Les salauds vont-ils en enfer ?

Les dictateurs et les ploutocrates en tous genres ont toujours été nombreux, mais ces dernières années, ils semblent avoir gagné en puissance et en présence, au moins médiatique. Ceci tend à poser une fois de plus la question de savoir s’il y a une punition pour les actes criminels de ces dirigeants. On emprisonne, avec raison me semble-t-il, à perpétuité (incompressible) Salah Abdeslam pour sa participation aux attentats du 13 novembre 2015 (dits du Bataclan) qui ont fait 130 morts en région parisienne. Mais les dictateurs qui se rendent responsables ou à tout le moins complices de dizaines ou de centaines de milliers de morts risquent ils une punition similaire ? Peu probable: on voit mal Bachar al-Assad ou Xi Jinping comparaître devant un tribunal, sauf changement radical (le terme est probablement mal choisi dans le contexte politique suisse) de régime gouvernemental dans leurs pays respectifs.

La dichotomie évidente entre la justice appliquée aux simples citoyens que nous sommes et celle appliquée aux dirigeants de tout poil interpelle. « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. » écrivait déjà La Fontaine au dix-septième siècle, dans les Animaux malades de la Peste.

La Justice est une institution dont l’invention se perd dans la nuit des temps; en principe, son but était de régler les litiges entre citoyens de manière aussi équitable que possible, et sans les motivations passionnelles que peut inspirer la notion de vengeance ou de haine. Souvent exercée par l’autorité en place (le Roi Salomon dans son palais, ou Saint Louis sous son chêne), on peut légitimement douter de l’impartialité des condamnations prononcées par des potentats souvent juge et partie. La Grèce antique avait fait mieux en instaurant l’Héliée, sorte de tribunal du peuple qui siégeait sur l’agora d’Athènes. La république romaine disposait de structures similaires, mais mieux hiérarchisées. Mais toutes les structures que l’on peut imaginer restent contrôlées par des humains faillibles et corruptibles, avec leur opinions et leur propre notion de ce qui est « juste ». Il n’est que de voir les dérives rétrogrades actuelles de la Cour Suprême des Etats-Unis pour s’en persuader, encore que certains politiciens suisses qualifieraient ces décisions différemment.

Dans le cas de dirigeants politiques, il peut être très compliqué d’amener un dictateur devant un tribunal, aussi impartial soit ce dernier. Si le procès de Nuremberg a pu condamner nombre de hauts dirigeants du IIIème Reich (un procès dirigé par les vainqueurs de la guerre, donc pas vraiment impartial), que Saddam Hussein a été jugé et condamné, et que Ratko Mladic, le boucher des Balkans a pu être jugé par le tribunal pénal international, combien de dictateurs sanguinaires ont évité la justice, soit par leur mort (souvent violente, comme pour Hitler, Kadhafi ou Ceaucescu), soit par leur disparition des radars (par exemple ceux qui ont échappé au procès de Nuremberg à l’époque) ? Et même pour les condamnés de Nuremberg, la peine prononcée (fût-ce la mort) peut-elle être proportionnée à l’enfer vécu par les prisonniers de Bergen-Belsen, d’Auschwitz ou de Dachau ? Et que dire des Staline (peut-être empoisonné ) ou Mao (probablement responsable de plus de morts que la Seconde Guerre Mondiale) et tant d’autres, jamais jugé, et parfois vénérés en dépit de leurs crimes contre l’humanité ?

Espérer voir Poutine en personne devant un tribunal risque de s’avérer très compliqué… D’autant que de la part du dictateur russe, le pire risque d’être encore à venir, comme il le dit lui-même ! Bon, ceci dit, il est vrai que Poutine dit tellement de mensonges qu’il devient difficile de le prendre au sérieux.

Il y a donc probablement peu de chances que nos grands méchants actuels finissent un jour devant un tribunal et n’aient à répondre de leurs crimes, n’en déplaise à Madame del Ponte. Pas de justice pour les grands criminels; ou en tous cas moins que pour les plus modestes criminels de droit commun que nous connaissons. Les Poutine et autres ont de bonnes chances de finir leurs jours bronzés sur la terrasse de leur datcha. Tant pis pour le justice des hommes…

Bien sûr, il y a la Justice de Dieu, dans la mesure où l’on y croit, bien sûr.

Les religions ont de tous temps fondé leur « enseignement » sur l’existence d’un lieu infiniment bienheureux et d’un autre infiniment maléfique (le paradis et l’enfer) ou les bons et les mauvais seront dispatchés à leur décès, selon leurs mérites ou leurs péchés (et selon ce que l’on considère comme mérite ou péché, bien sûr !). Ceci a permis de maintenir une partie significative de la population en quasi esclavage dans l’espoir d’une « existence » meilleure après la mort, sous réserve de bonne conduite, définie par un dogme arbitraire,. De plus, le petit peuple maintenu dans l’ignorance ne se posait pas trop la question de savoir à quoi pouvait bien ressembler une existence éternelle bienheureuse, du moment que c’était « mieux » que ce que l’on leur faisait subir. Les Musulmans avaient bien imaginé un « paradis d’Allah » où l’on promet 72 vierges aux combattants du djihad (au fait, comment une femme peut-elle se proclamer musulmane dans ces conditions ?). Les djihadistes ont exploité ce filon en promettant le paradis d’Allah à ceux qui s’engageaient dans les troupes combattantes de l’Etat Islamique. Soit dit entre parenthèses, l’éternité, ça doit être long, et 72 devient un nombre assez modeste du coup, surtout si on tient compte cyniquement du fait qu’une vierge ne peut « servir » qu’une fois. Ceux qui se sont laissé tenter par cette promesse ne sont pas très malins de s’être laissé ainsi berner, en fait. Tant qu’à jouer dans la muflerie la plus sordide, autant le faire jusqu’au bout !

Inversement, les mauvais, les mécréants, les méchants allaient éternellement griller dans les tourments éternels des flammes de l’enfer. On devrait pouvoir en conclure que Poutine ira griller en enfer. Avec Xi, Loukachenko, Erdogan, et tant d’autres… Encore que le patriarche orthodoxe de Moscou et de toutes les Russies Kirill (habitué de la Suisse, d’ailleurs !) verrait plutôt Poutine au paradis avec tout plein de roubles à disposition, lui qui, milliardaire, ne cesse d’encenser le dictateur pour son invasion de l’Ukraine, au nom de Dieu et de toutes les Russies. Quand le patriarche dépositaire de la Foi Chrétienne est lui-même un oligarque corrompu…

Ce matin, le président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine a prononcé un discours martial dans lequel il décrète une mobilisation partielle, sous prétexte que la Sainte Russie est en danger, menacée de destruction par les puissances occidentales. Il essaie ainsi d’arrêter l’avancée des troupes ukrainiennes, mais il justifie aussi implicitement le recours à toute arme qu’il jugera bon d’engager pour la sauvegarde du pays. Au vu de l’arsenal (certes vieillissant, mais tout de même) nucléaire dont dispose l’ex-URSS, on peut se faire quelque souci…

Les salauds ne vont pas en Enfer. En tous cas pas dans cette existence. Après…

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