Je m’apprêtais à passer un week-end agréable en forêt, dans la maison des Monts sur Bex. En arrivant, après avoir posé les bagages et effectué les quelques gestes quasi rituels de l’installation dans la maison, je veux emplir la casserole d’eau…. Plus rien, à peine un filet évanescent au robinet de la cuisine.
Je me rends vers le système de surpresseur qui amène l’eau de citerne vers les divers robinets, et je me rends compte que le surpresseur tourne probablement depuis une boinne semaine sans discontinuer, sans rien pomper que de l’air, et produire de la chaleur. La note d’électricité du mois sera respectable, je suppose !
Après avoir débranché le surpresseur, je vais examiner la citerne de stockage d’eau de ruissellement; une opération pas forcément aisée, le couvercle est très lourd et malaisé à soulever. Mais le verdict est impitoyable : la citerne est vide. Pour quelque raison que ce soit, la citerne s’est vidée, soit parce qu’elle n’était plus alimentée par les pluies, soit parce que la consommation s’est trouvée excessivement impactée, par exemple par une chasse d’eau incorrectement fermée (c’est déjà arrivé par le passé).
Peu importe finalement la raison, ce n’est pas mon propos ici. Nous sommes samedi matin, on ne pourra pas amener de l’eau avant lundi; il va falloir vivre sans eau courante pendant le week-end, avec une citerne de réserve accessible par un seul robinet, situé dans la buanderie, une citerne que l’on n’utilise plus actuellement que pour l’arrosage des plantes.
Je ne vous raconterai pas les innombrables fois où l’on actionne en vain un robinet pour se rincer les mains, où l’on tire inutilement la chasse d’eau après le soulagement d’un besoin conséquent, où l’on peste parce que le seau d’eau que l’on porte jusqu’aux toilettes pour le rinçage heurte une porte et se renverse en partie sur le sol de la cuisine. La déception de ne pas pouvoir prendre une petite douche après un effort ou un travail salissant. Refaire la vaisselle à la main, dans une petite cuvette devant la cuisine, avec le peu d’eau chaude que l’on a pu chauffer dans une marmite trop petite.
J’avais déjà vécu ce genre de situation; mais j’étais beaucoup plus jeune, et c’est surtout ma maman qui avait dû gérer la problématique du manque d’eau pour la vaisselle, la lessive, la cuisson, les toilettes. On ne se rend pas toujours compte de l’utilisation de l’eau que nous faisons par jour; en Suisse (et dans les pays occidentaux, à quelques nuances près) , on estime à environ 140 à 160 litres d’eau par personne et par jour la consommation moyenne (sans tenir compte de l’eau virtuelle consommée pour implémenter les services et les biens importés qui monte l’addition à plus de 4200 litres). Ce qui fait une petite vingtaine de seaux d’eau de 10 litres pas trop remplis à convoyer depuis le point d’eau vers le point de consommation.
Bon, le temps passé à porter de l’eau n’est pas passé sur les écrans des réseaux sociaux. Il faut bien reconnaître que la situation dans laquelle je me suis trouvé constitue juste un modeste inconfort; mais c’est un désagrément suffisamment significatif pour perturber quelque peu nos habitudes de riches, de personnes avides de confort. Et puis, on se met tout doucement à penser à la valeur de l’eau. Cette eau que la société s’ingénie à purifier et à rendre consommable et dans laquelle nous faisons nos besoins.
Ensuite, on pense à ces gens vivant dans un pays en guerre, ou dans des régions désertiques, ces gens qui n’ont pas accès à l’eau, potable ou non. Ou qui doivent parfois mettre leur vie en péril pour quelques litres d’eau que l’on espère pas trop insalubre. Au Sahel, à Gaza, dans certains villages d’Ukraine peut-être. La cyberguerre et les F-35 paraissent soudain tellement dérisoires face à la menace que laisse entrevoir le réchauffement climatique (encore lui !) et qui paraît ultime : plus d’eau ! On se dit que, à la lumière des projections des climatiologues, et au vu des actions (?) entreprises pour remédier au changement climatique occasionné par notre société, le problème de raréfaction de l’eau pourrait bien gagner nos contrées privilégiées dans un avenir probablement moins lointain qu’on ne le souhaiterait.
Trump, Poutine, Netanyahou et les autres cafards sanguinaires et égocentriques qui entendent régir le monde à leur aise paraissent soudain si vains devant cette menace : Plus d’eau.
A quoi bon se battre pour ou contre la démocratie, alors qu’aujourd’hui déjà, de nombreux peuples doivent composer avec une réalité autrement cruelle : Plus d’eau !
C’est lorsque l’essentiel manque que l’on prend conscience de la véritable importance des choses.