Débat politique

Je n’ai jamais été un fan de politique; non que je croie que cela ne sert à rien, mais parce qu’il m’est très difficile de croire les promesses des politiciens, surtout en période électorale. Cela a toujours été ainsi, et cela ne s’arrange pas ces dernières années. Entre François Hollande qui promet de maintenir les emplois dans les aciéries du Nord et Sarkozy qui parle de gagner plus en travaillant plus, comment voulez-vous encore prendre au sérieux la politique et les politiciens ?

Mais il me semble que ces derniers temps, nous avons passé un nouveau cap. Sans insister sur la vulgarité obscène d’un Trump voulant mener les femmes avec deux doigts dans la moniche (sic),  j’ai quelque peine, à la « lumière » (?) des débats proposés jusqu’ici par les deux candidats américains à me faire une idée de ce que seront les Etats-Unis l’an prochain, quel que soit le vainqueur. On nous parle d’un mur au Mexique, de l’expulsion des musulmans et de diverses autres anecdotes du même genre, mais la vision du monde des candidats à la présidence de la première puissance de la planète est pour le moins opaque, me semble-t-il… Il est vrai que récemment, un de ces obscurs candidats secondaires demandait sans rire au journaliste qui le questionnait ce que c’était que Alep…

Bien sûr, j’espère ardemment que Clinton l’emporte ! Mais cela ne me rassure pas pour autant.

Et l’an prochain, ce sont nos voisins français qui vont nous régaler de sondages et de discours politiques de « haut » niveau. On attend avec délices le « débat » Mélanchon-Le Pen; cette fois, ils auront pris tous deux de la lecture, j’imagine… C’est vrai, à la dernière version de la confrontation, seule Marine avait pris cette précaution, de manière à avoir quelque chose à lire pendant que son adversaire pérorait.

L’ennui, c’est que depuis le temps que cela dure, plus personne n’est dupe des promesses intenables des candidats, quelle que soit leur appartenance politique. Les gens ont compris finalement qu’un discours politique n’avait pour but que la réélection en vue de continuer à faire du blé pour les plus nantis au détriment d’une classe moyenne de plus en plus paupérisée. Et ça, je ne suis pas certain que cela soit une perspective enchanteresse pour l’électeur moyen…

Rupture

Beaucoup de gens ont, au cours de leur existence, subi une modification profonde de leurs conditions de vie suite à un évènement imprévu, un accident, une maladie, une rupture sentimentale ou que sais-je encore. Il y a la vie avant et la vie après, deux époques soumises à des conditions parfois très différentes. Tel skieur de haut niveau qui devient tétraplégique suite à un accident… Telle mère heureuse qui voit sa famille détruite suite à un évènement imprévu. Ou encore une maladie qui soudain fait d’un individu en bonne santé et plein de projets d’avenir un plus ou moins condamné réduit à planifier sa fin de vie de la manière la moins désagréable possible pour ses proches.

Un grand marcheur qui ne parvient plus à se déplacer jusqu’aux poubelles; un skieur émérite qui se voit interdire une altitude supérieure à 1000 mètres, un sportif de haut niveau rendu tétraplégique par un accident, un cancer du sein qui évolue de manière maligne…

Une vie se brise, et modifie le cours de nombreuses autres vies de par là-même. Un évènement banal à l’échelle de l’humanité, mais tellement bouleversant pour les individus… D’autant que rien n’a été fait pour faciliter les choses vis-à-vis des proches de la victime. Ces dernières n’ont guère d’autres choix, souvent, que le sacrifice de leur manière habituelle de vivre, ou de quitter la victime au risque d’une culpabilisation durable.

Dans de nombreux cas, il serait pourtant possible d’appliquer des solutions alternatives, en mettant en relation ces victimes avec d’autres victimes d’accidents similaires ou autres  (après tout, un malvoyant peut pousser le fauteuil d’un tétraplégique, non ?) sous la supervision de thérapeutes (psychologues, assistants sociaux, etc…). Des structures similaires existent, mais n’insistent guère sur la proximité nécessaire à un contact physique entre les personnes. Or, si le virtuel que nous proposent généreusement Internet et Facebook ont leurs avantages, rien ne remplace la présence effective d’un interlocuteur pour un verre de blanc à l’apéro ou un café-croissants pour commencer la journée.

La difficulté est de mettre en relation les bonnes personnes, et les thérapeutes ont vraisemblablement un rôle important à jouer dans cette mise en relation, ainsi que dans un conseil éclairé sur d’éventuelles thérapies. Le fait que les victimes puissent se prendre ensuite en charge elle-mêmes pourrait permettre d’améliorer leurs conditions de vie ainsi que celles de leurs proches, ainsi que peut-être de soulager légèrement les coûts de la santé. Les moyens nécessaires sont relativement modestes : un site Web par région, plusieurs groupes Facebook, et quelques volontaires parmi les quels des thérapeutes et la participation active d’hôpitaux universitaires et régionaux pour orienter les victimes vers cette offre.

