Langues « nationales »

Quelques cantons suisses alémaniques ont provoqué un vaste débat en supprimant l’enseignement du français à l’école primaire. La Suisse romande francophone a réagi de manière parfois indignée à l’idée que l’on puisse ne plus enseigner le français, la deuxième langue nationale du pays, et que l’on préfère l’enseignement de l’anglais. On a parlé d’atteinte à la cohésion nationale, quand on n’a pas fait usage de termes plus agressifs.

Je suis absolument en accord avec le fait qu’il faille faire un effort dans l’enseignement pour assurer une certaine volonté de cohésion nationale. Si rien n’est entrepris dans cette optique, il ne faudra pas très longtemps à un Zurichois moyen pour ne même plus se rappeler qu’il existe des régions reculées où l’on ne parle pas forcément le Züritütsch. et où il arrive que les gens lisent autre chose que la « Neue Zürcher Zeitung » ou la « Weltwoche ». Bon, je fais l’hypothèse optimiste qu’il existera encore des journaux papier en français d’ici là; soyons fous…

Je me demande simplement si par les temps qui courent, l’apprentissage d’une langue est la bonne manière d’intéresser les écoliers à l’existence de compatriotes barricadés si loin à l’Ouest, par-delà le « Röstigraben ». Moi-même je parle suffisamment correctement le suisse allemand pour faire (pendant un court moment) illusion par delà la Sarine. Mais cette maîtrise fait-elle vraiment que j’aie assimilé la culture de mes compatriotes germanophones ? Pas vraiment, si j’en crois mes lacunes culturelles pour ce qui concerne la Suisse alémanique. Oh bien sûr, j’ai eu l’occasion d’entendre parler de Jeremias Gotthelf et de quelques auteurs germaniques qui forgent l’environnement culturel de nos compatriotes alémaniques, mais pas forcément davantage que si j’étais resté étranger à la langue de Goethe.

Ce qui m’amène à me poser la question de manière très provocante : est-ce bien utile d’apprendre une langue nationale à l’école primaire ? Je sais que je vais en choquer plus d’un en Suisse romande, mais à l’époque où les téléphones mobiles proposent la traduction en temps réel, est-ce vraiment l’expression française qui permettra aux jeunes suisses alémaniques d’appréhender la mentalité et les différences culturelles des welsches ?

Je vous le concède, lire Voltaire ou Rousseau dans une traduction allemande n’a probablement guère de sens. Mais dans le cadre de l’école primaire, sensibiliser les jeunes à Brassens, Goldman ou Souchon ne serait-il pas plus productif que de leur inculquer de la grammaire et de l’orthographe qu’ils oublieront avant de faire le voyage de Lausanne pour encourager le hockey-club des Lions zurichois face aux Lions lausannois ? Marie-Thérèse Porchet serait-elle plus à même d’intéresser les jeunes écoliers à la culture française que le professeur de français ? Par comparaison, Emil Steinberger a su par le passé enthousiasmer les francophones pour l’humour alémanique. Et je me souviens que c’est le Bernois Stephan Eicher, avec « Hemmige » qui m’a fait découvrir le merveilleux artiste qu’a été le Bernois Mani Matter, et qui m’a donné envie de lire ses textes originaux à la fois drôles et profonds.

En conclusion, l’abandon du français à l’école primaire par des écoliers zurichois ou thurgoviens ne me choque pas outre mesure. A condition que l’on remplace l’étude de la langue par une approche des différences culturelles qui constituent la Suisse francophone (et aussi italophone, n’oublions pas nos chers compatriotes au sud du Gothard), à travers les manifestations artistiques, et les sensibilités politiques divergentes.

Mais là, en revanche, ce n’est pas gagné.

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