Métavers

Plusieurs acteurs du domaine des technologies de l’information (Facebook, Google, Amazon, Apple, Microsoft, etc… ) s’intéressent de près au métavers, à tel point que Mark Zuckerberg a décidé de modifier en Meta le nom de la société qu’il dirige et qui gère les services de Facebook. La perception de ce qu’est effectivement un métavers varie fortement selon les acteurs : cela va de la réalité augmentée à la complète dystopie en transitant par les réseaux sociaux ou les logiciels de télétravail. De fait, la démarche n’est guère originale, puisque Second Life, un monde virtuel crée par Linden Lab comme un jeu existe depuis 2003 et reste pour l’instant actif, bien que la crise de 2008 ait plombé sa popularité. Jusque là, ce métavers avait eu un succès indéniable; de nombreuses entreprises avaient d’ailleurs « ouvert boutique » sur Second Life, à l’exemple de la BCV, pour ne citer que cette entreprise se voulant pourtant « sérieuse »; bien que nombre d’entre elles aient désormais cessé leur activité, il en reste encore quelques-unes, ainsi que de nombreux services dont on peut obtenir la liste exhaustive sur le site dédié. Dans Second Life, chaque « joueur » est représenté par un « avatar« , et ce sont les avatars qui interagissent – de manière très basique, il faut l’avouer – entre eux; c’est apparemment sur ce principe que devrait se fonder le métavers de Facebook, en intégrant 20 ans de progrès technologique, des capacités de calcul cent mille fois plus performantes permettant entre autres le rendu 3D en temps réel et l’appui de connexions mille fois plus rapides. D’ailleurs, le réseau social Facebook est lui-même une sorte de métavers, assez primitif, mais il permet néanmoins aux utilisateurs de s’abstraire d’un environnement qui les dérange pour se retrouver dans un cadre où tous leurs interlocuteurs sont d’un avis convergent.

Le concept de Métavers a probablement été introduit par l’auteur de science-fiction Neal Town Stephenson dans le cadre de son roman « Le samouraï virtuel » (1996). Du moins, c’est ce que lui prétend. Dans une certaine mesure, à raison; mais j’ai souvenir de certains romans de science-fiction (ou films, comme le révolutionnaire Tron de Walt Disney, en 1982) antérieurs qui auraient pu correspondre à la thématique sans toutefois introduire le terme « métavers ». Peu importe, après tout.

Le métavers représente vraisemblablement la prochaine évolution du concept de réseau social; mais que peut-on attendre de ces nouveaux services appelés à bouleverser les habitudes de la société ?


Les espoirs ?

  • Celui qui implémente un métavers espère généralement en tirer un certain profit. Le métavers de Zuckerberg, par exemple, devrait permettre de vendre des casques de réalité augmentée qui permettront de se déplacer dans le métavers; des réseaux de capteurs devraient autoriser des interactions « naturelles » entre les avatars qui peuplent cet univers bardé de publicités pour des entreprises aussi bien réelles que virtuelles. Les avatars devront se vêtir dans des boutiques du métavers, fréquenter d’autres avatars dans des restaurants, des parcs ou des salles d’exposition de ce même métavers et acheter divers biens de consommation comme c’est déjà le cas dans Second life où les transactions se font en Linden dollars. Il n’est pas encore très clair sur la manière dont sera gérée l’économie sur la version de Facebook, mais on peut faire confiance à Zuckerberg pour qu’il ne perde pas d’argent.
  • Un métavers est un cadre d’expérimentation extraordinaire. On peut y créer des modèles sociaux, économiques ou politiques et les expérimenter sur la durée sans risquer de conséquences irréversibles dans la « vraie vie ». On peut même y organiser des conflits, des guerres, et faire ainsi l’expérience à relativement bon marché de stratégies et d’options géopolitiques.
  • Les entreprises peuvent, à peu de frais, expérimenter de nouveaux produits sans avoir à les développer au préalable. Le métavers peut en théorie remplacer les études commerciales dans de nombreux domaines. Le domaine de la mode et du design industriel par exemple peuvent expérimenter des nouveautés dans le métavers sans avoir à implémenter un modèle réel. Une nouvelle carrosserie d’automobile pourrait ainsi être soumise à une clientèle sélectionnée pour en mesurer l’attrait. Cerise sur le gâteau : dans le métavers, il est possible de vendre un produit qui n’est pas encore fabriqué…
  • Une entreprise qui pourrait travailler dans le métavers résout la plupart de ses problèmes de logistique; pas de bureaux, le télétravail est implicite, et pour autant qu’une monnaie virtuelle convertible (comme le Linden dollar dans Second Life) ait été définie, elle peut relativement facilement optimiser ses redevances fiscales. Cet avantage est bien sûr à double tranchant, car il peut représenter une évasion fiscale frauduleuse. Mais à l’heure actuelle, il devrait probablement être compliqué d’attaquer une entreprise pour des activités dans un univers virtuel…
  • Le métavers peut représenter un environnement intéressant pour des personnes âgées, ou partiellement handicapées, ne parvenant plus à avoir une vie sociale telle qu’ils la souhaiteraient. Ces personnes seront-elles en mesure de profiter de cette opportunité ? Pas sûr, même si les responsables de ces métavers acceptent de leur en faciliter l’accès pour des raisons philanthropiques.

