Histoires de vaccins

Voilà ! J’ai reçu mes deux doses de vaccins Pfizer/BioNTech pour me mettre à l’abri (enfin j’espère) de la COVID-19. J’ai voulu, dans la foulée, faire inscrire ce vaccin dans un carnet de vaccinations, d’autant que l’on m’a remis un dépliant de l’OFSP vantant les avantages du nouveau carnet de vaccination informatisé (mesvaccins.ch). Sitôt rendu devant mon écran d’ordinateur, j’ai entrepris d’ouvrir un compte sur ce site; une procédure rapide et habituelle à ce genre de pratique sur le web. A priori un peu surprenante tout de même, car le site ne semble pratiquement pas sécurisé. Par ailleurs, le design est un peu vieillot, et ne correspond pas vraiment à ce que l’on pourrait attendre d’un site moderne, par exemple compatible avec l’affichage sur smartphone. Mais bon…

J’ouvre ensuite un dossier à mon nom pour y inscrire mes vaccins, d’autant que j’ai égaré mon carnet de vaccinations traditionnel, probablement quelque part entre la Suisse et l’Afrique du Sud, au cours d’un examen de sécurité aéroportuaire qui m’a forcé à déposer tous mes papiers et mes valeurs sur un support improbable dans un aéroport. Je parviens à créer un dossier de vaccinations, et je commence à y inscrire le vaccin contre la grippe, mais cela se gâte. Il me faut sortir du site, puis refaire une authentification pour y parvenir. Le vaccin est enregistré, mais marqué comme non confirmé par un médecin agrée; cela paraît raisonnable, mais quel médecin est agrée ? J’essaie ensuite le vaccin COVID-19, mais s’il existe bel et bien une entrée COVID-19 dans la liste, elle est grisée, donc inaccessible. Je ne peux donc pas inscrire ce vaccin.

Me référant au dépliant reçu, je demande au personnel de vaccination du site où j’ai reçu les deux doses comment procéder, mais personne ne peut me renseigner. Je me fends d’un courriel à l’équipe de support du site mesvaccins.ch, mais j’attends toujours la réponse, dix jours plus tard.

En continuant mes investigations, je me rends compte que le dépliant fait mention d’une application mobile associée, mais on ne peut la télécharger nulle part. Elle fait aussi mention de la possibilité de téléverser son certificat de vaccinations ou son carnet de vaccinations sur le site mesvaccins.ch, où de gentils préposés se chargeront pour la modique somme de CHF 10.- par entrée d’introduire mes vaccins dans mon carnet de vaccination informatique. Mais je n’ai jamais trouvé le lien de téléchargement, et personne n’a su m’aider…

En réalité, je n’ai pas été trop surpris par la tournure des évènements. Les administrations cantonales et fédérales ont un retard abyssal en matière de technologies de l’information : un paradoxe majeur dans un pays qui se veut innovateur et à la pointe de la technologie. Il y a plein d’exemples que l’on pourrait citer :

Nous avions à l’époque (avec une collègue actuellement responsable de l’ingéniérie de la santé) conduit un projet à la HEIG-VD pour l’IUMSP (un institut lausannois dépendant du CHUV et de l’UNIL, maintenant appelé Unisanté) concernant la surveillance des ventes de médicaments dans un contexte d’addictions. Ce projet avait ensuite été repris par l’OFSP pour une implémentation supra-cantonale. J’avais assisté à certaines séances où les représentants de quinze à vingt cantons étaient présents, et qui tous exigeaient une interface de communication différente avec les systèmes (souvent propriétaires) qu’ils utilisaient. Plutôt que de développer et maintenir vingt interfaces différentes, on a finalement choisi le seul média vraiment commun : le fax, et un préposé qui retape laborieusement les contenus des messages dans le système informatique que nous avions développé. C’est ce que l’on appelle, dans l’administration suisse, la numérisation des services. Je crois que depuis, on est passé à des formules de tableur importables dans le système cible et transmissibles par courriel en pièce jointe : un progrès remarquable !

Je suppose que ce sont des problèmes similaires qui ont conduit à l’acquisition des données COVID par l’OFSP au moyen de ce même média : on raconte que les préposés de l’OFSP, au plus fort de la crise COVID, prenaient la pile de fax reçus au cours de la nuit, et pesaient le paquet à l’aide d’un pèse-lettres pour déterminer le nombre de nouveaux cas signalés dans les divers cantons.

