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Liberté ?

La liberté n’existe que si vous l’apprenez. (Johann Dizant)

Le président des Français Emmanuel Macron a affirmé de manière véhémente le droit de tout individu à l’expression libre, en particulier à l’occasion de l’hommage rendu au professeur Samuel Paty, décapité par un islamofasciste lobotomisé. On ne peut qu’applaudir à ce discours dépourvu de toute ambiguïté, même si cela a le don d’irriter tel apprenti dictateur moustachu (tiens, cela me rappelle confusément quelque chose…) des bords du Bosphore.

La liberté d’expression fait partie intégrante de notre culture, et c’est en grande partie à la France que nous devons ce privilège. Car il s’agit d’un privilège, il ne faut pas s’y tromper. Les êtres humains pouvant s’exprimer librement et sans entraves sont une minorité sur notre planète, et il n’est pas nécessaire de voyager bien loin pour trouver des contrées où il vaut souvent mieux taire ses convictions profondes. Mieux, nous avons l’opportunité de dire ce que nous pensons, et les moyens techniques de le faire ! En effet, nous disposons actuellement de vecteurs incroyablement performants pour véhiculer nos idées et nos opinions : les média numériques (Facebook, Instagram, Internet en général) permettent de diffuser quasi instantanément dans le monde entier des émotions, des avis, des opinions, pertinents ou non. La liberté d’expression la plus totale, non ?

Malheureusement, les choses sont généralement moins simples que cela. Une question récurrente est bien sûr de savoir jusqu’à quel point la liberté d’expression peut justifier le mensonge, la calomnie ou la désinformation. Donald Trump, encore président des Etats-Unis pour peu de temps, on l’espère, a abondamment utilisé les fausses informations tout au long de son mandat; avait-il le droit de le faire au nom de la liberté d’expression ? La liberté d’expression couvre-t-elle la malhonnêteté, la désinformation systématique et les allégations mensongères ?

Non. bien sûr; mais qui va décider de ce qui est licite ou non ? Toutes les évidences ne suffisent pas aux partisans du président Trump pour qualifier de mensonger une parole de leur idole; le mouvement QAnon, par exemple, élève Donald Trump à une fonction de combattant du Mal représenté par les démocrates. Comment cet Elu pourrait-il être soupçonné de mensonge ?

Le problème se pose de manière très péremptoire aux entreprises implémentant les réseaux sociaux. Au départ simples fournisseurs d’une infrastructure de stockage et de diffusion, ils ont dû dans un premier temps intervenir sur les contenus jugés choquants par une Amérique puritaine; ainsi des reproductions de grands peintres ou sculpteurs ont-elles été censurées parce qu’elles représentaient des corps dénudés. Plus récemment, des courriels ont été simplement supprimés parce qu’ils contenaient des termes jugés indécents. Comme il est bien sûr impossible de réaliser cette censure par l’examen humain de ces contenus, ce sont des algorithmes qui vont effectuer ce travail, à leur manière stupide et automatique (même si on vous affirme qu’ils se fondent sur de l' »intelligence » artificielle). La relative facilité avec laquelle il est possible de contourner ce genre de barrière en dit long sur le niveau d’intelligence de ces algorithmes.

Par la suite, ces géants du web se sont rendus compte que leurs plateformes pouvaient servir à une multitude d’objectifs, parfois beaucoup plus indécents que la représentation d’un entrejambe féminin par Gustave Courbet. A tel point que Mark Zuckerberg a finalement dû s’en expliquer devant le Sénat Américain après le scandale de Cambridge Analytica : cette explication a parfois mis en évidence quelques « lacunes » dans les façons de faire de Facebook, lacunes que le directeur multimilliardaire de la société a majoritairement mises sur le compte d’un souci de liberté d’expression.

