Swiss Covid

L’application pour téléphones mobiles « Swiss Covid« , censée permettre un suivi de la pandémie en détectant la proximité de personnes ayant installé l’application pendant un laps de temps significatif ne rencontre pas l’unanimité. Elle est même nettement en perte de vitesse en cette première moitié du mois d’août 2020. Pourtant, sur le papier, elle rend un service réel et ceci de manière aussi discrète que l’on puisse le souhaiter. Pourquoi donc ce manque d’enthousiasme ?

Dés le départ, cette application a suscité une certaine méfiance de la part de divers milieux politiques comme l’UDC et d’autres partis en Suisse. On a beaucoup tergiversé et raconté nombre d’âneries sur cette application, qui ont contribué à retarder sa diffusion, et à entretenir les doutes parmi les utilisateurs les moins avertis. Ainsi, certains (comme Kevin Grangier sur l’antenne de la Radio Romande) n’ont pas hésité à qualifier l’application d’outil de traçage intrusif qu’ils n’allait en aucun cas installer. Soit dit entre parenthèses, cet élu UDC a une page Facebook et un compte Twitter, il utilise probablement What’s App et peut-être Instagram ou que sais-je encore… Du coup, il peut installer n’importe quoi en restant assuré de ne pas publier plus d’informations qu’il ne le fait déjà ! On a même entendu un conseiller fédéral dire qu’il ne « savait pas à quoi cela sert » (Ueli Maurer). Pour ce dernier, il faut espérer tout de même que son collègue Berset a pu éclairer sa lanterne.

D’autres ont pris le relais, comme le rédacteur en chef adjoint du journal dominical « Le Matin Dimanche », en sous-entendant que le seul effet visible de cette application était de vider la batterie plus vite en activant Bluetooth : sur la grande majorité des smartphones, Bluetooth LE est déjà activé par d’autres services (oreillettes, stockage, applications de paiement comme Apple Pay ou Twint) et la surconsommation est donc nulle. Et pour économiser la batterie, il vaut beaucoup mieux désactiver What’s App ou Facebook, par exemple, dont le protocole de communication est nettement plus énergivore.

Nombre de ceux qui auraient souhaité installer l’application en ont été empêchés par l’obsolescence programmée chère à Apple et complaisamment imitée par la majorité de ses concurrents : leur smartphone était trop vieux. Ils en ont conclu que l’application était mal conçue et inutilisable, alors que c’est les concepteurs de smartphones qu’il faudrait pénaliser une fois pour toutes : mais là, c’est plus difficile… Parmi les mesures prises pour garantir l’obsolescence des smartphones, il y a les changements des interfaces de programmation, qui permettent de rendre les nouvelles applications incompatibles avec les anciens systèmes d’exploitation, qui eux ne sont plus mis à jour après trois ou quatre ans…

Actuellement, certains se plaignent de ce que cette application ne permette pas de savoir combien de personnes ont été effectivement signalées comme ayant été en contact avec une personne infectée. Ben oui, c’était justement une des conditions mises à l’application pour un respect de la vie privée : pas de stockage de données centralisé.

En réalité, la méfiance à l’égard de cette application est largement injustifiée : rarement une application pour smartphones a été aussi peu intrusive. C’est – pour une fois, et une fois n’est pas coutume – une application qui fait exactement ce qu’elle prétend faire, ni plus, ni moins. Sans doute souffre-t-elle peut-être de l’un ou l’autre défaut de jeunesse, ou probablement est-elle pénalisée par l’utilisation de Bluetooth qui n’a jamais été conçu pour ce genre d’applications, et qui de plus souffre de nombreux défauts conceptuels; mais pour l’essentiel, l’application Swiss Covid est une application fonctionnelle, gratuite, non intrusive et de surcroît non polluée par des publicités inadéquates, voire débiles.

Le plus gros défaut de cette application provient, à mon sens, de ses origines. L’application a été conçue par des académiciens, et cela se voit immédiatement dés l’activation. Un académicien sait résoudre des problèmes, et ici, le problème posé semble correctement résolu. Mais un académicien ne sait pas vendre son produit; or, ceci aussi est un métier. L’utilisateur qui installe une application (s’il y parvient, car son iPhone est peut-être obsolète) qui ne fait apparemment rien aura tendance à se sentir frustré : si on fait quelque chose (télécharger et installer du code, en l’occurrence), on attend un retour, et un retour qui soit de préférence valorisant pour soi-même, pyramide des valeurs de Maslow oblige ! Telle quelle, Swiss Covid ne peut qu’occasionner frustration et doute chez l’utilisateur non averti qui ne peut même pas être assuré qu’elle fonctionne tant elle est discrète. D’autant que des personnalités politiques proclament ouvertement leurs doutes et leurs méfiances le plus souvent injustifiés (mais bon, en politique, il paraît que l’utilisation d’informations non vérifiées est légitime…)

Un vendeur eût sans doute demandé au développeur d’ajouter quelques fonctionnalités, sans doute non pertinentes eu égard au problème posé, mais qui offrent une valorisation (un sucre !) à celui qui prend la peine d’installer le produit. N’étant pas vendeur moi-même, je serais bien embarrassé pour émettre des propositions sensées, mais il me semble qu’une indication géographique des risques, par exemple, pourrait être utile.

