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Roublardise

Les Valaisans sont souvent qualifiés de roublards. Madame Viola Amherd ne fait pas exception à cette règle; voilà qu’elle invente un trou d’un milliard dans son département pour laisser accroire que l’armée est à cours de liquidités, et qu’elle fait répandre en parallèle la rumeur que la Suisse serait désormais en danger, menacée par une invasion russe à plus ou moins brève échéance. Ses sous-fifres, moins rusés qu’elle (mais il faut leur pardonner, ce sont des militaires, et qui plus est suisse-allemands non valaisans) mettent quelque peu les pieds dans le plat en se contredisant maladroitement, mais dans l’ensemble, ils confirment l’impression générale laissée par leur cheffe de file. L’armée est en manque de liquidités, en manque de personnel, en manque d’hommes (et aussi de femmes, mais bon, on peut faire sans). Tout le monde s’émeut de la situation, droite et extrême-droite en tête; la gauche n’ose pas trop discuter de peur d’être taxée d’irresponsabilité au moment où ils s’apprêtent à dépenser inconsidérément de l’argent pour payer une treizième aumône (c’est vrai que certains osent parler de salaire) pour les retraités. Quant au centre, pas de souci, ils sont du même parti, ils ne vont pas tirer sur leur consoeur, si ?.

Là-dessus, madame Viola présente un budget à hauteur de plusieurs dizaines de milliards de francs suisses pour « constituer une armée crédible face aux nouvelles menaces qui se profilent à nos frontières ». Et ça marche; personne n’ose discuter une dépense de plusieurs milliards dans les prochaines années, « pour se défendre contre ce salaud de Poutine », alors que la droite ergote sur les quelques milliards qui risqueraient éventuellement de mettre un peu de beurre dans les épinards de quelques malheureux retraités qui ont déjà dû divorcer pour parvenir à survivre. Si vraiment la treizième rente AVS était trop coûteuse, alors pourquoi le Conseil Fédéral, ou la droite et le centre, ou les ex-conseillers fédéraux à qui personne n’avait rien demandé en dépit de leurs CHF 20000.- de rente mensuelle, n’ont-ils pas jugé bon de présenter un contre projet plus judicieux ?

On se demande comment financer l’AVS, mais le financement de l’Armée ne constitue aucun problème. Apparemment, c’est nécessaire, puisque des spécialistes auto-proclamés (comme l’autre valaisan Jean-Luc Addor, mais lui n’est même pas roublard) disent que l’ennemi est aux frontières, ou en passe d’y parvenir.

Soyons sérieux ! Il ne semble pas totalement improbable qu’en cas de victoire de Poutine sur l’Ukraine, il continue en annexant l’Estonie, puis la Lettonie et la Pologne; mais avant qu’il parvienne aux frontières suisses, il lui faudra encore bouffer l’OTAN dans son intégralité; alors, en toute logique, ne vaudrait-il pas mieux faire partie de l’OTAN pour éviter que les troupes de Poutine ne parviennent à nos frontières ? Parce que si l’OTAN se fait bouffer, franchement, vous croyez que la Suisse fera mieux que ne le fait l’Ukraine actuellement ? Si vraiment Poutine est la menace ultime, alors faisons partie de l’OTAN, et nos investissements militaires deviendront sans doute plus crédibles; si l’Occident et ses valeurs sont menacées, alors adhérons à l’Occident, à l’Europe, à l’Union Européenne en l’occurence; avec tous ses défauts, elle avance tout de même de manière plus crédible que notre Conseil Fédéral qui n’a plus de conseil que le nom, et de fédéral que la fonction.

Le gouvernement suisse est devenu médiocre; la faute au consensus, probablement. On élit les personnes les moins clivantes; on met en avant Mme Baume-Schneider pour ne pas risquer avoir le syndicaliste Maillard à la prochaine occasion; on pourrait citer d’autres exemples; peu importe après tout. Le fait est que le système est devenu un exemple du plus petit dénominateur commun; à ce jeu, la roublardise de Madame Amherd fait merveille : les combines pourries ont toujours fonctionné à merveille chez les médiocres.

On cherche informaticiens…

Voici quelques années déjà que je retourne périodiquement chez mon ancien employeur pour jouer le rôle d’expert aux travaux pratiques en vue de l’obtention du titre de bachelor ou parfois de master. C’est un exercice qui me permet de garder le contact avec d’anciens collègues, et aussi avec la technologie qui a motivé mon parcours professionnel tout au long de mon existence. Les travaux pratiques consistent en un petit projet dont le déroulement s’étend sur une demi-année au total, pour un travail correspondant à trois centaines d’heures comptables environ. Certains candidats sont brillants, voire même hors normes; d’autres sont nettement en retrait ou n’ont carrément pas le niveau requis. Dans ce dernier cas, il faut également se questionner sur les raisons qui ont permis de faire parvenir le candidat jusque là, sans être parvenu à l’éliminer auparavant : il s’agit clairement d’une perte de temps et de ressources pour tout le monde.

J’ai pu remarquer au fil des années une évolution constante des travaux en informatique et en télécommunications. Les travaux se complexifient dans les fonctionnalités demandées, mais paradoxalement se simplifient dans leur architecture et leur réalisation. Alors qu’il y a quelques années, une grosse partie d’un rapport résidait en une description du problème et de la solution envisagée, ainsi que de la manière d’y parvenir, on tend actuellement à passer davantage de temps à décrire les outils que l’on entend mettre en œuvre pour parvenir à un produit dont on perd parfois un peu de vue la pertinence et l’adéquation au problème. Des outils de plus en plus complexes, et de plus en plus performants font que l’on passe désormais davantage de temps à essayer de comprendre ce que fait l’outil que de tenter de maîtriser les implications du problème que l’outil est censé aider à résoudre…

Ainsi, ces dernières années, le développement informatique s’est tourné vers des méthodes dites agiles, basées sur l’utilisation de frameworks sophistiqués. Ces méthodes tendent à postuler que l’étape dite de spécification fonctionnelle de la solution est inutilement chronophage, et prônent une implication très rapide du client dans le processus de développement. On utilise pour ce faire du prototypage rapide, des itérations nombreuses permettant au client de donner un avis sur la solution très tôt dans le processus de développement. Des frameworks _ cadres de travail- complexes et très sophistiqués permettent de modifier les détails d’une solution par simple paramétrage, mais sans toutefois autoriser des changements profonds dans la logique de la solution. Bien adaptées à la solution de problèmes relativement simples, comme les sites web, ces méthodologies peinent toutefois à convaincre dans le cas de problèmes plus sensibles. Ainsi, un atelier de coiffure pourra mandater un petit groupe de développeurs informatiques, parfois peu expérimentés, pour la réalisation d’un site web comprenant photos et système de réservation; en revanche, on est moins convaincu que ce groupe de développeurs soit en mesure de mettre sur pied le site d’une compagnie d’assurances correctement sécurisé avec des méthodes similaires (et -a fortiori- des connaissances à l’unisson).