Et l’espoir que cela puisse fonctionner…

La santé est trop chère

En Europe Occidentale et particulièrement en Suisse, nous disposons d’un système de santé d’excellente qualité et d’assurances maladies bien établies. Mais cela coûte cher. Lorsque l’on en fait la remarque, les réponses arrivent rapidement, si répétitives qu’elles finissent par ressembler à des lieux communs.

  • Les recherches en pharmacologie sont fort coûteuses, il faut bien les amortir… Euh, bien sûr… Mais pourquoi la même molécule est-elle trois fois plus chère en Suisse qu’en France ? Les recherches sont identiques, non ?
  • Pour être en mesure de conserver des places de travail en Suisse, il faut payer des salaires suisses, et ceux-ci sont plus élevés ! Ah ? Et les nombreux frontaliers que vous engagez, vous les payez aussi à des salaires suisses ?
  • Nous avons le meilleur système de santé du monde, cela a un prix, et la santé n’a pas de prix ! Ah, permettez : la santé a un prix : celui qu’on peut payer, et certains suisses ne peuvent plus payer ce prix !
  • Les appareils modernes sont très chers, il faut les payer ! Ah, c’est pour cela qu’on répète dans l’hôpital B les examens effectués deux heures avant dans l’hôpital A ?

Lors de divers projets de développement au cours de ma carrière d’ingénieur en technologies de l’information, j’ai pu déceler d’autres raisons au surcoût de la santé. Ainsi, tel hôpital universitaire a déroulé une étude sur plus de dix ans pour choisir un système informatisé de dossier du patient. Ils ont fait l’acquisition d’un système forcément obsolète (dix ans après, tu penses !) dont l’éditeur a rapidement décidé l’abandon un peu plus tard. Cet hôpital s’est doté avec force millions de francs suisses d’une antiquité (après dix ans d’étude, le système n’avait pratiquement pas évolué, car l’éditeur le savait obsolète) qui est entretenue par une entreprise américaine en seconde main qui n’attend que le moment opportun pour proposer son propre système en remplacement de l’actuel. Comment dites-vous ? Sera-ce compatible ? Franchement, quelqu’un a-t-il déjà vu deux systèmes informatiques conceptuellement différents pouvoir se targuer de réelle compatibilité ? Ce n’est pas tant le prix du système qui va coûter très cher au contribuable, mais les dizaines de milliers d’heures d’étude, d’apprentissage, de « customisation », etc… qui ont été mises dans cette gigantesque poubelle informatique.

La loi impose au soignant de documenter ses actes pour que les assurances maladies puissent rembourser les prestations. Mais cette documentation implique un travail de bénédictin pour les soignants : et pose d’une voie veineuse à M. Dufenu, code 534789234, pose d’un pansement à Mme Dumoulin, code 785234123, et… On parle ici de LaMAL et de codes TARMED. Il ne serait guère difficile de saisir ces codes automatiquement (nous avions proposé un système prototype à l’hôpital cité plus haut), mais l’inertie de ces grandes structures implique une absence de prise de risque de la part des responsables. Imaginez que le système choisi foire : si le logiciel est conçu par une société locale genre PRESDECHEZTOI SA, on va accuser le service ayant choisi le système de négligence coupable, alors qu’un système largement plus pourri et mille fois plus coûteux, mais estampillé MICROSOFT ou APPLE n’aura que peu de répercussions sur la personne ayant choisi le système (« Ah, mais c’était une grande maison, alors j’ai eu confiance »).

Le système de santé constitue certainement un poste forcément cher dans un bilan. Mais une partie conséquente de ce poste est à imputer à une inefficience qui touche parfois au ridicule. Un exemple encore, et ensuite je ferme mon usine à stupidités:

Récemment, j’ai été transféré en ambulance de Berne à Neuchâtel pour des raisons loufoques sur lesquelles je ne reviendrai pas ici. Dans le garage de prise en charge de l’hôpital de l’île, à Berne, on m’a mis dans une ambulance bernoise, avec un conducteur et un ambulancier très sympathiques. J’ai eu le temps au passage de voir deux autres ambulances vides sur le départ, ayant amené des patients de Neuchâtel à Berne, avec des plaques de Neuchâtel. J’ai demandé innocemment s’il n’eût pas été possible de rentrer avec l’une d’elles au lieu d’en affréter une troisième. Eh bien c’est impossible pour un tas de raisons que je ne vais pas détailler ici, sauf deux d’entre elles :

  • A qui facturer la course ? A l’assureur du patient aller ou à celui du retour ? Quant à partager, trop compliqué, et pas prévu par la loi, il n’y a aucun code défini pour cette opération.
  • Les syndicats ne sont pas d’accord, car cela fait du travail en moins pour les ambulanciers.

Oui, ce sont de petits frais, c’est vrai. Mais cela donne une idée de l’esprit de la chose… Du coup, trois ambulances se sont suivies sur l’autoroute entre Berne et Neuchâtel. Vous avez dit pollution ? Non, elles n’étaient pas munies de moteurs électriques.

