Il existe un endroit, dans les Alpes Pennines, où j’aime à me réfugier de temps à autre. C’est un endroit situé au confluent du val d’Hérens, de la Valpelline et de la vallée de Zmutt : le plateau formé par les cols de Valpelline et d’Hérens culmine à Tête Blanche, à 3710 mètres d’altitude. Vers l’Est s’ouvrent le glacier de Stockji et le vallon de Zmutt, bordé à droite par le Cervin et la Dent d’Hérens, et à gauche par la Wandflue et la Dent Blanche, tandis qu’en arrière-plan se dessinent la couronne du val d’Anniviers, le massif du Mont Rose et les Mischabel. Vers l’Ouest, la barrière des Bouquetins laisse deviner plus loin le Grand Combin et le massif du Mont Blanc. Au Nord, le glacier de Ferpècle mêne le regard vers Sion et la vallée du Rhône, et vers les Alpes Bernoises en toile de fond. Vers le Sud, le glacier de Tsa de Tsan s’ouvre sur la Valpelline, puis sur le val d’Aoste, alors qu’au delà des sommets du Grand Paradis on peut imaginer la plaine du Pô, et plus loin les Alpes maritimes, le Viso et la Méditerrannée.
Tête Blanche ne constitue pas un objectif prestigieux pour le skieur alpiniste chevronné. Il n’est guère possible de retirer un quelconque crédit, voire même l’un ou l’autre « like » d’un post « J’ai fait Tête Blanche » publié sur Instagram, X, TikTok ou n’importe quel autre réseau : dans le meilleur des cas, on vous rétorquera « T’as mis combien ?« . Pourtant, Tête Blanche est mon sommet favori dans les Alpes Valaisannes, par le cadre exceptionnel qu’il procure, par cette sensation d’être vraiment au coeur des montagnes, à la fois très haut au-dessus de la plaine, mais aussi dominé par quelques-uns des plus prestigieux des sommets des Alpes.

Cet endroit est souvent surfréquenté par les skieurs-alpinistes qui « s’entraînent » pour la Patrouille, les « collant pipette » avides de publier la photo de leur chronomètre sur tel réseau dit social à l’arrivée à Arolla. Ces gens ne prennent que rarement le temps de s’arrêter à Tête Blanche, sinon pour arracher les peaux de phoque de leurs skis, faire un selfie avec le Cervin au moyen de leur smartphone afin de publier l’instant aux followers, ou pour avaler quelques décilitres de telle boisson énergisante et enfiler une veste avant de s’élancer vers la plaine, impatients d’en finir avec cette course de montagne.
Hors saison, le calme revient, et l’on peut rester une heure ou deux, seul, avec ses pensées et la majesté du paysage, en un exercice de méditation en pleine conscience apaisant et serein.
Oh bien sûr, je ne suis plus en mesure de vivre physiquement ces sensations que j’ai pourtant eu le privilège d’expérimenter de nombreuses fois en d’autres temps; mais il reste le souvenir, très présent de ces trop brèves heures passées au sommet. Il me reste la possibilité de m’évader dans ce cadre, au hasard d’une photo retrouvée, ou simplement du souvenir d’un bien-être passé mais susceptible de ressurgir à tout moment, lorsque le besoin s’en fait sentir.
Chacun devrait avoir en lui un ou plusieurs endroits de ce type, réels ou imaginaires, où il peut reposer son esprit, s’évader hors du temps, loin des dictateurs avides de soumettre le monde à leur bon plaisir, à l’abri des flagorneries nauséabondes entre les Grands de ce monde, oublieux des tractations cruelles effectuées à l’insu de victimes de violences, à l’écart des trop nombreuses misères relatées par les médias plus ou moins indépendents qui subsistent encore, protégé des fausses nouvelles, des viles escroqueries et des immondes arnaques pratiquées par des gens peu scrupuleux souvent manipulés par des ploutocrates richissimes et méprisables. Et quand bien même ce refuge ne servirait qu’à oublier un instant soucis personnels, professionnels ou familiaux, cela en vaut mille fois la peine.
Chacun devrait disposer d’un coin de ciel bleu, d’un refuge personnel, où il peut simplement exister en paix pendant quelques instants, un endroit accessible n’importe où, n’importe quand. Je suis certain que vous aussi, vous possèdez un tel refuge, peut-être un peu oublié au fond de vos souvenirs, mais bien présent : vous y rendez-vous parfois ? Il n’est pas nécessaire d’y demeurer longtemps; mais allez-y plus souvent. Cela ne rend pas l’actualité meilleure, mais beaucoup plus supportable.
Au gré des festivités de fin d’année, que je vous souhaite agréables, essayez de localiser votre refuge personnel, et de l’aménager à votre convenance : cela rendra votre année 2026 indiscutablement meilleure. Ce que je vous souhaite de tout coeur.