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Les femmes de Stepford

Les femmes de Stepford est un roman d’Ira Levin (1972), adapté à au moins deux reprises au cinéma ou à la télévision, et qui décrit une ville imaginaire (Stepford, que l’auteur situe dans le Connecticut) où les femmes sont réduites à un rôle de très belles potiches préoccupées uniquement par leurs tâches ménagères et l’agrément de leurs époux.

Je n’avais plus relu cet ouvrage (bien que j’apprécie beaucoup Ira Levin, à qui nous devons également (entre autres) un Bonheur Insoutenable ou un bébé pour Rosemary, (ce dernier plus connu en Europe en raison du film qu’en a tiré Roman Polanski) depuis au moins quarante ans. Il a fallu les récentes décisions de la Cour Suprême des Etats-Unis pour engendrer les associations d’idées m’ayant conduit à me remémorer cet ouvrage. La Cour Suprême a en effet retiré aux femmes la garantie du droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) conférée par l’arrêt Roe v. Wade en 1973 par cette même Cour Suprême. L’argument utilisé (en substance, c’est que ce n’est pas le rôle de l’Etat Fédéral de statuer sur cette question) remet en question un droit conféré aux femmes américaines depuis une cinquantaine d’années, et laisse craindre d’autres décisions allant dans le même sens; onze Etats ont d’ailleurs immédiatement mis en vigueur des lois anti-IVG préparées de longue date. Dans la même logique, la Cour Suprême pourrait renoncer au droit à la contraception ou à la dépénalisation des relations homosexuelles, par exemple.

Il s’agit d’une victoire importante pour le clan républicain conservateur, celui-là même qui a élu Donald Trump à l’époque. Donald Trump avait renvoyé l’ascenseur en élisant trois juges ultra-conservateurs à la Cour Suprême, faussant ainsi le processus démocratique (mais il a fait bien pire par la suite !). Les Etats-Unis apparaissent de plus en plus divisés entre une frange technocratique essentiellement démocrate contrôlant les côtes Est et Ouest ainsi que le secteur des Grands Lacs, et un centre et des Etats du Sud très conservateurs, religieux et persuadé que la théorie de l’Evolution selon Darwin constitue un blasphème.

Cette scission, manifeste lors des élections présidentielles, semble se creuser de plus en plus, faisant craindre à certains une nouvelle sécession. On ne peut que souhaiter que les femmes s’insurgent enfin contre les pertes de droit auxquelles elles sont soumises par les conservateurs, ce qui permettrait éventuellement de rétablir une majorité plus évidente, et accessoirement éliminerait quelques politiciens traditionalistes. Ces mêmes dirigeants politiques qui disent agir selon une inspiration religieuse, au nom de la vie, mais défendent le droit de se promener avec des armes à feu dans la rue et de se procurer des armes de guerre, histoire de faire un carton dans une école ou un supermarché…

Curieusement, alors même que les républicains conservateurs bafouent régulièrement les droits des femmes, un nombre significatif d’entre elles votent néanmoins républicain. Donald Trump méprise et insulte les femmes en public, et récolte néanmoins leurs votes et leur approbation. Ce sont littéralement les femmes de Stepford décrites par Ira Levin, heureuses de la servitude imposée par le mâle. Un rêve pour beaucoup de machos, je suppose.

Incidemment, lors du Journal télévisé en Suisse Romande, des images de manifestations après la décision sur l’IVG par la Cour Suprême avaient fait ressortir une curieuse opposition de style. Une manifestante pour le droit à l’IVG, cheveux ébouriffés, en T-shirt et jeans fatigués avait violemment protesté contre la décision (I’m a woman, not a womb), alors que dans le camp opposé, une blonde platinée, soigneusement maquillée et en robe bleu roi impeccable clamait sa satisfaction de voir la vie et Dieu enfin respectés. L’héroïne (la photographe Joanna Eberhart) du roman d’Ira Levine face à une femme typique de Stepford, en somme.