Pas tout compris…

Il est parfois difficile de suivre le raisonnement des autorités politiques; récemment, plusieurs messages livrés par notre gouvernement helvétique (ou les gouvernements des cantons) m’ont paru tellement contradictoires que je pense que j’ai dû manquer l’une ou l’autre page du livre. L’ennui, c’est que je ne comprends pas bien ce qui a pu m’échapper. Je vais mentionner trois thèmes pour lesquels l’action gouvernementale m’échappe actuellement:

Le dossier médical du patient :

Plusieurs cantons ont décidé d’aller de l’avant avec le dossier médical du patient en version électronique. C’est une démarche louable, que personnellement j’appelle de mes vœux depuis plusieurs années. Mais l’implémentation proposée laisse perplexe. Chaque canton propose une solution en propre. La principale pierre d’achoppement du dossier médical est l’identité numérique, bien sûr, refusée par le peuple suisse dans une récente votation. Sans identité numérique, pas de dossier du patient; mais les divers cantons ont décidé d’utiliser des solutions propriétaires. Ainsi, le canton de Vaud a introduit un VaudID-santé, mais il ne sera valable que pour les résidents du canton. Genève a pour sa part un GenèveID qui remplit les mêmes objectifs. Et ainsi de suite pour les autres cantons; on peut craindre qu’à terme, la Suisse se retrouve avec une vingtaine d’identités numériques différentes pour autant de dossiers patients, du coup incompatibles les uns avec les autres, mais contenant en principe des informations similaires, voire identiques. Ceci part d’une certaine logique, car ce sont les cantons, en Suisse, qui délivrent les pièces d’identité de base; mais contrairement à la carte d’identité qui a un format bien défini, l’identité numérique nécessite des outils spécifiques pour être protégée efficacement contre les contrefaçons et déchiffrée incontestablement par une autorité intéressée. Il n’est donc pas forcément garanti que pour des informations identiques, deux identités numériques soient compatibles et/ou interchangeables. Que se passe-t-il alors si un patient déménage ? Outre le fait qu’il a forcément tort de quitter un canton pour un autre (?), on peut supposer qu’il existera des passerelles pour pouvoir transférer son dossier patient d’un système d’identification à un autre : dans le cas de la carte d’identité, il faut en faire établir une nouvelle : on ose espérer que ce ne sera pas le cas pour l’intégralité du dossier patient. Quant au patient qui aura la malchance de tomber malade ou d’avoir un accident hors de son canton, on espère que l’on pourra encore le soigner dans l’hôpital où il aura finalement atterri…

Le désir parfois obsessionnel d’autonomie des cantons prime sur la logique qui voudrait que les habitants et contribuables puissent compter sur des soins aussi adéquats que possible où qu’ils soient lorsqu’il leur arrive de tomber malades ou d’avoir un accident. La dame qui se retrouvera aux urgences au CHUM (Centre Hospitalier Universitaire de Montréal) pourra-t-elle compter sur le fait que ses soignants auront accès à son dossier médical (incluant ses pathologies, ses allergies, ses intolérances et les traitements en cours) ouvert dans le canton de Neuchâtel en Suisse ? Mais bon, c’est de sa faute, elle n’avait pas à se rendre à Montréal, et surtout pas à y tomber malade.

Pénurie énergétique en vue !

Le président de la Confédération, M. Guy Parmelin, a averti la population qu’il fallait s’attendre à des pénuries d’approvisionnement en électricité. Ce n’est pas forcément une surprise, lorsque l’on constate la croissance de la consommation, boostée par l’automobile à propulsion électrique et la numérisation des services sur des clouds de plus en plus énergivores (bien qu’aux dernières nouvelles, en Suisse, on mette les clouds publics plutôt en Chine et aux Etats-Unis, mais bon…).

Ce qui est plus surprenant, c’est que le gouvernement ne s’en rende compte que maintenant. On ferme des centrales nucléaires, on ne veut plus de l’électricité produite à partir d’énergies fossiles (avec raison d’ailleurs), mais on n’investit que timidement dans le photovoltaïque ou dans l’éolien (ce dernier de toutes manières peu rentable en Suisse, à mon avis). Parallèlement, on fait la promotion de la voiture électrique, tellement moins polluante (en réalité, juste aussi polluante en exploitation que la production de l’électricité consommée). Il semble tomber sous le sens qu’à terme, on va manquer de courant, non ? Et que fait-on pour pallier à ce prévisible manque ? La Banque Nationale Suisse continue d’investir dans les énergies fossiles qui dorénavant ne produiront plus beaucoup d’énergie en Suisse, et le conseil fédéral se coupe partiellement de l’opportunité d’importer de l’énergie des voisins européens (abandon de l’accord-cadre avec l’UE, qui eût grandement facilité ce genre d’échanges). Encore faut-il que les voisins européens ne subissent pas de pénurie de leur côté, ce qui est loin d’être une certitude. La logique de la chose m’échappe, mais il est vrai que je ne suis pas politicien et encore moins gouvernant.

