfait pour une chaîne de télévision généraliste qui comprend des émissions que l’on ne désire pas suivre. Il est probable que ces gens soient aussi opposés au principe de l’assurance-maladie, par exemple, et plus généralement à l’idée même de service public, quel qu’il soit.

La perspective de pouvoir économiser la redevance radio/TV pourrait inciter certains citoyens suisses à accepter cette initiative; mais il faut leur signaler qu’ils devront tout de même passer à la caisse dans la mesure où le service qu’ils financent actuellement avec cette redevance sera (peut-être) remplacé par divers abonnements (donc payants) parmi lesquels ils devront faire un choix. Quant aux émissions locales, ou les sous-titrages en langue des signes (française ou autre, les langues des signes ne sont pas universelles), il faudra les oublier, car cela n’est pas rentable. Mais bon, c’est pas grave, c’est des minorités…

Les chaînes publiques (SSR / SRG / TSI) ne sont pas exemptes de critique, et c’est bien là le danger; certains vont aller dans le sens de l’initiative parce que le contenu proposé par les chaînes publiques ne leur convient pas; mais au-delà de la critique que l’on peut adresser au contenu, il y a le problème du principe du service public. En l’absence de chaîne de télévision nationale, il semble assez probable que l’on s’achemine vers une chaîne suisse alémanique (sur abonnement, en dialecte, donc peu susceptible d’être suivie par les non-initiés) centrée sur Zürich d’une part, et sur des excroissances de TF 1 et de la RAI d’autre part. Je ne sais pas ce que deviendront les émissions en rhéto-romanche dans ce schéma, mais bon… On se retrouve donc avec trois contenus hétérogènes, générés par des rédactions sans doute de qualité, mais animées par des sensibilités fort différentes, avec des pôles d’intérêt distincts. Si le but est d’essayer de creuser le « röstigraben » , alors il est difficile de faire mieux ! Par contre, pour quiconque garde encore un léger souci de cohésion nationale, cette initiative « No Billag » est un outil de séparation nationale probablement aussi efficace à moyen terme que le mur mexicain de Donald Trump.

Ironiquement, les résultats du vote en eux-même pourraient contribuer à creuser ce fameux röstigraben, comme c’est assez souvent le cas en Suisse, avec un vote positif d’un côté de la frontière et négatif de l’autre.  Il est regrettable que les autorités n’aient pas cru bon de proposer un contre-projet à l’initiative; cela aurait peut-être permis de mieux orienter la chaîne nationale sur la mission de cohésion et d’information, tout en conservant dans la constitution la notion de service public; mais il n’y a pas de contre-projet.

Il ne reste donc qu’à faire tout ce qui est possible pour que cette initiative soit balayée dans les urnes le 4 mars 2018. Allons voter; NON, bien sûr !

Les partisans du NON.

Les partisans du OUI (les initiants)

 

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