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Anticipation

Le 28 novembre, le peuple suisse va se prononcer sur l’initiative dite des « soins infirmiers » qui entend valoriser le travail des infirmières et des infirmiers, et au-delà, on l’espère, améliorer la qualité des soins. Le résultat semble couru d’avance : ce sera très probablement un « oui » assez net dans les urnes, le COVID et ses hospitalisations étant passé par là et restant pour l’instant très présent dans le débat. Et comme souvent pour ce genre d’initiative, la mise en œuvre butera sur une foule de problèmes, les coûts s’avéreront excessifs, les cantons se sentiront spoliés de leurs prérogatives, et plein d’autres raisons que j’ignore encore feront que les effets de cette initiative resteront très cosmétiques.

Soit dit en passant, l’initiative insiste sur la notion de soins; mais il ne me semble pas que les professions annexes (nettoyage, auxiliaires, cuisines, tout ce qui fait l’infrastructure dont les soins ont besoin pour fonctionner) soient valorisées de manière similaire par cette initiative. Mais il y a sans doute des priorités à placer, et il est probablement plus vendeur de parler d’infirmières que de personnel de nettoyage dans une initiative populaire. Bref…

Cette initiative a fait l’objet d’un débat (comme d’habitude) à la TV suisse romande lors de l’émission « Infrarouge » le 10 novembre, et comme d’habitude toujours, on y trouvait M. Philippe Nantermod pour y défendre un contre-projet concocté par le conseil national et apparemment beaucoup mieux ficelé (c’est lui qui le dit) que l’initiative irresponsable proposée par les initiants. D’après le conseiller national, l’initiative sera inapplicable dans les faits, alors que le contre-projet serait directement mis en œuvre dès que l’initiative sera balayée dans les urnes. Notons au passage que M. Nantermod prévient déjà que même si l’initiative est acceptée par le peuple ( ce qui sera probablement le cas ), comme elle est à son avis inapplicable, elle n’aura pas les effets souhaités; on comprend bien que le parlement prévenu ne va pas faire des efforts démesurés pour rendre possible l’application de la volonté populaire, alors qu’ils ont déjà décidé que cela ne fonctionnerait pas !

Le discours des initiants, il faut bien le dire, manque aussi singulièrement de cohérence, et les mêmes arguments sont répétés parfois ad nauseam par les intervenants. Mais indépendamment du bien-fondé du contre-projet et des arguments contre l’initiative (et qui sont sans doute justifiés dans une certaine mesure), je me pose tout de même une question peut-être stupide, mais dont j’aurais aimé connaître la réponse de M. Nantermod, par exemple, ou de Mme Bütikofer, plus directement concernée puisque faisant partie de l’organisation nationale des hôpitaux (H+, c’est vrai qu’ils devraient probablement se mettre au boulot si l’initiative passe !). Si le contre-projet est tellement mieux ficelé et résout tellement plus de problèmes, pourquoi le pouvoir politique ne l’a-t-il pas proposé avant que ne soit déposée une initiative, disons (soyons fous) du côté de 2010 ? Cela aurait économisé les frais liés à une initiative et une votation populaire, cela aurait amélioré les conditions de travail du personnel soignant et corollairement des soins pendant cette période pénible de pandémie, et nous disposerions maintenant d’équipes opérationnelles pour s’occuper de nos petites santés. Vous dites ? Personne ne l’avait demandé ? Je fréquente les hôpitaux depuis plus de vingt ans, pour diverses raisons, et la situation est bien connue de tous, et sûrement aussi de certains politiciens. Et puis, il n’est pas interdit d’anticiper les besoins du peuple lorsque l’on gouverne. Je sais que je me répète, mais « Gouverner, c’est prévoir… » (Emile de Girardin, 1852). Mais actuellement, il semble que le mot d’ordre soit plutôt « Gouverner, c’est réagir quand on ne peut plus faire autrement ». Et même à ce moment, il s’agit de trouver la réaction minimale qui permettrait de calmer le jeu en attendant le prochain orage.

M. Nantermod a charitablement prévenu les téléspectateurs en fin de débat : plus de prestations implique plus de frais, donc les primes d’assurance-maladie vont augmenter. Il dédouane ainsi directement les assurances et l’industrie pharmaceutique qui ont une excuse déjà fignolée par un conseiller national pour augmenter les primes. Un exemple que pourrait étudier M. Nantermod : le Pantoprazole, un médicament très utilisé pour aider le système digestif lors de l’ingestion d’autres médicaments, est jusqu’à trois fois plus cher en Suisse qu’en France, même si fabriqué en Suisse. N’y aurait-il pas matière à s’étonner pour un juriste compétent et politicien brillant comme M. Nantermod, et partant de se préoccuper d’équilibrer les coûts des médicaments pour essayer de limiter les augmentations de primes ? Comment dites-vous ? La liberté du commerce dans le cadre d’une économie libérale ? Ah oui, suis-je bête. Elle est plus importante que le personnel soignant et que les soins qu’ils prodiguent. J’espère que les infirmières et infirmiers qui délaissent la profession épuisés auront retenu le message.