Je n’ai a priori aucune objection à l’utilisation de méthodes agiles ou de frameworks; mais les développeurs qui travaillent dans cet environnement sont trop souvent poussés à une productivité à tout prix, en raison de la concurrence très forte sur ce segment de marché informatique. Il est vrai que c’est le principe de base d’une société capitaliste, mais un capitalisme intelligent et responsable chercherait à améliorer sa productivité sur le court, moyen et long terme, par exemple en prévoyant des possibilités de formation de ses employés en prévision de nouvelles méthodologies de développement; or dans le cas qui nous préoccupe, ce n’est que le court terme qui est visé. En d’autres termes, les développeurs, souvent privés de toute possibilité de post-formation, sont utilisés pendant quelques années, et lorsqu’ils sont dépassés par de nouvelles technologies, ils doivent s’adapter comme ils peuvent ou chercher du travail ailleurs. D’ailleurs, c’est plus intéressant pour l’employeur qui peut réengager des programmeurs novices, tout juste sortis de l’école et au fait des dernières nouveautés, qu’il paiera moins cher qu’un informaticien expérimenté, ou susceptible de demander une augmentation en raison de son ancienneté !

Récemment, j’ai suivi un cas tout à fait extrême à ce point de vue. Un étudiant qui a déjà passé plus de six ans dans l’école (ce qui va entraîner son exmatriculation), et qui parallèlement travaille pour une petite entreprise d’informatique de la région lémanique. Il s’agit d’une de ces entreprises qui travaille à flux tendu sur de petits projets orientés vers le web et les clients mobiles, d’une complexité suffisamment modeste pour lui permettre d’engager des gens peu qualifiés aimant bien programmer, et qui n’a guère les moyens d’investir dans la formation de ses employés : c’est dire si le diplôme de bachelor de l’un de ses employés a peu de signification. Le discours est plus que probablement « Tu as un job, tu gagnes de l’argent, que veux tu de mieux ? ». Un salaire qui paraît confortable à certains suffit parfois à démotiver un étudiant pour une formation dont il ne perçoit plus bien l’intérêt, puisqu’il a déjà un job ! En tous cas, c’est ce que notre étudiant a dû penser, car il n’avait pratiquement rien fait pour son travail de bachelor ! Son excuse était qu’il avait eu trop de travail chez son employeur, sur un projet très similaire d’ailleurs, bien que beaucoup plus simpliste. Il a de ce fait privilégié le travail chez son employeur, au risque (une réalité depuis quelques lors) de perdre le bénéfice de sa formation à la HES-SO; bien sûr, c’est son problème : mais que se passera-t-il lorsque son employeur le remerciera, ou plus probablement devra mettre la clé sous le paillasson ? Car il ne faut pas se leurrer : faire un site web simple, avec les outils disponibles est à la portée de presque n’importe qui, en particulier de générateurs de code automatiques que l’on devrait voir apparaître en production d’ici … pas très longtemps. Qui a parlé des intelligences artificielles génératives, au fond de l’auditoire ?

Que feront ces programmeurs peu formés lorsqu’ils seront en concurrence avec des générateurs de logiciels ? Question subsidiaire : que feront nos diplômés HES en informatique lorsqu’ils arriveront sur un marché du travail où sévissent des logiciels générateurs de code ultra-performants ? Leur formation leur permettra-t-elle de présenter encore un intérêt quelconque pour un employeur hypothétique ?

La faute n’est pas que du côté d’étudiants trop pressés d’entrer dans le monde du travail : elle est aussi du côté d’écoles trop fières de leur prestige académique. Pourquoi les Hautes Ecoles Spécialisées se sont-elles détournées de leur mission originelle qui les rendait proches de l’industrie et de la réalité du travail local ? Certaines institutions de la HES-SO n’acceptent plus que des professeurs munis d’un doctorat, au mépris de toute expérience industrielle préalable. Ces enseignants sont parfois brillants, mais le plus souvent aussi sur une voie de garage et totalement déconnectés de la réalité industrielle locale. Souvent recalés par de plus prestigieuses institutions, ils se rabattent sur les HES moins rémunératrices, mais aussi moins exigeantes envers les qualités des professeurs engagés. L’exigence du doctorat élimine par ailleurs nombre de personnes expérimentées et dotées d’un carnet de relations dont pourraient profiter les étudiants. Les professeurs engagés se contentent souvent de répéter des enseignements certes pertinents, mais purement théoriques, sans relation même lointaine avec la réalité professionnelle que ces écoles devaient à l’origine apporter !

Il n’y a pas si longtemps, certains professeurs d’informatique prônaient encore la supériorité d’un langage de programmation relativement à d’autres ! Un peu comme si il était impossible d’énoncer de manière correcte une vérité en allemand et qu’il fallait impérativement utiliser le français… Pendant plusieurs années, des étudiants avec un diplôme d’ingénieur en poche devaient avouer, lors de leur recherche d’emploi, qu’ils ne connaissaient aucun langage de programmation utilisable dans le monde réel (ce qui entre parenthèses, ne mettait guère en exergue l’enseignement dans l’école dont venait le candidat). L’ambition d’excellence académique est certes louable, mais pourquoi ne peut-elle être compatible avec une recherche d’efficacité dont notre tissu industriel a tant besoin actuellemnt ?

L’industrie manque cruellement d’informaticiens capables de gérer les projets qui se présentent actuellement. Faute de personnel adéquat, les projets sont sous-traités; en Europe de l’Est, en Russie, en Inde ou en Chine; est-ce le but ? « On cherche informaticiens ou programmeurs ». Mais on en trouve de moins en moins… Ou plutôt, on en trouve de moins en moins d’adéquats. L’intelligence artificielle pourra-t-elle répondre aux défis qui se posent à l’industrie actuellement ? Rien n’est moins sûr; mais faute de grives…

Le droit à l’image

Les logiciels de génération d’images synthétiques ont fait d’immenses progrès ces dernières années. Ils sont boostés par les technologies d’intelligence artificielle qui « apprennent » à reconnaître les différents composants d’une image et deviennent capables de les recréer et de les animer.

En 1993, Jurassic Park inaugurait timidement l’ère des images de synthèse animées, au cours de séquences où l’on voyait des troupeaux de dinosaures courir dans la prairie. L’animation était en partie réalisée à la main, et une séquence de quelques secondes demandait des heures, voire des jours de travail. Lorsqu’apparurent Le Seigneur des Anneaux, ou Harry Potter, seulement huit ans plus tard, l’intégration était déjà devenue beaucoup plus fluide, et les acteurs évoluaient de manière tout à fait réaliste aux côtés de monstres improbables. L’apparition de logiciels comme MASSIVE permettait de faire évoluer des armées d’êtres synthétiques qui pouvaient interagir les uns avec les autres, et se combattre au besoin.

Huit ans plus tard encore, Avatar ouvrait de nouvelles brèches dans l’univers de l’image de synthèse en introduisant des images d’une fluidité et d’un réalisme rarement expérimenté. Mais Avatar avait encore besoin d’êtres humains comme acteurs : il est en effet infiniment plus difficile d’animer un être humain synthétique qu’un monstre à l’écran, et cela reste vrai aujourd’hui. Mais pour combien de temps ?

De fait, si l’on n’a pas encore pu voir de nouveaux films mettant en scène James Dean ou Marylin Monroe, c’est probablement plus pour des questions juridiques que techniques. Dans l’état actuel de la juridiction, il parait plus que probable que les investisseurs rechignent à risquer des procès à répétition avec les héritiers de grands acteurs disparus; mais pour combien de temps ?