Au nom de la liberté d’expression, il est donc possible d’influer sur les résultats d’une élection. Ce n’est pas nouveau, c’est ce qu’essaie de faire tout politicien lors d’une campagne électorale, souvent au mépris de la véracité de ses propos; ce qui est en revanche plus préoccupant, c’est que l’on puisse détourner des outils de communication comme Facebook à des fins de diffamation ou de désinformation, en se fondant sur des données personnelles piratées pour influer sur les opinions des lecteurs. Cambridge Analytica n’est pas le seul acteur à avoir exploité ce filon, d’autres, à commencer par Matteo Salvini en Italie ont allègrement usé, voire abusé de ces techniques pour fidéliser leur électorat. La prise de conscience du rôle douteux que peuvent jouer les réseaux sociaux a amené les principaux acteurs à contrôler davantage ce qui est publié sur leurs sites. Ainsi, Facebook, Twitter et d’autres ont invalidé de nombreux comptes d’utilisateurs pour incitation à la violence ou au terrorisme; l’incitation à la haine est également devenue un motif d’exclusion, en particulier suite à des affaires de harcèlement (cyberharcèlement) ayant conduit au suicide d’adolescents pris pour cible par leurs « camarades ». Suite à cette « censure » que commencent à pratiquer les réseaux sociaux, certains groupes ont décidé de créer leurs propres réseaux sociaux. Le financement de Parler.com, par exemple, est assuré par Robert Mercer et sa fille; coïncidence ? Ils figurent aussi parmi les fondateurs de l’antenne américaine de Cambridge Analytica, ce sont de fervents supporters de Donald Trump, et certaines mauvaises langues les soupçonnent de financer QAnon.

Récemment, Twitter a sanctionné le président des Etats-Unis, en particulier lors de l’élection chaotique d’octobre 2020, pour tenue de propos manifestement faux et susceptibles de causer des troubles parmi ses partisans. Que ces mesures de la part de Twitter soient ou non justifiées n’est pas la question : il s’agit d’une restriction de la liberté d’expression, ou à tout le moins d’un jugement sur l’opinion d’un utilisateur. Or. ce rôle que les médias traditionnels (comme la presse écrite) connaissent bien est nouveau pour les réseaux sociaux; leurs algorithmes ne sont de loin pas suffisamment intelligents pour déterminer si une information est litigieuse ou non, et si oui, selon quels critères il s’agit de la sanctionner. D’autre part, la quantité d’information à traiter est hors de portée d’un contrôle humain. Il faut recourir à des contrôles hybrides, où le premier tri est effectué par l’algorithme pour signaler les articles susceptibles d’être litigieux, puis un contrôle humain qui décidera de classer le texte suspect dans les articles douteux, voire de le censurer. Le procédé n’est pas nouveau : mais il est réalisé sur la base de règles internes au réseau social, pas toujours très transparentes, voire parfois proches de l’arbitraire : ces règles sont en effet susceptibles d’être « adaptées » si l’objet de la censure l’impose.

Le problème des algorithmes, c’est qu’ils ne sont pas très doués pour la nuance; faire la différence entre un discours malveillant, une calomnie caractérisée et une critique quelque peu acerbe n’est pas vraiment évident pour un amalgame de silicium, aussi complexe soit-il, et dopé à l’intelligence (ou la stupidité) artificielle de surcroît. Le résultat est que l’usage des algorithmes nécessaires pour restreindre l’accès aux média par des auteurs malhonnêtes ou faisant l’apologie de croyances subversives et dangereuses tend globalement à restreindre la liberté d’expression. A l’inverse, la critique et la satyre (honnies par ces mêmes auteurs malveillants et souvent filtrés par les algorithmes en question) sont constructifs dans la mesure où ils mettent en évidence des injustices ou des incohérences. Donald Trump (pour ne citer que lui) est néfaste pour la liberté d’expression parce qu’il l’utilise à mauvais escient; paradoxalement, Xi Jin Ping est plutôt bénéfique pour cette même liberté d’expression dans la mesure où il donne un exemple désastreux de l’absence de liberté d’expression. Sans une certaine liberté d’expression, l’Eglise aurait-elle entrepris de sanctionner ses prêtres pédophiles qui ont en toute impunité détruit de jeunes existences pendant tant d’années ? De fait, on pourrait dire que la liberté d’expression ne s’use que si l’on s’en sert mal.

La liberté d’expression est un bien précieux, mais il faut l’utiliser avec raison et discernement. Une instruction et une éducation adéquate sont nécessaires pour parvenir à retirer des bénéfices de ce bien : pour avoir voulu imposer une liberté d’expression à une société qui ne savait qu’en faire, les Etats-Unis et leurs alliés ont à de multiples reprises crée des situations explosives : au Moyen Orient par exemple. C’est justement ce genre d’éducation que des personnes comme Samuel Paty proposait à ses élèves. Jusqu’à en mourir sous les coups d’un obscurantisme qui a peur des mots, surtout s’ils décrivent la vérité.