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Dummheitstrychler

Les mouvements antivaccin ou anti-certificats sont à la mode, apparemment. Tous les pays où il est possible de protester (tous sujets confondus) sans se retrouver immédiatement flanqué d’une armoire à glace en tenue de combat et armée jusqu’aux dents ont leur lot de manifestants plus ou moins organisés et moins ou plus bon-enfant.

En Suisse, c’est un peu différent; c’est vrai que les Helvètes ne font pas toujours tout comme les autres; mais si parfois c’est une qualité, ce n’est pas toujours un gage de raison. Là, on trouve, parmi les manifestants, un représentant du pouvoir, et non des moindres : c’est un conseiller fédéral, plus haute autorité de la Confédération Helvétique ! Chers voisins et néanmoins amis (en ce qui me concerne) français, imaginez Jean Castex manifestant parmi les gilets jaunes : vous voyez le tableau ? Et les commentaires journalistiques et politiques qui s’ensuivent ?

J’avoue qu’avant cet épisode, je n’avais jamais entendu parler des « Freiheitstrychler« . J’ai immédiatement consulté Docteur Google pour comprendre les raisons d’être de ces sonneurs de cloches, mais à ma grande honte, je n’ai pas compris grand-chose aux motivations énumérées dans leur site. En fait, je n’avais même pas compris la signification de leur identité, jusqu’à ce qu’on me fournisse une traduction : « Sonneurs de cloches de la Liberté ». Mon identité de Romand francophone doit en être la cause, bien que je me targue de parler raisonnablement bien le dialecte suisse allemand (dans sa version bâloise, il est vrai, peu compatible avec la Suisse dite primitive ou les idiomes prônés par une certaine classe politique majoritairement zurichoise). Ce que j’en ai retenu, c’est qu’ils ne voulaient pas du certificat COVID pour des raisons de privation de liberté. Ce que j’ai cru comprendre, c’est qu’un certain parti politique (dont le Conseiller Fédéral incriminé est membre actif) voulait faire payer aux partis de gauche (et au ministre de la Santé qui en fait partie, techniquement du moins) une non-élection de l’un de leurs tribuns emblématiques au Conseil Fédéral. Impression d’ailleurs nettement confirmée par les attaques récentes, répétées et au-dessous de la ceinture contre ce même ministre par des membres de ce même parti. Bon, on se bat avec les armes dont on dispose; mais franchement, utiliser une histoire de cul pour imposer ses idées (?), cela tend à laisser penser que les idées en question sont plutôt mal placées : généralement, on utilise plutôt le cerveau pour les abriter. C’est en tous cas mon humble avis. Il faut préciser que du côté du parti politique incriminé, on n’appelle pas cela une histoire de cul, on utilise d’autres termes; mais à la base, (si j’ose m’exprimer ainsi) cela ne change rien à l’affaire.

Pour en revenir au groupe protestataire en question, malgré le message peu clair de leur site web, où on comprend que les autorités foulent aux pieds la liberté des citoyens, il s’y dégage un sentiment de frustration face aux mesures anti-COVID édictées par les autorités fédérales. Et au nom des valeurs représentées par la Suisse dite primitive (Urschweiz, Guillaume Tell, les bras noueux, le schnaps, le hornuss et la lutte au caleçon), ils entendent protéger une longue tradition de liberté contre des initiatives qu’ils jugent intolérables. On ne sait pas très bien s’ils contestent globalement les mesures de prévention ou seulement l’acte de vaccination qui en fait partie, mais leur action constructive se résume à se promener en agitant des cloches de vaches en guise de protestation. Personnellement, je préfère le son des cloches à un discours en dialecte suisse allemand; mais à tout prendre, je préfèrerais encore le silence. Mais voilà, on est en démocratie, donc chacun a le droit de s’exprimer selon ses moyens.

Que les mesures anti-COVID puissent paraître contraignantes, je le conçois et je partage cette opinion; mais l’alternative la plus probable, c’est un retour à la fermeture des restaurants et l’arrêt des manifestations culturelles. Bon. la culture, c’est peut-être moins important pour nos sonneurs de cloche; mais la lutte au caleçon serait aussi touchée ! En sont-ils conscients ?