Les autorités cantonales ne sont pas beaucoup plus avancées en la matière. Le canton dans lequel je réside a introduit une identité électronique pour permettre le vote informatisé, entre autres. Il y a peu, j’ai eu quelques soucis pour m’annoncer dans leur système, et j’ai écrit un courriel (non signé électroniquement) pour demander comment me procurer de nouveaux identifiants. J’ai reçu en retour un courriel en clair me communiquant de nouveaux identifiants, et me recommandant tout de même à ne pas trop tarder à modifier le mot de passe. Aucune vérification d’identité n’a été requise : je pourrais théoriquement demander une nouvelle carte d’identité par ce biais ! Affolant, non ? Quand madame Nuria Gorrite, lors de l’émission Infrarouge, proclame qu’elle ne fait pas confiance au privé pour l’implémentation d’une identité électronique, et que c’est à l’administration fédérale de le faire parce que cela sera plus sûr, je ne peux m’empêcher de laisser transparaître un léger scepticisme..,

En réalité, la création de mon carnet de vaccinations électronique (comme pour un dossier médical. ou une pièce d’identité, ou la validation d’un vote) passe par une étape préalable incontournable : la disposition à l’échelle nationale ou supra-nationale d’une identité électronique reconnue et technologiquement susceptible d’évoluer dans son implémentation. Tant que cette identité n’est pas opérationnelle, une véritable numérisation des services administratifs ne saurait être effectuée de manière efficiente. Les systèmes que pourront introduire les divers cantons ne résolvent que de petits problèmes locaux et coûtent horriblement cher au contribuable pour un bénéfice confidentiel. L’administration fédérale avait en son temps essayé d’introduire SuisseID, une faillite technologique à 25 millions de CHF. Et quand on parle de centraliser les données au niveau fédéral pour plus de sécurité et de confidentialité, on rappellera que cela a déjà été fait une fois et a débouché sur le scandale des fiches.

Alors pour ce qui concerne la loi sur l’identité électronique (e-id), je pense qu’elle n’est probablement pas idéale, mais elle va dans le bon sens et devrait permettre enfin d’avancer. Et l’administration a suffisamment de juristes pour rédiger des contrats de collaboration et pour traiter avec les responsables de l’implémentation en cas de litiges ou de problèmes de fuite. Alors je voterai pour approuver cette loi le 7 mars prochain. Et pas seulement pour me permettre la création de mon carnet de vaccinations.

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(Super-) Marché

Les règles sanitaires imposées par le coronavirus ne laissent pas de surprendre le béotien, mais parfois aussi les spécialistes. Il y a bien sûr les interrogations sur les transports en commun : des trains parfois bondés sont tolérés (comment faire autrement ?) alors que d’autres modes de transport certes moins indispensables sont fermés pour des raisons sanitaires. Comprendre pourquoi tel magasin est classé « indispensable » et pas tel autre est parfois compliqué, mais les spécialistes ont certainement des réponses, sinon « la » réponse. Enfin, on leur fera confiance sur ce point.

La question qui me dérange depuis le début des phases de confinement en mars 2020 est la suivante : les supermarchés restent ouverts, mais les marchés de ville ou de village sont parfois supprimés ou soumis à des contraintes plus sévères que la grande distribution. Quiconque a acheté des fruits et légumes dans un supermarché (en milieu fermé) a pu s’étonner de la proximité des clients faisant leurs emplettes, touchant les fruits, les tâtant et les reposant (quand ils ne les reniflent pas pour en contrôler la maturité !). Par contraste, dans un marché de village, vous attendez sagement votre tour, c’est le marchand qui vous sert, ce qui semble limiter les interactions potentielles, d’autant plus que l’on est généralement en plein air. Alors pourquoi imposer des conditions contraignantes aux marchés et accepter les supermarchés pratiquement sans restrictions spéciales, hormis peut-être une limitation du nombre total de clients simultanés, avec l’hypothèse assez surréaliste que les clients vont se répartir de manière uniforme sur la surface du supermarché ? On n’ose pas supposer que les bénéfices des supermarchés sont une motivation pour ce genre de décision…

On peut bien sûr imaginer que la voie publique est considérée comme trop passante et favoriserait exagérément les échanges; par contre, on est en extérieur, en milieu en principe bien aéré. Les villes et les villages ont étendu les zones de marché pour limiter les risques d’attroupements; enfin,. les gens qui ne sont pas au marché vont par nécessité devoir se retrouver au supermarché ! Même si le nombre de clients du supermarché peut être limité, il faudra bien que ces gens attendent quelque part le moment d’entrer… Je ne désire pas polémiquer à tout prix : d’autres, certainement mieux documentés que moi, ont sans doute longuement réfléchi à la chose et ont décidé en conséquence. Mais en l’état de mes connaissances, je ne peux m’empêcher de déplorer le manque d’explications en la matière ainsi que les bénéfices juteux réalisés par les grands distributeurs au détriment probable des indépendants qui proposent des produits de qualité de préférence par le biais des marchés locaux.