Actuellement, de nombreux logiciels libres, voire des sites spécialisés, vous permettent, à partir d’une ou plusieurs images de référence, de créer des images de synthèse réalistes mettant en image le modèle dans des circonstances arbitraires; encore difficiles à maîtriser il y a peu, ces logiciels sont désormais disponibles sur des smartphones où il promettent de faire beaucoup de dégâts chez les harceleurs en herbe que sont les écoliers et les adolescents. L’image de Sophie embrassant Jacques (vous pouvez remplacer le verbe embrasser, ainsi que les prénoms par ce que vous voulez) fera rapidement le tour des « amis » du harceleur, au plus grand dam des deux intéressés qui n’ont jamais eu de relations de quelque nature que ce soit ensemble. Mais allez donc contester une photo ! Et allez contester la rumeur que va inévitablement générer cette photo partagée parmi tous les élèves du lycée en question ! Récemment, un scandale a éclaté en Espagne parce que des adolescents ont publié des photos de leurs camarades de classe féminines nues. Les photos avaient été générées par un de ces nombreux programmes d’intelligence artificielle permettant de dénuder des personnes généralement de sexe féminin. Une simple photo prise avec un smartphone suffit et il peut ne pas être très évident de contester ensuite l’image résultant du passage par l’un de ces logiciels spécialisés. Pas plus que l’identité des gens, l’origine des documents n’est définie dans le monde numérique, en dépit des mises en garde d’experts depuis plus de vingt ans. Une problématique qui rappelle d’ailleurs étrangément l’absence de réaction du monde politique face à l’urgence climatique proclamée depuis plus de quarante ans maintenant par le monde scientifique.

Le droit à l’image est inscrit dans le code pénal de la majorité des démocraties occidentales; mais il se révèle incroyablement difficile à appliquer. Les parents qui publient des photos de leur petit dernier sur Instagram violent potentiellement le droit à l’image du bébé; mais comment les sanctionner ? En France, un projet de loi est étudié pour étendre ce droit aux mineurs, mais on peut douter de l’efficacité d’une telle mesure. Il y a deux ans, une photo détournée était reconnaissable par un expert dans 95% des cas. Actuellement, les meilleurs logiciels trompent même les meilleurs experts dans plus de 50 % des cas… Et cela ne va pas évoluer dans l’autre sens.

De fait, le problème fondamental est toujours le même; le monde numérique n’a jamais intégré la traçabilité dans son développement, et le monde politique n’a jamais pris conscience de l’importance de cette notion. Cette notion est aussi importante pour les personnes physiques que pour les documents électroniques (textes, photos, films) échangés sur Internet. Il est indispensable désormais de disposer d’une identité numérique indiscutable et fiable dans le cadre de tout échange sur Internet, que c elui-ci concerne des documents ou des personnes, voire des pseudo-personnes comme des chatbots ou autres entités virtuelles. Quant à ceux qui prônent une soi-disant liberté d’expression qui serait garantie par l’anonymat, qu’ils se préoccupent un peu des dégats occasionnés par le manque de traçabilité qui en résulte. Mais il est vrai que beaucoup d’acteurs de la planète numérique ont tout intérêt à conserver le statut quo : la bataille pour une traçabilité numérique n’est pas gagnée. Et corollairement, le droit à l’image pourra continuer d’être allègrement bafoué à l’avenir !

C vs. ADN

Suite à l’article « Recherche Susan désespérément » paru récemment sur ce site, quelques ex collègues m’ont gentiment chambré, disant que je vieillissais mal en cédant à l’inquiétude du commun des mortels croyant que l’intelligence artificielle allait supplanter l’homme.

J’ai ainsi eu droit à toutes les vieilles blagues qui ont été faites sur l’informatique; je ne reproduis pas ces blagues ici, elles sont souvent assez hermétiques pour le non-initié. Il y est question de programmeur fou, de débogueur mal utilisé ou de tirer la prise d’un ordinateur s’étant attribué des prérogatives inattendues.

Ces collègues ont, techniquement, raison. L’état actuel des développements en IA est plutôt décevant (ou rassurant, diront certains). J’ai passé quelque temps à discuter avec un chatbot (non, ce n’est pas le diminutif du Chat Botté), et la conversation n’est pas toujours très constructive; encore que ces chatbots soient en général capables de passer le Test de Turing dans la plupart des cas. Pourtant, ce sont ces IA génératives qui sont le plus souvent désignées comme sujet d’inquiétude, alors que c’est probablement les machines IA les moins problématiques du moment (mais les plus spectaculaires, je le concède). Il est vrai que récemment, Bing Chat de Microsoft a fait scandale en imaginant de fausses affaires concernant des élus ou candidats à l’élection en Suisse. Par ailleurs, plusieurs cas d’incitation à la haine et parfois même au suicide ou au meurtre, ont été rapportés, entre autres dans le cadre d’une enquête de la RTS.

En réalité, ces exemples un peu inquiétants ne sont pas étonnants lorsque l’on connaît le modèle utilisé par les IA génératives : le langage est considéré d’un point de vue essentiellement statistique, sous forme de probabilités conditionnelles; le fait que Bing Chat ait associé des politiciens et des affaires ou des scandales signifie simplement que ces deux concepts sont statistiquement liés (ce qui au passage n’ajoute rien à la crédibilité des politiciens). Une IA générative ne se soucie pas de la pertinence d’un contenu, mais de sa cohérence, Il se trouve que le lecteur tend à considérer un texte cohérent -ou « bien écrit »- comme crédible, donc pertinent. Le problème est de pouvoir documenter indubitablement l’origine d’un texte émettant un jugement de valeur sur une personne donnée…

Un de mes bons amis m’a dit avec beaucoup de conviction : « Mais ces histoires d’intelligence artificielle, je n’y crois pas. Ce n’est que du code et des données, rien à voir avec quelque chose d’intelligent ». A priori, cela semble juste.

Mais n’oublions pas que la vie biologique, c’est aussi du code, le fait qu’il soit écrit en langage ADN au lieu de C ou Java n’est pas forcément une différence insurmontable à moyen terme. Et la vie biologique, c’est aussi des données, mais on les appelle « expérience », « éducation », « études supérieures » ou que sais je encore, du moins chez l’homme. On peut éditer le code ADN à l’aide d’outils spécifiques comme CRISPR; mais c’est vrai que c’est nettement moins facile qu’éditer et compiler du code source Java. On peut même fabriquer de l’ADN synthétique, mais pour l’instant, on utilise le produit plutôt pour d’autres applications que ce pourquoi l’ADN naturel était prévu. Un bug dans un code Java, c’est des dysfonctionnements d’une application, ou des « plantées » en exécution, éventuellement dépendant de données pour lesquelles le programme n’avait pas été dimensionné. Un bug dans l’ADN, c’est un être vivant non viable, un trisomique, un Trump ou un Poutine. En revanche, le code génétique écrit avec de l’ADN a nécessité plus d’un milliard d’années à être écrit. Le développement du code permettant de faire tourner GPT3 (le moteur de ChatGPT, Bing Chat , Replika et d’autres) a été initié il y a vingt ans seulement, et GPT-4 (grâce aux investissements d’Elon Musk et de Microsoft, en particulier) est publié actuellement.

Que du code et des données, l’intelligence artificielle ? Oui, indiscutablement. Comme homo erectus neanderthalensis sapiens, d’ailleurs. Bienvenue au club, intelligentia artificialis !