« Gouverner, c’est prévoir; et ne rien prévoir, c’est courir à sa perte » (Emile de Girardin, La politique universelle, 1852).

Nos dirigeants pensent sans doute que comme l’auteur de cette citation est décédé depuis longtemps, elle n’a plus de raison d’être…

Pandémie numérique ?

De nombreux experts le disent : la prochaine pandémie sera numérique. D’aucuns pensent que cette pandémie a déjà commencé, et je partage cette opinion, bien que je ne me prétende pas expert. Les nombreuses attaques récentes de pirates informatiques ont fait la une des médias, d’autant qu’après avoir ciblé de grandes structures privées ou semi-privées, on s’attaque désormais aux données de communes (Rolle, Montreux). Un « débat » sur ce sujet a fait l’objet d’une retransmission de l’émission Infrarouge sur la RTS. Je mets le terme entre guillemets, parce que par moments, cela devenait aussi inaudible qu’une discussion entre Marine le Pen et Jean-Luc Mélenchon (cette référence a été sélectionnée au hasard, il y a un vaste choix à disposition !).

Il est intéressant de constater que cela fait maintenant de nombreuses années que les spécialistes ont anticipé ces attaques, et mis en garde contre leur généralisation; mais les autorités à qui on demande d’anticiper les mesures à prendre pour se protéger contre de telles attaques ont préféré ne rien faire; à entendre le discours des protagonistes politiciens de l’émission susmentionnée, on comprend d’ailleurs que c’était peut-être préférable; mais en l’état, rien n’a été entrepris. On ne sait d’ailleurs pas très bien qui aurait entrepris quelque chose; le département militaire fédéral (théoriquement responsable de la sécurité, tout de même) a d’autres avions de combat à fouetter, le département de justice et police ne semble pas concerné. Le département militaire fédéral a initié depuis cette année un projet de cyberdéfense, mais apparemment, il ne sera vraiment opérationnel qu’en 2024. Quelque peu bizarrement, c’est le département fédéral des finances qui a mis sur pieds un Centre National pour la Cybersécurité qui permet un certain suivi des cyberattaques. Il est probable que l’on estime en haut lieu que les cyberattaques ne concernent que les finances, et qu’elles ne peuvent impacter les hôpitaux, l’industrie, les renseignements militaires, voire le processus démocratique même des Etats : ces hauts responsables feraient bien de suivre un stage chez Trump ou chez Poutine, entre autres…

Il est en tous cas navrant d’entendre (lors de l’émission en question) Mme Nuria Gorrite vanter l’excellence du travail (sans dire lequel, pas si bête !) accompli par ses services dans le canton où elle sévit (tout de même soumis à de nombreux cas de cyberattaques, il est vrai que le canton est grand), et encore plus navrant d’entendre M. Philippe Nantermod user et abuser de l’analogie pour le moins fallacieuse avec une porte d’entrée (je suppose que chez lui à Morgins, il la ferme à clé, mais est-ce bien le cas pour tous les ports logiciels TCP ou UDP qu’il utilise ?) pour affirmer qu’il faut laisser la sécurité aux mains des usagers.

La conclusion des politiques est que tout va bien, et que s’il y a des problèmes quelque part, ce n’est pas de leur fait, car eux font tout juste. La malnommée politique de l’autruche (on n’a jamais vu une autruche enfouir sa tête dans le sable en cas de danger, pas si bêtes, ces bêtes-là) est apparemment aussi de mise dans le cas de la cybersécurité. Il est vrai que les politiciens responsables sont peu ou prou les mêmes, plus préoccupés par les impératifs de réélection que par les dégâts occasionnés par leur impéritie. Tant pis pour la logique, car lors de l’inévitable catastrophe que va entraîner leur attitude, leur réputation va en souffrir; à moins qu’ils ne se trouvent l’un ou l’autre bouc émissaire…

Bouc émissaire tout trouvé : comme le répèterait M. Nantermod, l’utilisateur victime d’une cyberattaque aurait dû mieux se protéger; les consommateurs privés d’électricité n’avaient qu’à moins consommer; et le patient confronté à une incompatibilité informatique de son dossier médical n’eût pas dû tomber malade. Après tout, nous sommes des personnes responsables de leurs actes, n’est-ce pas ? Mais selon cette logique, à quoi peuvent encore bien servir les politiciens dans un Etat qui n’a plus aucune responsabilité ?

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