La solution, on l’a abondamment répété, est la vaccination; mais la Suisse est réfractaire. Un député réclamait l’abandon des mesures anti-COVID en citant des pays voisins comme exemples : il oubliait juste de signaler que ces pays présentent un taux de vaccination parfois de 30% supérieur à celui de la Suisse. Pas de comparaison possible ! Le problème, ce ne sont pas les autorités, ce sont les sceptiques de la vaccination, dont, je suppose, la majorité de « Freiheitstrychler » fait partie. Fièrement. En gilets décorés d’Edelweiss, avec barbes et cloches de vaches. Sans bien savoir pourquoi d’ailleurs, mais l’important, c’est d’être contre. On ne sait pas non plus de quoi ils peuvent bien avoir peur dans le vaccin anti-COVID. De mutations ? La technologie de l’ARN messager rend une telle hypothèse hautement improbable. Et même si cela était, ces mutations pourraient peut-être leur être bénéfiques.

Refuser de se faire vacciner, c’est perpétuer les mesures de prévention et de contrôle; beaucoup de ces « Freiheitstrychler » manifestent donc de facto pour le maintien des contraintes qu’ils veulent dénoncer. Personnellement, j’appelle ceci de la bêtise, et je leur suggère donc de modifier leur nom en Dummheitstrychler (de Dummheit : Bêtise).

Histoires de vaccins

Voilà ! J’ai reçu mes deux doses de vaccins Pfizer/BioNTech pour me mettre à l’abri (enfin j’espère) de la COVID-19. J’ai voulu, dans la foulée, faire inscrire ce vaccin dans un carnet de vaccinations, d’autant que l’on m’a remis un dépliant de l’OFSP vantant les avantages du nouveau carnet de vaccination informatisé (mesvaccins.ch). Sitôt rendu devant mon écran d’ordinateur, j’ai entrepris d’ouvrir un compte sur ce site; une procédure rapide et habituelle à ce genre de pratique sur le web. A priori un peu surprenante tout de même, car le site ne semble pratiquement pas sécurisé. Par ailleurs, le design est un peu vieillot, et ne correspond pas vraiment à ce que l’on pourrait attendre d’un site moderne, par exemple compatible avec l’affichage sur smartphone. Mais bon…

J’ouvre ensuite un dossier à mon nom pour y inscrire mes vaccins, d’autant que j’ai égaré mon carnet de vaccinations traditionnel, probablement quelque part entre la Suisse et l’Afrique du Sud, au cours d’un examen de sécurité aéroportuaire qui m’a forcé à déposer tous mes papiers et mes valeurs sur un support improbable dans un aéroport. Je parviens à créer un dossier de vaccinations, et je commence à y inscrire le vaccin contre la grippe, mais cela se gâte. Il me faut sortir du site, puis refaire une authentification pour y parvenir. Le vaccin est enregistré, mais marqué comme non confirmé par un médecin agrée; cela paraît raisonnable, mais quel médecin est agrée ? J’essaie ensuite le vaccin COVID-19, mais s’il existe bel et bien une entrée COVID-19 dans la liste, elle est grisée, donc inaccessible. Je ne peux donc pas inscrire ce vaccin.

Me référant au dépliant reçu, je demande au personnel de vaccination du site où j’ai reçu les deux doses comment procéder, mais personne ne peut me renseigner. Je me fends d’un courriel à l’équipe de support du site mesvaccins.ch, mais j’attends toujours la réponse, dix jours plus tard.