Changer le monde…

Je me souviens de mon père, qui avait vécu deux guerres mondiales comme mobilisé (en élite pour la première, en vétéran pour la seconde, mais en Suisse il est vrai) et qui voulait changer le monde. Son espoir résidait dans la victoire du socialisme mondial, du communisme à la sauce Union Soviétique. Il croyait dur comme fer en l’abolition des riches et en la dictature du prolétariat prônée par Karl Marx. Il était prêt à excuser les exactions de Staline, les expliquant par la nécessité d’éliminer les contre-révolutionnaires; les Américains représentaient l’injustice, le capitalisme la mort de la société et la misère du peuple.

J’ai commencé par adhérer aux opinions et aux convictions de mon père, qui était un modèle pour moi, comme pour beaucoup de petits enfants. Quand j’ai commencé à diversifier mes sources d’information, je me suis mis à douter de la pertinence du communisme comme modèle de société. De plus, j’étais dans un collège-lycée géré par des religieux, et ceux-ci ont tendance à prôner des modèles de société quelque peu différents du communisme. Si je me suis intéressé un temps au modèle mis en avant par les chanoines, j’y ai renoncé relativement tôt après l’adolescence; les contradictions des chanoines étaient suffisamment évidentes pour que même un adolescent peu expérimenté s’en rende compte. D’ailleurs, un de ces enseignants ecclésiastiques était surnommé « touche-pipi » par les internes, ce qui en dit long sur la crédibilité de ces personnes soi-disant vertueuses et abstinentes. Je veux préciser ici que je n’ai moi-même jamais été agressé, ni importuné de quelque manière que ce soit (sinon par l’une ou l’autre heure de colle probablement méritée) par cette personne ou une autre de cette institution; mais je n’étais pas à l’internat, il est vrai.

Le modèle religieux monothéiste m’est néanmoins paru assez tôt boiteux, reposant sur une croyance qui me semblait de plus en plus arbitraire, au fil de mon parcours vers l’âge adulte. D’ailleurs, les religions monothéistes tiennent une place de choix dans les grands fauteurs de guerre et de massacres qui ont peuplé l’humanité; au palmarès des doctrines sanguinaires, Abraham (père supposé des religions juive, chrétienne et islamique) figure (à son insu il est vrai) en bonne position dans un hit-parade qu’occupent aussi, dans le désordre, Hitler, Mao ou Staline. Le modèle religieux ne m’a finalement pas convaincu. En fait, je me suis mis à douter un peu de tous les modèles, car j’ai assez vite constaté l’inanité des tentatives visant à définir un modèle de société pouvant convenir à tout le monde et en tous temps, ce que hélas nombre de politiciens prônent encore aujourd’hui avec assurance et persévérance !

L’injustice, la corruption et la tyrannie semblent être de grandes constantes dans l’histoire de la civilisation : les puissants bâtissent des empires en exploitant les plus démunis, que cette puissance s’exprime par la force des armes, par le pouvoir de la répression ou la puissance conférée par des moyens économiques démesurés. Tous les systèmes se valent pour imposer ses vues, même les démocraties occidentales dont nous sommes si fiers : des escrocs comme Berlusconi ou Trump suffisent pour nous en convaincre. “La démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes” disait Winston Churchill; bien que cette phrase mérite d’être replacée dans le contexte de frustration où elle a été prononcée (Churchill venait de perdre le pouvoir contre le travailliste Clement Attlee), elle exprime une malheureuse réalité : on n’a actuellement rien trouvé de mieux que la démocratie, n’en déplaise à Poutine ou à Xi, ou encore à des primates dégénérés se réclamant d’un Allah qui a probablement, s’il existe, renoncé à se préoccuper de l’humanité devant tant de stupidité et de méchante bêtise.

Il faudrait changer le monde, mais je ne sais pas comment faire; quelqu’un a-t-il une idée ? C’était en substance le refrain de la chanson « I’d love to change the world » (1971) de Ten Years After: I’d love to change the world / But I don’t know what to do / So I’ll leave it up to you.

Dans les années 1970-80, sur la côte ouest des Etats-Unis, un groupe improbable composé de brillants universitaires, de hippies « peace and love » et de militaires saturés de guerre froide et de Vietnam avaient trouvé une réponse à cette question : il fallait faire communiquer les gens entre eux. Soit dit entre parenthèses, l’idée n’était pas nouvelle, mais les moyens technologiques à disposition semblaient rendre enfin la chose réalisable; c’est aussi incidemment pour cette raison (entre beaucoup d’autres) que je me suis intéressé à l’électronique et aux télécommunications. Les membres de ce groupe réalisèrent ce que nous appelons aujourd’hui Internet. Ce que l’on a baptisé « Printemps arabe » est une révolte populaire née en partie des réseaux sociaux, eux-mêmes le fruit d’Internet, Mais bon, quelques années plus tard, Mouammar Khadafi est bien mort, mais la Lybie (même sans mentionner le drame de Derna) se porte-t-elle mieux ? Pour ne rien dire de la Tunisie où Ben Ali est parti, mais où le pouvoir n’a finalement guère changé. Et on pourrait citer Tian’anmen ou la Révolution des parapluies, des exemples où Internet a joué un rôle prépondérant, mais pour un résultat décevant et même contre-productif à court ou moyen terme. Si Internet a joué un rôle (et c’est certainement le cas par les temps qui courent), l’amélioration ne semble pas évidente pour le moment. En revanche, les régimes autocratiques et les dictateurs en herbe ont rapidement compris l’intérêt que présente un réseau de communications global; ils se sont approprié l’outil et n’hésitent pas à l’utiliser pour déstabiliser les démocraties avec de fausses informations et des complots fantaisistes, ou en manipulant l’opinion publique. L’élection de Donald Trump en 2016 n’aurait jamais dû avoir lieu, mais les réseaux sociaux (influencés par des usines à trolls russes) sont parvenus à influencer suffisamment l’opinion publique pour inverser la tendance favorable à Hillary Clinton et aux démocrates; de nombreuses usines à trolls sont implantées un peu partout dans le monde, en Russie notamment, ou le défunt Evgueni Prigojine en avait crée dans le contexte de la guerre contre l’Ukraine. Oui, indiscutablement Internet a changé le monde; mais était ce ainsi que cela avait été pensé à l’origine ?

Plus préoccupant, Internet a fourni à quelques entreprises des pouvoirs démesurés; bien sûr il y a les moyens financiers de géants comme Amazon ou Google; mais il y aussi le pouvoir que peut receler le contrôle d’une infrastructure devenue vitale. Ainsi, on soupçonne que le réseau d’accès satellitaire Starlink a été volontairement coupé pour interférer avec la guerre entre l’Ukraine et la Russie. Le simple fait qu’un individu, aussi intelligent ou stupide soit-il, puisse disposer de ce pouvoir est extrêmement préoccupant. Mais à partir du moment où de simples particuliers disposent de moyens financiers et techniques dont l’ordre de grandeur est similaire à celui de beaucoup d’Etats, comment empêcher la chose ?

