Saas Fee, clair/obscur

Cela fait bientôt soixante ans que je visite à intervalles plus ou moins réguliers la vallée de Saas au-dessus de Viège, en Haut-Valais. Cette vallée latérale à la vallée du Rhône abrite la célébrissime station de Zermatt dans l’affluent occidental, et les stations de Saas Grund, Saas Almagell et Saas Fee (« le rocher des Fées« ) dans l’affluent oriental de la vallée.

Saas Fee se voulait autrefois rivale de sa voisine Zermatt; mais des investissements pas toujours judicieux, ainsi qu’une concurrence malsaine entre les stations de la vallée ont failli causer la perte de la station qui s’est trouvée proche d’un dépôt de bilan à une certaine époque. Le recours à des prix cassés (actuellement, la station est membre actif du groupe « Magic Pass« ) a permis de retrouver une clientèle nombreuse, mais peut-être plus populaire que le profil du touriste ciblé il y a une ou deux décennies.

J’ai fait deux courts séjours à Saas Fee cette année (2022), en fin mars et au début de juillet; dans les deux cas, cette station se révèle caractéristique des effets du réchauffement climatique. Je n’avais plus skié sur les pistes du glacier de Fee depuis plus de dix ans, je pense. J’ai été surpris par l’aspect du sommet emblématique de la station, l’Allalinhorn (4027m) qui est normalement complètement enneigé au début du printemps, mais qui présentait de nombreuses zones grises dénotant la glace vive apparente; un aspect qu’on lui connaît habituellement au mois d’août; pour ne rien dire des nombreux rochers apparents en bordure de glacier, à plus de 3000 mètres d’altitude…

Allalinhorn, fin mars 2022

Nous nous sommes étonnés des travaux de terrassement dans la glace, le long des téléskis sur le glacier. Bien qu’ayant souvent skié sur le glacier, sur piste et hors-piste, je n’avais jamais constaté ce genre de travaux les fois précédentes (il est vrai que cela commence à dater !). On nous avait expliqué que le glacier avançait de plus en plus vite, et qu’il était nécessaire de creuser la glace pour éviter que le téléski ne soit mis en danger; il fallait aussi régulièrement réaligner les pylônes du téléski en raison de l’avance rapide de la glace. Les conditions de neige étaient bonnes (neige dure et accrocheuse) et nous avons pris du plaisir à skier. Un plaisir souligné par un excellent accueil à l’hôtel, mais terni par quelques expériences de restauration médiocres, comme à la Schäferstube, un endroit magnifique, mais où il est préférable de se contenter du cadre, ou le restaurant d’altitude Morenia que l’on voudrait bien éviter (et que l’on devrait éviter), mais il n’y a pas grand-chose d’autre à disposition pour s’asseoir un moment ! Dans ce dernier cas, l’accueil et le contenu de l’assiette sont proprement consternants. Par souci d’équité, j’ajouterai que le restaurant situé de l’autre côté du glacier, à la Längfluh, est à peine moins décevant…

Au début juillet de la même année, on est immédiatement frappé par les quantités impressionnantes d’eau qui dévalent depuis le glacier sur les rochers à nu en direction de la vallée. Le glacier qui parvenait -il n’y a pas si longtemps puisque je l’ai vécu- à hauteur de la station intermédiaire de Spielboden (voire plus bas) sur l’itinéraire de montée de la télécabine vers la Längfluh peine à dépasser les rochers de la Längfluh en aval de l’arrivée de la télécabine. Un regard à une affiche touristique de 1985 peut confirmer mes dires; en dépit du fait que la photo sur l’affiche semble avoir plutôt été prise en arrière été, comme semblent l’indiquer les mélèzes en train de virer sur le jaune.

Saas Fee, début juillet 2022
Extrait d’une affiche de 1985

Nous avions un hôtel fort confortable et très bien situé. La vallée de Saas est un magnifique terrain de promenades; la promenade de Hannig à Saas Fee en passant par le restaurant Gletschergrotte est particulièrement sympathique, et le restaurant constitue une très agréable surprise, tant du point de vue de l’accueil et de la qualité que du prix raisonnable. Autre promenade incontournable dans la vallée, la « promenade des fleurs » au-dessus de Saas Grund est magnifique, mais il faut absolument éviter de se restaurer à la station de Kreuzboden : les rares mets proposés semblent certes comestibles, mais on ne commentera pas au-delà, de peur de sombrer dans la vulgarité.

Une expérience touristique somme toute assez mitigée. J’ai pris Saas Fee comme station de référence, parce que j’ai pu la visiter deux fois dans un intervalle de temps assez bref. Mais d’autres lieux de vacances auraient vraisemblablement conduit à des constats similaires (hypothèse que j’ai pu vérifier malheureusement à de nombreuses reprises). Des efforts méritoires sont entrepris par les stations pour améliorer la fréquentation; les infrastructures sont mises à disposition à prix cassés, voire gratuitement pour les hôtes. L’hébergement est souvent très correct, mais l’accueil reste trop souvent le parent pauvre de l’offre touristique en Suisse. L’évolution climatique impose de radicales modifications dans la manière d’envisager l’activité touristique dans les stations de montagne; il ne suffit plus de proposer des activités dont le déroulement est rendu aléatoire par des conditions météorologiques de plus en plus extrêmes. Le skieur préfère peut-être, après avoir skié sur une neige dure tout le matin, se reposer et goûter au soleil et à la belle vue sur une terrasse confortable avec un verre de Petite Arvine du Valais, pas avec un breuvage d’importation que le producteur ne parvient pas à boire lui-même ! Le promeneur, lassé de la chaleur après la rando du matin, préfèrera passer l’après-midi à l’ombre avec un verre de Rosé de Gamay de qualité plutôt qu’avec un douteux Fendant estampillé Château Consternation, sans doute dopé par des produits d’importation. On s’attend à ce que la fondue que l’on choisit imprudemment dans certains restaurants d’altitude soit confectionnée avec du fromage, et non pas préparée à l’aide de produits lyophilisés. On supposerait que l’assiette valaisanne ou la planchette vaudoise soit composée de viandes locales, ce que la présence de chorizo ou d’autres charcuteries exotiques et peu coûteuses semble formellement démentir. Et j’en passe, et des pires.

Ce qui est nécessaire et urgent, c’est un changement de l’état d’esprit des acteurs dans les stations touristiques : le client ne vient pas seulement pour des activités, mais aussi, et probablement de plus en plus souvent à l’avenir, pour être accueilli et choyé. Certains de nos voisins (Autriche, Italie et France) ont compris ceci depuis belle lurette, et ont adapté leur comportement en conséquence. Certains établissements dans nos stations helvétiques (pas tous, bien heureusement !) montrent qu’il reste du travail pour parvenir à une compréhension équivalente. Beaucoup de travail. Mais le temps commence à manquer.

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