Indépendamment des problèmes liés au coronavirus, le marché de village est un concept qui a très peu évolué depuis le Moyen Age, voire même avant; on expose sa marchandise au bord de la voie publique, et les passants s’y intéressent ou pas. C’est dans le principe du moins la relation producteur-consommateur la plus directe que l’on puisse trouver, ce qui est éminemment intéressant dans une optique d’économie durable : il n’est guère possible de réaliser des circuits de distribution plus courts. Dans un autre ordre d’idées, le marché constitue une opportunité de redynamiser le centre-ville longtemps délaissé au profit des supermarchés avec leurs parkings monumentaux situés en périphérie. Plutôt que de prendre son automobile pour aller faire ses courses, les emplettes en centre ville permettent de renouer le contact avec le cadre social de l’agglomération : à pied, à bicyclette ou en utilisant les transports publics. Restent les inconvénients du marché, les paniers à provision lourds qu’il faut traîner dans une foule parfois dense, les intempéries, le froid en hiver, et une certaine difficulté de trouver tel ou tel produit dans les marchés de grande importance.

Ces inconvénients ne sont pas inévitables; ils peuvent être atténués dans une très large mesure, voire dans certains cas mis à profit. En ce qui concerne les intempéries, nombre de villes ont par le passé prévu des marchés dits couverts; ces sites peuvent avoir d’autres usages, le cas échéant, et actuellement peuvent être recouverts de panneaux solaires. L’investissement consenti pour la mise en place d’un couvert de marché est ainsi relativement facile à amortir, et s’avère probablement rapidement rentable (en tous cas, certainement plus rapidement que certains stades de football construits en ville, utilisés pour des matchs de deuxième division, et phagocytant des terrains magnifiquement situés en bord de zones qui pourraient être idylliques). Les paniers à provision lourds peuvent être remplacés par des systèmes de caddies adéquats, de préférence aisément adaptables à une bicyclette qui est en passe de devenir LE moyen de transport urbain. La foule dense peut sans doute être gérée avec une configuration adéquate des stands : l’épidémie de Covid-19 a montré qu’une réflexion judicieuse pouvait aboutir à une situation parfaitement maîtrisée dans certaines villes.

Il devrait également être possible, à l’aide des technologies actuelles, de fédérer les offres des divers marchands de manière à ce que le client puisse découvrir aisément les propositions de chaque stand; un site web correctement conçu, géré par la ville abritant le marché (ou mieux par une société offrant ses services à plusieurs localités de la région), et alimenté en données par les exposants devrait permettre à chaque marchand de promouvoir son offre du moment : le pêcheur qui a réalisé le matin même une bonne prise devrait ainsi être à même de promouvoir cette offre du jour, de même qu’il lui devrait être aussi possible de signaler lorsque son stock a été complètement écoulé (un projet de bachelor dans ce sens sera entrepris à la HEIG-VD cet été 2021). Il est important d’éviter les sites web parfois très jolis, mais non mis à jour, et souvent non exploitables sur un smartphone pendant que l’on fait ses courses.

La désertion du centre-ville par le petit commerce n’est pas inévitable; même si les loyers sont devenus inaccessibles à des enseignes modestes, le marché constitue une alternative intéressante pour redynamiser les centre-ville et les villages d’une certaine importance, abandonnées au profit de supermarchés en périphérie, nécessitant une automobile pour faire ses courses. Et l’infrastructure mise sur pied pour le marché est réutilisable au besoin pour des expositions de street-art, des concerts de musique populaire ou des évènements culturels de plein air. Pour limiter les transhumances automobiles vers les supermarchés de grande banlieue, une redynamisation du centre ville est indispensable; encore faut-il que les autorités des agglomérations favorisent cette redynamisation de manière intelligente. Au vu des développements actuels dans les villes de Suisse Romande, ce n’est pas vraiment gagné.

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