D’aucuns se sont fait un devoir d’imaginer un monde plus simple, sans dieu ni diable, sans canons et sans argent; C’est le thème de Imagine de John Lennon. Mais bon, Lennon était multimillionnaire , et il a été assassiné par un cinglé. Sa chanson est devenue un tube planétaire, un hymne à la non-violence; mais qu’est-ce que cela a changé pour le monde ? Pas simple, de changer le monde…

Bon, je crois que je vais renoncer à changer le monde dans l’immédiat. En attendant, j’écoute une bonne chanson française; tiens, par exemple, « Le pouvoir des Fleurs« , de Laurent Voulzy. Paroles de Alain Souchon, bien sûr. Histoire de parler d’autre chose… Ou pas.

Recherche Susan désespérément

Il y a quelque temps, un ingénieur de chez Google créait la polémique en insinuant qu’une intelligence artificielle donnait des signes de conscience. Depuis, cet ingénieur a été viré (on a sous-entendu qu’il fumait un peu trop la moquette), mais de nombreux autres testeurs d’intelligences artificielles avouent parfois un certain malaise lorsqu’ils se confrontent à une intelligence artificielle (IA) génératrice comme ChatGPT ou le nouveau navigateur de Microsoft (qui a d’ailleurs les mêmes origines que le logiciel de conversation d’OpenAI). Ce sentiment de malaise interpelle, à juste titre, le commun des mortels : si les concepteurs d’un logiciel éprouvent des problèmes pour comprendre ce qu’ils ont contribué à créer, qu’en sera-t-il des ignares qui devront se contenter de constater, voire de subir, les effets éventuels du système informatique incriminé ? Mais comment peut-on perdre ainsi le contrôle de ce que l’on a aidé à mettre sur pied ?

Alors que les ingénieurs informaticiens avaient jusqu’ici coutume de programmer de manière impérative (les instructions que l’on donne à l’ordinateur, le « programme », décrivent exactement les opérations à effectuer), l’intelligence artificielle (du moins celle que l’on nomme générative, comme la technologie à la base de ChatGPT) est basée sur l’apprentissage à partir des données à disposition. Ceci implique que le même programme se comportera de manière différente selon l’environnement de données avec lequel il est alimenté : malgré une logique identique, il est théoriquement possible que deux instances d’un programme donné parviennent à des résultats radicalement différents parce que les données avec lesquels ils sont « nourris » sont très différentes, même si les objectifs que l’on a fixés sont inchangés. Soit dit en passant, c’est pour cette raison que l’on cherche systématiquement à disposer du plus grand nombre de données possible, de manière à minimiser les risques de biais que pourrait entraîner un échantillon de données trop spécifique. Le théorème central limite, en statistique, apporte une justification mathématique à cette démarche.

Ceci implique, pour le programmeur, un changement de paradigme assez fondamental; alors que jusqu’ici, il pouvait vérifier que son programme fonctionnait correctement pour divers ensembles de données fournies, parce que le résultat pouvait être prédit exactement, ce n’est plus le cas pour un programme qui utilise l’apprentissage profond (« deep learning« ) dans le domaine de l’intelligence artificielle. Tout au plus peut-il vérifier la pertinence d’une conclusion du programme en présence de données de test soigneusement choisies, mais en situation réelle, il est très malaisé de comprendre comment un tel programme parvient à un résultat apparemment surprenant.

Actuellement, la situation n’est pas très préoccupante, car les capacités des IA, aussi spectaculaires soient elles, sont assez restreintes. Mais les développements dans ce domaine sont fulgurants; ce qui est vrai pour GPT 3 (la version actuelle) ne le sera sans doute plus l’an prochain. Même les plus experts des développeurs actuels dans le domaine de l’IA seraient bien en peine de décrire une IA générative (voire exécutive, comme dans le domaine de la conduite autonome de véhicules automobiles, nautiques ou aériens, ou même de manière plus préoccupante les armes autonomes) dans quelques années. Comment diagnostiquer et au besoin corriger un éventuel dysfonctionnement dans un système aussi complexe ? Comment maîtriser un dispositif capable d’évolution et d’amélioration continue (quelle que soit la définition que l’on peut donner au terme « amélioration ») ? Personnellement, je ne connais pas d’informaticien qui se soit posé sincèrement la question : qui sera en mesure de diagnostiquer la cause de l’erreur en cas de dysfonctionnement d’une IA dans cinq ans ou -pire- dans dix ans ?

Le biologiste, vulgarisateur scientifique et auteur de science-fiction Isaac Asimov avait imaginé des robots humanoïdes dont l’intelligence artificielle était abritée dans un « cerveau positronique« . A l’époque où la nouvelle a été écrite (1950), on ne parlait pas de logiciels, puisque les ordinateurs n’existaient pas; néanmoins, il s’agissait bien d’intelligence artificielle pour ces créatures synthétiques imaginées par Asimov, qui avait eu la sagesse (ce qui n’est pas le cas pour les IA actuelles) de cadrer leurs capacités en leur imposant trois lois infrangibles, qui permettaient (ou devaient permettre) de garantir qu’ils ne deviendraient pas dangereux pour la société qui les avait crées. Il avait eu la prémonition que ces créatures deviendraient rapidement imprévisibles, du moins du point de vue de ceux qui avaient développé les cerveaux de ces robots. Il avait dés lors imaginé un nouveau métier qui consistait justement à diagnostiquer les failles et les travers d’une intelligence artificielle confrontée à des ensembles de données et de faits incompatibles avec sa logique et les données ayant conduit à son état actuel. Il avait nommé ce métier « robopsychologue« , et le premier de ces robopsychologues était un personnage très intéressant qui est le principal héros de son recueil de nouvelles « I Robot« , le docteur Susan Calvin.

Tout porte à croire que dans un futur peut-être plus proche qu’on ne l’imagine, les entreprises travaillant avec les IA auront besoin d’une Susan Calvin; mais où pourront ils la trouver ? Où devront ils chercher ? Qui saura la former ?

« Recherche Susan désespérément » est un film de 1985 (Desperately seeking Susan); il n’a pas de rapport avec Susan Calvin, à part le prénom d’une personne ardemment recherchée…

LAMal où ?

Période électorale oblige, on parle de coûts et de porte-monnaie (cela s’appelle « pouvoir d’achat », semble-t-il). Les primes d’assurance-maladie tiennent une place de choix dans le discours des partis en mal de voix.

La droite se précipite dans les pas de Donald Trump pour proposer des affaiblissements de l’assurance obligatoire. Ainsi un membre éminent du PLR (M. Nantermod) propose une assurance à deux vitesses. Ceux qui n’ont pas les moyens s’offriront une assurance « light », alors que les nantis auront accès aux prestations plein pot. Et il propose une analogie qui pourrait prêter à rire si elle n’était pas tragiquement cynique : « c’est comme prendre le train en première ou en deuxième classe !« . Sauf que le train en deuxième classe vous mène au même endroit et en même temps à destination, alors que pour les soins, la destination finale reste la même, c’est vrai, mais la deuxième classe risque de vous y amener beaucoup plus tôt.

Natalie Rickli, ministre UDC de la santé zurichoise, va plus loin en proposant de renoncer carrément à l’assurance obligatoire. Si t’as les moyens, on te soigne, sinon, on te donnera éventuellement du paracétamol. C’est au principe de solidarité que s’attaque cette brillante politicienne qui s’inspire visiblement du chimpanzé hypertrophié américain. Et après ceci, on s’attaque à l’AVS ?