En continuant mes investigations, je me rends compte que le dépliant fait mention d’une application mobile associée, mais on ne peut la télécharger nulle part. Elle fait aussi mention de la possibilité de téléverser son certificat de vaccinations ou son carnet de vaccinations sur le site mesvaccins.ch, où de gentils préposés se chargeront pour la modique somme de CHF 10.- par entrée d’introduire mes vaccins dans mon carnet de vaccination informatique. Mais je n’ai jamais trouvé le lien de téléchargement, et personne n’a su m’aider…

En réalité, je n’ai pas été trop surpris par la tournure des évènements. Les administrations cantonales et fédérales ont un retard abyssal en matière de technologies de l’information : un paradoxe majeur dans un pays qui se veut innovateur et à la pointe de la technologie. Il y a plein d’exemples que l’on pourrait citer :

Nous avions à l’époque (avec une collègue actuellement responsable de l’ingéniérie de la santé) conduit un projet à la HEIG-VD pour l’IUMSP (un institut lausannois dépendant du CHUV et de l’UNIL, maintenant appelé Unisanté) concernant la surveillance des ventes de médicaments dans un contexte d’addictions. Ce projet avait ensuite été repris par l’OFSP pour une implémentation supra-cantonale. J’avais assisté à certaines séances où les représentants de quinze à vingt cantons étaient présents, et qui tous exigeaient une interface de communication différente avec les systèmes (souvent propriétaires) qu’ils utilisaient. Plutôt que de développer et maintenir vingt interfaces différentes, on a finalement choisi le seul média vraiment commun : le fax, et un préposé qui retape laborieusement les contenus des messages dans le système informatique que nous avions développé. C’est ce que l’on appelle, dans l’administration suisse, la numérisation des services. Je crois que depuis, on est passé à des formules de tableur importables dans le système cible et transmissibles par courriel en pièce jointe : un progrès remarquable !

Je suppose que ce sont des problèmes similaires qui ont conduit à l’acquisition des données COVID par l’OFSP au moyen de ce même média : on raconte que les préposés de l’OFSP, au plus fort de la crise COVID, prenaient la pile de fax reçus au cours de la nuit, et pesaient le paquet à l’aide d’un pèse-lettres pour déterminer le nombre de nouveaux cas signalés dans les divers cantons.

Les autorités cantonales ne sont pas beaucoup plus avancées en la matière. Le canton dans lequel je réside a introduit une identité électronique pour permettre le vote informatisé, entre autres. Il y a peu, j’ai eu quelques soucis pour m’annoncer dans leur système, et j’ai écrit un courriel (non signé électroniquement) pour demander comment me procurer de nouveaux identifiants. J’ai reçu en retour un courriel en clair me communiquant de nouveaux identifiants, et me recommandant tout de même à ne pas trop tarder à modifier le mot de passe. Aucune vérification d’identité n’a été requise : je pourrais théoriquement demander une nouvelle carte d’identité par ce biais ! Affolant, non ? Quand madame Nuria Gorrite, lors de l’émission Infrarouge, proclame qu’elle ne fait pas confiance au privé pour l’implémentation d’une identité électronique, et que c’est à l’administration fédérale de le faire parce que cela sera plus sûr, je ne peux m’empêcher de laisser transparaître un léger scepticisme..,

En réalité, la création de mon carnet de vaccinations électronique (comme pour un dossier médical. ou une pièce d’identité, ou la validation d’un vote) passe par une étape préalable incontournable : la disposition à l’échelle nationale ou supra-nationale d’une identité électronique reconnue et technologiquement susceptible d’évoluer dans son implémentation. Tant que cette identité n’est pas opérationnelle, une véritable numérisation des services administratifs ne saurait être effectuée de manière efficiente. Les systèmes que pourront introduire les divers cantons ne résolvent que de petits problèmes locaux et coûtent horriblement cher au contribuable pour un bénéfice confidentiel. L’administration fédérale avait en son temps essayé d’introduire SuisseID, une faillite technologique à 25 millions de CHF. Et quand on parle de centraliser les données au niveau fédéral pour plus de sécurité et de confidentialité, on rappellera que cela a déjà été fait une fois et a débouché sur le scandale des fiches.

Alors pour ce qui concerne la loi sur l’identité électronique (e-id), je pense qu’elle n’est probablement pas idéale, mais elle va dans le bon sens et devrait permettre enfin d’avancer. Et l’administration a suffisamment de juristes pour rédiger des contrats de collaboration et pour traiter avec les responsables de l’implémentation en cas de litiges ou de problèmes de fuite. Alors je voterai pour approuver cette loi le 7 mars prochain. Et pas seulement pour me permettre la création de mon carnet de vaccinations.