Restez en bonne santé, c’est ce qui peut vous arriver de mieux ! Et accessoirement, ca aidera vos concitoyens aussi.

 

Comptabilités

En 1979, un informaticien génial et idéaliste de dix-huit ans, Dan Bricklin, fonda le logiciel Visicalc, un programme s’exécutant sur un ordinateur Apple II. Visicalc inaugurait le tableur et allait révolutionner le travail des comptables (et accessoirement doper immensément les ventes de Apple qui n’a jamais reversé un dollar à Dan Bricklin). Les brevets logiciels n’existant que depuis 1982 aux Etats-Unis, Visicalc fut abondamment copié et cloné (Multiplan, Lotus 1-2-3) en toute impunité; tout ceci pour en finir avec l’omniprésent Excel, dernier descendant d’une longue lignée de tableurs tous plus sophistiqués les uns que les autres, mais n’ayant fondamentalement pas grand-chose à rajouter aux fonctionnalités essentielles de Visicalc.

Cette révolution technologique eut une conséquence plus insidieuse que l’on ne commence à réaliser que 35 ans plus tard. Dans les années 80, un comptable était un travailleur acharné qui sur la base de paramètres immuables effectuait additions, soustractions et multiplications pendant d’innombrables heures pour parvenir à un résultat auquel on ne pouvait guère toucher sous peine de devoir tout recommencer. Or avec un tableur, ce travail se réduit à quelques secondes. Certains crieront au miracle technologique, mais les effets pervers s’avèrent nombreux.

Il est ainsi devenu aisé d’étudier l’effet des modifications de quelques paramètres sur un bilan global. Cela s’appelle de l’optimisation. Dans un projet de recherche financé par des fonds publics, on peut ainsi facilement jouer sur le taux de rémunération annoncé au bailleur de fonds relativement au taux de rémunération effectif d’un employé pour engranger des bénéfices qui iront on ne sait trop où, mais probablement pas à la recherche. Avant, ce n’était possible qu’au prix d’un effort gigantesque, donc on ne le faisait pas et la recherche engrangeait cet argent. Maintenant, il suffit de modifier légèrement le taux pour que le projet se termine effectivement à la date planifiée, et le reste peut servir à rémunérer d’autres postes déficitaires (ceux que certains de mes collègues appellent cavalièrement des « inutiles »).

Autre exemple : l’hôpital de Neuf Castel reçoit un malade en situation critique, les médecins se rendent rapidement compte qu’ils ne peuvent prendre en charge le cas, et on l’envoie par hélico à Bären Stadt où ils peuvent le traiter. Mais bon, du coup, Neuf Castel ne récupère pas l’argent du séjour du malade; alors dès le traitement effectué, ils font re-transférer le malade en leurs murs par ambulance pour le mettre aux soins intensifs chez eux, de manière à récupérer les nuitées. Il est bien sûr parfaitement logique (?) de placer en surveillance intensive un malade à 40 kilomètres du seul endroit où on est en mesure d’intervenir en cas de récidive (et, vérification effectuée, il ne s’agit aucunement d’un problème de places disponibles). Là encore, Excel a frappé en démontrant que le bilan, entre ce qui est remboursé par les assurances et ce qui est à la charge de Neuf Castel est plus favorable dans ce cas de figure, une opération quasi impensable effectuée manuellement sur les centaines de patients éventuellement incriminés.

Le tableur a donné aux comptables un pouvoir immense : d’obscurs manipulateurs de machines à calculer qu’ils étaient, ils sont devenus les vrais décisionnaires, ceux qui fournissent aux politiciens élus les arguments de décision. Ils ont le pouvoir, mais aucune formation en rapport, une éthique professionnelle inadéquate; et surtout, aucune légitimité. Tous les grands acteurs politiques utilisent des comptables pour étayer leurs discours, mais la puissance du tableur permet de faire dire à peu près n’importe quoi à une quelconque série de chiffres, et ces projections ne coûtent rien.

Le tableur est une bénédiction pour le comptable. Mais le comptable est-il une bénédiction pour la société ? Certainement pas dans son nouveau rôle d’ordonnateur de la politique mondiale, ou (plus près de mon expérience personnelle) en tant que directeur des recherches dans un institut de hautes technologies. Quant un comptable dit qu’un projet doit se terminer à tel jour et telle heure, au mépris de l’état effectif du projet, ce comptable outrepasse totalement son rôle (d’autant que lui n’a pas le souci de virer les gens, c’est les gens des Ressources Humaines qui le font). Malheureusement, il y a de plus en plus de directeurs d’instituts de recherche  qui obéissent aveuglément au comptable, tant la place qu’il a prise est devenue redoutable et son rôle redouté.

Courage, le comptable sera bientôt remplacé par un robot comptable. Je ne suis pas certain que cela représentera un bienfait, mais cela fera toujours une personne de mauvaise foi en moins.