Dans le cadre de la grande thématique « C’était mieux avant », la Poste suisse fait assez fort, ces derniers temps, pour confirmer cette hypothèse.
Dernièrement encore, je suis entré dans un office de poste pour envoyer à quelques amis non domiciliés en Suisse (vous vous rendez compte, des étrangers !) des cartes de vœux en forme de calendriers de format A3, comme je le fais chaque année depuis environ dix ans. Pour ce faire, j’achète des emballages en carton vendus par la Poste pour ce genre d’envoi, et je les donne au guichet. J’en ai normalement pour 30 à 40 euros de frais de port; je sais, je ferais mieux de parcourir en voiture les 20 kilomètres qui me séparent de la frontière française; mais quand on est paresseux… Toujours est-il que le 28 décembre 2016, j’achète des emballages qui sont légèrement différents de ce que j’ai l’habitude de me procurer. C’est marqué dessus « RECYCLING », cela donne bonne conscience, et dans un premier temps, je me félicite de cette initiative de la Poste. J’ai tout de même l’impression qu’ils sont légèrement plus grands, mais bon, d’une année à l’autre, et l’âge aidant, on peut se tromper. Je vais au guichet avec mes 5 (cinq) calendriers emballés et étiquetés, et après quelques hésitations, l’accorte jeune dame qui me fait face prend mes paquets en charge, et me donne 5 étiquettes de dédouanement à remplir. Jusqu’ici, rien de surprenant, j’en remplis trois quand elle m’interpelle : « Ah, mais vos colis sont hors dimensions, il faut remplir un autre formulaire ». Je lui explique que cela fait dix ans que j’envoie ce genre de colis, mais elle me montre les règlements, mesure le paquet, et me fait la preuve que mon paquet dépasse les dimensions limite. Elle me donne donc 5 autres formulaires à remplir, nettement plus complexes, avec plein de champs à remplir, en particulier mes propres coordonnées. L’informatique n’a visiblement pas encore fait son apparition à la Poste, enfin bon je m’exécute, cela me prend bien vingt minutes, plus encore dix minutes pour refaire la queue afin d’accéder aux services de la même guichetière. Elle doit du coup compléter les formulaires, et cela reprend un bon quart d’heure, puis elle m’annonce le prix, ce que dans ma grande innocence je n’avais pas songé à vérifier, pensant très naïvement que pour un même contenu, le prix allait être analogue. On ne s’est pas fait faute de me détromper rapidement, à la Poste : 200 € de frais de port ! Nettement plus que la valeur du contenu, justifié par un dépassement de la norme arbitraire de 2cm pour les emballages pourtant vendus par ce même convoyeur ! J’ai passé presque une heure dans un bureau de poste inconfortable, en faisant également poireauter les autres clients, tout ceci pour me faire escroquer (désolé, je ne trouve pas d’autre mot). Et comme j’ai passé une heure, je n’ai pas très envie de redemander mes cartons qui sont déjà dans la caisse d’expédition, et de repartir avec, donc je m’énerve stupidement. Et je ne me fais pas faute de dire à la guichetière qu’on ne m’y reprendra plus.
Bien entendu, c’est exactement ce genre de réaction que la Poste souhaite provoquer. Chasser les clients des offices postaux, cela permet de dire que cet office postal n’est pas rentable et donc de le fermer. Comme dans toute entreprise, le personnel coûte trop cher, et les bureaux de poste, souvent admirablement situés au centre des localités, représentent des biens immobiliers précieux qu’il est beaucoup plus rentable de louer à des entreprises que d’exploiter soi-même. Cela permet de virer les employés, donc d’économiser des salaires, et de gagner sur des loyers qui tendent à devenir exorbitants. Le fait que lesdits employés doivent ensuite pointer au chômage, cela ne concerne plus la Poste, mais la communauté qui cotise pour le chômage au travers des impôts. Le service postal, on le confie à la fleuriste ou à l’épicier voisin, qui moyennant une rétribution de misère (souvent inférieure à la simple location, au prix du mètre carré, du coin de magasin qu’il devra consacrer à la Poste), va fournir un service minimaliste qui obligera chaque utilisateur, dès qu’il a un problème un peu plus complexe que le minimum vital, à faire des kilomètres pour trouver un véritable office postal. Comment ? Des personnes âgées qui peinent à se déplacer ? Elles n’ont qu’à s’adapter, ou mieux, disparaître. Au pire, qu’elles utilisent mieux les possibilités d’Internet. Comment ? Vous ne savez pas utiliser Internet ? Mon pauvre vieux, vous savez que vous êtes obsolète ?
Techniquement, le traitement du courrier a fait d’énormes progrès par rapport à ce qui était la norme il y a une trentaine d’années, à l’époque du service public de ce qui s’appelait alors les PTT (Les mauvaises langues traduisaient l’abréviation par « Pas Trop Travailler). De ce côté, il n’y a pas photo, et je doute qu’on veuille revenir en arrière dans le cadre d’une opération « C’était mieux avant ». Mais au-delà de la Poste (et de Swisscom et d’autres entreprises anciennement régies responsables d’un service public), la logique a changé. La notion de service a disparu au profit de la notion de rentabilité. Ceci n’est pas forcément un mal en soi : une entreprise rentable permet de réaliser des bénéfices et donc coûtera théoriquement moins cher à la communauté, d’où une amélioration globale du niveau de vie; mais l’interprétation qui en est faite actuellement tend à distribuer les bénéfices de la rentabilité aux nantis, à l’exclusion de personnes moins bien loties financièrement, qui du coup se trouvent de plus en plus paupérisées. Dans le cas d’une entreprise comme la Poste, c’est la communauté qui va devoir payer les bénéfices réalisés au profit des actionnaires et des membres de la Direction. Le bas de l’échelle finance les personnes plus aisées. Et ceci, c’est difficile à admettre. Dans le cas d’entreprises où le gouvernement est l’actionnaire principal, c’est totalement inadmissible; c’est pourtant le cas de la Poste. Entre autres…
Je ne sais pas si ma guichetière se retrouvera bientôt au chômage; mais si la tendance se confirme, je ne donne guère plus de 4 ou 5 ans d’existence à l’office de poste cité plus haut dans ces lignes. Un service minimal sera confié au kiosque de la place du Marché, et il faudra aller jusqu’à la ville voisine pour les transactions postales plus compliquées que le simple envoi de lettres ou de colis « standard »… C’est le progrès; cela ne veut pas dire que c’était mieux avant, mais cela ne signifie pas non plus que c’est infiniment mieux maintenant. Une question de point de vue, sans doute…