Dans un autre ordre d’idées, il est devenu nécessaire dans de nombreux établissements publics de laisser ses coordonnées. Cela se fait au pire sur présentation de la carte d’identité avec report des coordonnées sur un morceau de papier qui finira à la poubelle. A la rigueur, on peut développer une application qui permet le traçage plus aisé; ainsi, certaines régions ont fait développer une application générant un code QR que les établissements requérant le traçage de l’identité peuvent lire. Bien sûr, cette application n’est utilisable que localement, et les critères de confidentialité et de stockage sécurisé restent souvent très opaques, si toutefois ils existent ! Un créneau potentiellement intéressant pour une meilleure valorisation de Swiss Covid ?

Je suppose qu’un bon vendeur ou un entrepreneur imaginatif aurait parfaitement su exploiter l’opportunité offerte par une application appelée à être installée sur 3 à 4 millions de smartphones. Mais cet aspect du problème n’intéresse guère l’académicien qui se concentre sur un problème précis sans prendre le recul nécessaire qui lui permettrait d’anticiper les attentes de l’utilisateur. Malgré une résolution excellente du problème, le produit réalisé n’a que peu de succès, et s’attire des critiques injustifiées parce que les utilisateurs ne comprennent pas vraiment les finalités du produit. C’est une des leçons essentielles du marketing : un excellent produit, aussi novateur soit-il, que l’on ne parvient pas à vendre n’a aucune utilité pratique. Ce qui explique au passage pourquoi tant d’entreprises à succès délèguent le développement de nouveaux produits à d’autres.

On peut aussi se demander pourquoi l’OFSP n’a pas jugé bon de contribuer à ce développement qui donnait pourtant une chance unique de doter une portion significative de citoyens d’une application permettent de se renseigner sur le coronavirus et les diverses spécificités cantonales. Mais il est vrai que dans le cadre de cette administration, on travaille encore avec le fax et les courriers écrits pour correspondre avec le personnel médical, et on a parfois quelque peine à interpréter correctement les données acquises; on peut supposer que les smartphones constituent un outil un peu trop avant-gardiste pour les fonctionnaires de l’OFSP…

A l’inverse, certains produits peu innovants et bourrés d’erreurs ont pu profiter de la période de confinement pour se positionner comme des blockbusters technologiques. Un seul exemple : ZOOM est une application qui a connu peu de développements majeurs (sinon quelques gadgets cosmétiques) depuis son introduction en 2011. En 2020, le nombre d’utilisateurs de cet utilitaire de vidéoconférences croît de 67% à la faveur du confinement, en dépit du fait que cette application est décriée un peu partout pour ses problèmes récurrents de sécurité et de non-respect de la confidentialité (Il semble que dans les versions distribuées jusqu’en mai 2020, il était relativement aisé de s’immiscer de manière anonyme dans une conférence, en toute discrétion. Ceux qui ont discuté de secrets d’entreprise ont pu avoir quelques surprises !).

Il existe de nombreuses alternatives gratuites ou modiques qui ne présentent pas ces problèmes, mais leur succès n’a pas suivi un accroissement comparable. Dans le même ordre d’idées, Skype ne vaut guère mieux, et de surcroît constitue un écosystème propre très opaque : personne ne sait exactement ce que fait réellement skype au cours d’une conversation téléphonique. La qualité technique, la confidentialité, la sécurité informatique ne constituent pas des arguments de vente, ni d’utilisation… Dans une pyramide de Maslow adaptée aux technologies de l’information, ce sont des besoins qui se trouvent tout en bas de la pyramide. Ils tendent donc à être considérés comme implicites, et l’utilisateur considère un peu facilement qu’il n’a pas à s’en soucier.

En l’état, Swiss Covid est un échec. Dommage, parce qu’en dépit de nombreux défauts non directement liés au développement de l’application, les buts poursuivis étaient louables. Mais il ne suffit pas qu’un produit soit de bonne facture : il faut qu’il plaise aux gens. Et ceci n’est pas un problème technique…

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