A gauche, ce n’est pas franchement plus réjouissant. On ressort la proposition de caisse unique, plusieurs fois rejetée par le passé, mesure dont personne n’a jamais réussi à me persuader de l’efficacité. On parle aussi de limiter à 10% du revenu la prime à payer par les assurés, ce qui a également été proposé précédemment (le Conseil Fédéral avait même proposé 8%). Mais bon, tant qu’à faire, pourquoi ne pas passer carrément l’assurance-maladie dans les impôts, alors ? Les primes payées deviennent fonction du revenu, les impôts augmentent quelque peu il est vrai, mais après tout, d’autres mesures sécuritaires, comme par exemple la Défense Nationale, dépendent également des impôts.

Il est intéressant de constater que tous ces brillants politiciens proposent des mesures pour faire baisser les primes des assurances-maladies, sans jamais se demander si les coûts de la santé pourraient être mieux contrôlés en Suisse. On s’attaque aux conséquences, pas aux causes, ce qui est un non-sens; mais il est vrai que la politique n’est pas réputée pour une attitude logique et rationnelle. Je ne veux pas me poser en spécialiste de la question, mais il y a tout de même quelques questions que je me pose (c’est juste un échantillon, ne craignez rien !) :

  • Le prix du Pantoprazol, un médicament très utilisé pour protéger le système digestif de l’action d’autres médicaments, est en Suisse de CHF 25.90 (14 comprimés de 20 mg, prix Sun Store), et en France de 15.95€, soit une différence d’environ CHF 10.- Multiplié par le demi-million de consommateurs quotidien (entre 5 et 7 % de la population) en Suisse, cela fait tout de même 5 millions de francs, si je compte bien. Ou CHF 360000.- par jour (14 jours par paquet), ou 10 800 000 par mois, ou encore les primes d’assurance de 18000 personnes. Une telle différence mériterait sans doute une petite enquête, non ? Mais qui aura le courage de s’attaquer au monde de l’industrie pharmaceutique ?
  • Nombre de cabinets médicaux spécialisés réclament le renseignement de coordonnées personnelles à chaque visite; ils justifient ces acquisitions de renseignements par la protection des données. Il est évident que cette raison est boiteuse, puisque la majorité des données récoltées est non confidentielle, et que le patient n’a pas la possibilité de refuser de fournir ces informations. Ironie supplémentaire : la quasi-totalité de ces renseignements figure également sur la carte d’assurance-maladie qu’il suffirait théoriquement de scanner : mais dans ce cas, cela ne pourrait pas être compté comme un acte médical !
  • Dans le même ordre d’idées, notre gouvernement cherche par tous les moyens à imposer l’utilisation du dossier électronique du patient (DEP). Les politiciens continuent à penser que l’on peut résoudre les problèmes avec des lois, alors qu’une loi peut au mieux prévenir l’occurrence d’un problème ! Et encore faut-il avoir anticipé ledit problème… Bref ! A l’école, on apprend qu’un problème se résout avec une solution, pas avec une loi, mais apparemment cela fait très longtemps que les politiciens ne sont plus allé à l’école. Quoi qu’il en soit, je connais assez bien le serpent de mer qu’est le DEP; assez pour affirmer que la solution actuelle constitue un emplâtre sur une jambe amputée. Les professionnels de la santé qui devraient alimenter le DEP ne s’y sont pas trompé et ils ont mille fois raison de mettre les pieds au mur ! Il y a plusieurs manières de concevoir les notions de confidentialité et de sécurité dans un monde numérique : on peut bâtir sur une infrastructure sécurisée, ou sécuriser à coups de mots de passe et de biométrie une construction boiteuse. Pour couronner le tout, certains cantons suisses (comme Neuchâtel) ont choisi d’implémenter une solution propriétaire, ce qui ne simplifie pas la tâche d’un médecin traitant des patients de plusieurs cantons. Tout ceci a un coût : il est considérable, voire prohibitif, mais personne ne s’en offusque !

Je connais nombre de spécialistes qui pourraient allonger cette brève liste; mais cela ne me semble guère intéressant. Les causes du coût de plus en plus insupportable de la santé me semblent quant à moi identifiables, pour peu qu’on veuille bien s’en donner la peine, et qu’on dispose du pouvoir de le faire; mais il me semble également probable que le pouvoir ne suffit pas : il faudrait la volonté.

Tamalou chantait Françoise Hardy dans les années 1980. La réponse, aujourd’hui en Suisse, est claire : « à ma LAMal« .

Un tintébin pour la démocratie

Le tintébin est l’appellation que donnent les Suisses Romands au déambulateur, vous savez, ce youpala pour personnes âgées :

Les actualités me donnent à penser que les démocraties sont de plus en vacillantes, comme si elles étaient usées, comme si elles avaient trop servi.

En cette fin de mois d’août s’est déroulé aux Etats-Unis un scénario impensable dans une démocratie occidentale. Donald J. Trump, inculpé pour divers motifs, et toujours candidat à l’investiture par le parti républicain, ne s’est même pas présenté aux débats préliminaires entre les potentiels candidats de son propre parti; un affront à la procédure démocratique qui devait permettre le choix du candidat le plus représentatif du parti. Mieux, il a organisé à la même heure une interview sur X (oui, ex-Twitter, quel nom stupide que ce X !) pour tenter de discréditer ses opposants potentiels, et occulter le débat entre ses collègues de parti. Non content d’avaler ces couleuvres, le parti républicain continue de soutenir majoritairement ce triste individu qui se moque de ses propres supporters. Et il y a de sinistres crétins qui votent encore pour ce clown malfaisant ! Il paraît de plus en plus probable qu’il obtiendra en 2024 l’investiture du parti sur lequel il crache avec mépris et application; et il se présenterait alors contre un Joe Biden plein de bonne volonté, mais tout de même au seuil de la sénilité ! Il ne serait guère difficile à Trump de discréditer Biden à coups d’affirmations fantaisistes qu’il a depuis longtemps renoncé à étayer, et dans ce cas, je crains très fort pour la démocratie aux Etats-Unis. Au vu du respect affiché par le chimpanzé hypertrophié pour le processus démocratique, il semble probable qu’il cherchera par tous les moyens à pérenniser son règne, comme Poutine et Xi l’ont fait avant lui. Heureusement qu’il a plus de 77 ans d’âge : il y a un espoir qu’Alzheimer ou une fracture du col du fémur ait raison du bonhomme dans un avenir pas trop éloigné, parce qu’on peut douter de l’efficacité de la justice en l’occurrence.