Les craintes ? Elles sont nombreuses, mais peut-être sont-elles dues en partie à mon pessimisme ?

  • Les réseaux sociaux comme Facebook sont par nature des environnements clivants : on communique avec des « amis » que l’on s’est choisi, et on finit par ne plus interpréter le monde réel qu’au travers de ce cercle fermé que l’on s’est crée. La transposition d’un réseau social dans un métavers pourrait se concrétiser dans des micro-environnements (des îles, par exemple), où l’on se retrouve entre « amis » (ou avatars d’amis). On peut imaginer qu’un personnage influent (à l’image d’un précédent président des Etats-Unis, par exemple) acquière une île sur le métavers et y installe une méta-société où le droit consiste essentiellement en son bon vouloir, et l’information disponible en une vision uniformément biaisée par ses intérêts. Même si c’est déjà le cas sur les réseaux sociaux actuels, l’effet du métavers pourrait amplifier gravement le phénomène. Le « discours » politique se transposerait, du coup, en une propagande à sens unique dans le métavers, où les habitants de l’île seraient soumis à une pensée unique. On aurait une île « Trump Island », une île « Zemmour », etc… Ceux dont les avatars fréquentent ces îles risquent fort de se comporter de manière encore plus clivante, une fois de retour dans le monde réel.
  • Les promesses d’environnement exploratoire d’un métavers seraient sérieusement limitées par l’investissement considérable représenté par l’implémentation d’un environnement crédible. Un métavers permettrait théoriquement d’essayer divers types de sociétés, de contrôler l’effet de modifications sur une population typique, etc… Mais il n’est pas certain que ce genre d’expérimentation puisse s’avérer rentable pour des investisseurs dans les infrastructures nécessaires à l’élaboration du métavers.
  • Le métavers ne connaît en principe pas les limites de l’univers réel; ainsi, il est peu probable que Facebook introduise le virus SARS-CoV-2 dans son métavers, à moins qu’ils y voient un intérêt économique. On se retrouverait alors confronté à des environnements idéalisés (du moins, du point de vue de l’entreprise qui gère le métavers, qui a intérêt à contenter les utilisateurs) auprès desquels la réalité pourrait paraître bien grise ! Quelle influence sur la société ?
  • L’utilisation de casques de réalité augmentée limite l’accès au métavers en nécessitant un environnement spécifique. Une connexion 5G permettra sans doute l’accès en environnement mobile à un métavers, mais à combien de personnes simultanément ? Et il est sans doute compliqué de se connecter au métavers avec un casque de réalité virtuelle dans un environnement public ! Ou peut-être pas ?
  • Un avatar de Second Life consommait en 2008 une énergie équivalente à un Brésilien moyen en une année, soit 1750 kWh (source Wikipédia). On peut craindre que la technologie plus évoluée avec un rendu 3D plus réaliste et un réseau de support plus performant fasse exploser ce chiffre. Le métavers pourrait alors devenir un gouffre à énergie dont les serveurs alimentés par des centrales peu écologiques (comme cela est arrivé avec le bitcoin, au Kazakhstan par exemple) pourraient poser un réel problème environnemental, et ceci dans l’univers réel. Bon, d’aucuns me rétorqueront que le problème est déjà présent, alors un peu plus, un peu moins… Oui, mais tout de même.

Les univers synthétiques ou métavers représentent sans doute le réseau social de troisième génération; mais ils ne remplaceront pas les réseaux sociaux conventionnels dans un futur très proche, en raison des ressources matérielles qu’ils nécessitent. Je suis pour ma part très partagé entre l’enthousiasme conféré par les possibilités offertes par ces univers virtuels et les conséquences sociales possibles d’un déploiement à large échelle d’un tel métavers. D’autant qu’il n’existe aucune véritable législation à ce sujet; comme d’hab, on édictera les règles plus tard…


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