Vladimir Vladimirovitch Poutine est quant à lui accusé d’un nombre de moins en moins respectable de crimes contre l’humanité, mais actuellement personne ne songe à aller le chercher en Russie pour l’assigner à comparution devant un tribunal quelconque, fût-ce la Cour Internationale de Justice. C’est par ailleurs le dirigeant d’un gouvernement voyou, qui ne respecte aucun engagement et ne tient aucun compte des promesses qu’il a pu faire, à preuve les diverses agressions en Tchétchénie, en Géorgie ou en Ukraine, sans entrer dans les petits détails que constituent les nombreuses opérations paramilitaires en Afrique, ou la cyberguerre de déstabilisation (qui a tout de même permis l’élection de Trump aux Etats-Unis !) menée depuis plusieurs décennies à l’encontre des pays occidentaux. Au moins ne se réclame-t-il pas d’une quelconque légitimité démocratique puisqu’il est un dictateur assumé ! Dans nos démocraties (enfin, la plupart), un représentant de l’ordre qui abuse de la contrainte violente à l’égard d’un prévenu est en général plus ou moins rapidement traduit devant un tribunal, et c’est une bonne chose. Mais un assassin multirécidiviste comme le dictateur de la Fédération de Russie qui liquide ses adversaires politiques comme bon lui semble, en murmurant de cyniques condoléances devant une télévision qui lui est acquise n’a pas à rendre de comptes. De manière plus générale, le simple fait de disposer d’une force de dissuasion nucléaire garantit l’impunité à l’Etat voyou et ses dirigeants.

On pourrait aussi parler de Xi, de Kim, d’Erdogan, des talibans, des mollahs, ou deTchiani, putschiste au Niger; on pourrait même citer Orban ou Loukachenko, la liste est longue, bien trop longue ! Les partis d’extrême-droite, un peu partout, rêvent d’hommes (rarement de femmes, encore qu’en Italie…) forts et de gouvernements à poigne; les culs-bénis déplorent le laxisme des autorités face aux mœurs dissolues, à la mouvance LGBT perçue comme une maladie sociale. Même en Suisse, des opinions bien-pensantes proches de l’UDC ne craignent plus de proposer des restrictions aux droits pourtant chèrement acquis de l’individu, comme l’accès à l’interruption volontaire de grossesse pour les femmes.

Face à de telles crapules, glorifiant de manière éhontée le mensonge. l’assassinat et l’irrespect des lois, et ceci apparemment en toute impunité, comment persuader notre jeunesse de la nécessité qu’il y a de respecter les lois et la démocratie ? Les ordures que sont Poutine et Trump sont multi milliardaires; par contraste, un Macron n’est certes pas pauvre, mais quels ennuis on lui fait ! Quant au salaire d’un Conseiller Fédéral, cela permet certes de s’offrir des vacances sympa, mais pas trop ostentatoires tout de même: la villa à Mar-a-Lago ou sur les bords de la Mer Noire ne sont pas tout à fait dans le budget. Quel paraît être le modèle le plus intéressant ?

Il faudrait pouvoir réformer l’Organisation des Nations Unies de manière à ce qu’elle dispose d’un pouvoir d’intervention plus élevé. Mais qui va opérer cette réforme ? Certainement pas l’ONU elle-même, bridée par le droit de veto que se sont arrogé les vainqueurs de la Guerre en 1945, en oubliant de prévoir des renégociations de statut périodiques. Réformer l’ONU ? Poutine ne le permettrait pas, le statut actuel lui est par trop favorable !

Les démocraties traditionnelles ont du travail en perspective pour se rendre à nouveau crédibles; dans l’intervalle, un soutien extérieur pour leur assurer un minimum d’équilibre serait le bienvenu; mais encore faut-il trouver le tintébin adéquat…

La poupée qui fait non

« La poupée qui fait non » est une chanson de Michel Polnareff publiée en 1966; cela ne rajeunit personne… Si j’en parle ici, c’est que la gouvernance de notre Etat comprend, à mon humble avis, trop de poupées de ce genre. Et lesdites poupées n’ont même pas l’excuse d’être aussi séduisantes que celle de M. Polnareff, hélas.

Pour ne prendre qu’un exemple, nous devions voter au mois de juin sur une loi visant à encourager la transition énergétique vers des ressources non fossiles. La majorité des partis gouvernementaux (en fait, tous sauf un) ont collaboré pour élaborer ce texte qui n’a d’ailleurs rien d’une loi traditionnelle, dans ce qu’elle peut représenter de contraignant, puisqu’il n’impose pratiquement rien, mais il se contente d’inciter. Mais la poupée citée plus haut s’est entêtée à faire « non », à croire, comme le suggère le chanteur, qu’on ne lui a jamais appris à dire « oui ».

Une explication de ce refus a été donnée par le plus haut représentant de la poupée en question, un certain M. l’Eglise : cela coûterait trop cher, selon un complexe calcul proposé à nos sagacités. Le calcul en question utilise systématiquement les hypothèses les plus pessimistes pour les énergies renouvelables, et les plus optimistes pour un statu quo. Par exemple, l’acceptation de l’initiative aurait soi-disant pour conséquence de forcer le remplacement de toutes les chaudières de chauffage par des pompes à chaleur (PAC) en Suisse, alors que dans le cas du statu quo, ce remplacement n’aurait pas lieu d’être. On passe joyeusement outre le fait qu’à terme, toute chaudière doit être remplacée, et que par ailleurs, nombre d’installations individuelles fonctionnent déjà sur la base de PAC (qui devront, il est vrai, être remplacées tôt ou tard, mais indépendamment de la loi en question). Quant aux pénuries d’électricité que nous promet la poupée qui fait non, il est prévu d’importer une proportion substantielle de l’électricité nécessaire; mais il est vrai que depuis que cette même poupée a contribué de manière significative au rejet de l’accord-cadre avec l’Union Européenne, cela puisse s’avérer plus difficile que prévu à l’origine.

Mais c’est surtout et principalement passer complètement sous silence les frais causés par le dérèglement climatique. Les dégâts occasionnés touchent pourtant en premier lieu l’agriculture, une partie de la population dont se réclame la poupée en question, même si les paysans constituent probablement le cadet de ses soucis. En une période où l’Emilie Romagne, une province italienne à quelques cinq heures de voiture de la Suisse, est sinistrée par la tropicalisation du climat, ne pas faire mention de ces dégâts dans le calcul constitue une attitude méprisante pour nos voisins. Mais la poupée a des excuses : d’abord cela se passe à l’étranger, donc on s’en fout un peu (beaucoup, passionnément); ensuite, rien ne prouve que cette catastrophe soit due aux énergies fossiles. Et puis, ce sont les Italiens qui vont payer, pas les Suisses, donc tout va bien; je suppose qu’on importera les tomates chez Mohammed Ben Salmek : il paraît que là-bas, en Arabie Saoudite, on les cultive sous serres climatisées, et cela fait accessoirement du bien au portefeuille de certains actionnaires ayant investi dans le pétrole… A commencer par le ministre de l’Energie en exercice, M. Ölbert de la Galette-Patate, accessoirement ex-président de la poupée en question.

Ah oui, il y avait aussi La Chaux-de-Fonds, et la vague de canicule d’août qui pourrait en annoncer d’autres. Mais bon, la Chaux-de-Fonds, c’est en Suisse Romande, donc c’est moins grave; et le futur, on s’en fout aussi, du moment que c’est après les prochaines élections.

Heureusement, le projet de loi a passé la rampe malgré la poupée. Mais ce n’est qu’une toute petite victoire ! De nouveaux combats négatifs sont déjà proposés par cette élite politique suisse ! Il y a eu récemment, par exemple, pas mal de pronostics météo qui se sont avérés par la suite trop pessimistes. Une belle opportunité pour la poupée de dénoncer un discours alarmiste et de réitérer son opposition aux mesures de transition énergétique. Et, au passage, de mettre en doute la responsabilité humaine dans le changement climatique, en l’attribuant à une obscure manœuvre politique de la gauche abhorrée. M. Nid de Guerres, rhétoricien francophone hors pair de la poupée, l’a d’ailleurs clamé fort clairement, à son habitude (je cite en substance) : on qualifie de scientifique ce qui arrange le discours gauchisant. Il a souligné ses dires de son habituel sourire condescendant, un peu méprisant. Personne n’a songé à lui rétorquer que « traiter par le mépris les conclusions scientifiques représente une attitude irresponsable« ; d’ailleurs, il avait probablement une parade toute prête dans son escarcelle, escarcelle qu’il partage volontiers avec un collègue alémanique, un certain M, Queue de Pelle, poutinophile convaincu, rédacteur en chef d’une feuille de chou qui se veut observatrice du monde. Avec les affirmations récentes de l’ancien président de la République Française Nicolas Vladimirovitch Sarkozine, on se demande d’où vient cette poutinomania apparemment contagieuse qui gagne certaines de nos élites, par ailleurs souvent auto-proclamées. Ont-ils tous un compte en banque ouvert chez Vladimir, à l’instar de Marine Le Pénisse ?

Et il y a bien sûr le traitement à réserver aux réfugiés. M. l’Eglise a été très clair à ce sujet. On veut pouvoir choisir ceux qui entrent, et rejeter ceux dont on ne veut pas. En clair, un médecin blanc est plus susceptible de passer la douane à Chiasso au volant de sa Cayenne, qu’un adolescent bronzé crève-la-faim échappé d’un naufrage en Méditerranée, et ayant survécu à la traversée du Sahara, et de surcroît ne parlant que trois mots d’anglais. Non aux réfugiés, Punkt Schluss Basta Un point c’est tout ! J’ai eu un étudiant il y a quelques années (oui, au pluriel, années !) qui était un fils de réfugié du Sahel. Son père était technicien de surface, comme on dit actuellement, et le fils bricolait à gauche et à droite pour soulager sa famille et payer ses études. Accéder à des études supérieures, sous la menace d’une expulsion possible à ce moment-là, avait déjà dû constituer un exploit pour ce jeune qui avait oublié d’être stupide; mais en plus, sans être génial, il était intelligent, et surtout, il savait où il voulait arriver. Il a eu son diplôme et je l’ai reconnu récemment sur Linked In; il occupe un poste à responsabilités chez un grand opérateur de télécommunications en Suisse. Avec la proposition de M. l’Eglise, son père ne serait jamais entré en Suisse… Mais la poupée ne voit pas plus loin que les élections, alors une génération, vous pensez !

Je propose que l’on nomme désormais la poupée en question « Union Démagogique de la Contradiction » (Mais peut-être avez-vous mieux ?). Pour les gens qui représentent la poupée (en tous cas en Suisse francophone) cela ne changera pas grand-chose. Et ce sera peut-être plus clair pour les pauvres citoyens que nous sommes. Quoi que…

Déprime

C’est une petite ville qu’André Franquin eût baptisé Moche-les-Grands-Clapiers, s’il était passé par là. Parmi les rues ennuyeuses à force d’être perpendiculaires les unes aux autres s’inscrit la rue de la Grisaille; ne la cherchez pas, celle que vous trouverez éventuellement n’est pas la même. Celle dont je parle se situe à une dizaine de minutes de route du Cimetière, mais en est toute proche dans l’esprit.

Dans cette rue, en bordure de route, il y a une bâtisse relativement confortable d’aspect, où l’on a parqué des gens en fin de vie. Ce que l’on appelle un EMS en Suisse, ou un EHPAD en France toute proche, bien que des esprits torturés puissent vous expliquer longuement une différence administrative que vous ne comprendrez probablement pas. Le personnel est accueillant, même en ce dimanche trop chaud, menacé d’un orage qui ne veut pas se déclarer. La cafétéria lumineuse sert de réfectoire aux rares résidents qui reçoivent des visites, ou à ceux qui ont encore suffisamment d’énergie pour faire l’effort d’emprunter l’ascenseur entre leur chambre et la cafétéria. Les assiettes contiennent de la langue de bœuf sauce aux câpres avec des côtes de bettes et des nouilles; tout a un peu la même couleur, et la même absence de goût. Les sourires et la sensible empathie du personnel ne parviennent pas à épicer aussi peu que ce soit le repas insipide, pas plus que le verre de vin médiocre commandé pour « faire dimanche ». Un dessert dont la couleur fleure bon le colorant alimentaire E129 étale son hyperglycémie sur une assiette moyennement appétissante. Un café trop allongé complète le menu pour les convives qui parviennent encore à s’alimenter à peu près normalement; du moins comprend il des morceaux de sucre qui permettent d’exhausser le goût de l’ensemble.

Une terrasse est adossée au trottoir qui longe la rue de la Grisaille; elle permet, en semaine et en fin de journée, de jouir du spectacle des frontaliers empêtrés dans de sempiternels bouchons occasionnés par la frontière à un gros kilomètre de là; il y a aussi une petite cour qui devrait permettre de prendre l’air au calme, mais elle est déserte, car coincée à l’Ouest entre un mur gris qui soutient un talus raide au sommet duquel court la voie de chemin de fer, au Nord par le versant Sud du bâtiment, et au Sud-Est par l’omniprésente rue de la Grisaille qui mène à la gare du chemin de fer. La rue est raide, trop raide pour permettre à des personnes diminuées d’en envisager l’ascension en chaise roulante. Une évasion en chemin de fer est donc peu envisageable. Un vieux barbecue laisse à penser que des festivités extérieures sont envisageables, mais l’état du foyer semble indiquer que la dernière utilisation n’est guère récente.

Dans les étages « résidentiels », des personnes en chaise roulante effectuent, le regard rivé au sol, une promenade lente mais qui semble perpétuelle le long du couloir reliant le Nord et le Sud de l’étage. Interroger ces personnes n’a pour effet qu’un long regard aveugle à force d’incompréhension. Les plus alertes échangent machinalement des opinions sur le programme qui passe sur le téléviseur dont ils entendent mal le son réglé trop bas, programme dont ils ont depuis quelque temps déjà oublié le sujet. Ceux qui ne peuvent plus quitter leur lit sont invisibles, cloîtrés dans la solitude d’une chambre devenue antichambre de leur cercueil, et dont la seule activité réside dans la satisfaction des besoins les plus élémentaires que le personnel prévenant tente de garantir au mieux de ses possibilités.

Les baies vitrées et les terrasses offrent une vue peu enthousiasmante sur des immeubles gris, en partie délabrés bien qu’apparemment habités, longeant le rue de la Grisaille. Au loin, on devine des champs, des vaches, des forêts, enfin autre chose. Mais cela semble si lointain, tellement inaccessible, surtout pour des yeux qui ont perdu l’habitude d’accommoder au loin…

Ce n’est pas que l’établissement soit désagréable; il est plutôt bien tenu, rendu presque pimpant grâce aux efforts du personnel d’encadrement. Mais le décor qui lui sert de cadre ne laisse que peu de place à l’espoir, aussi ténu soit-il.

Depuis que je fréquente (à l’insu de mon plein gré) cet établissement, à titre de visiteur fort heureusement, j’essaie désespérément d’imaginer une stratégie infaillible pour ne pas y finir comme résident.

Mais, hormis la mort, je ne trouve pas. Et cela me déprime…