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Barre à tribord !

Giorgia Meloni en Italie, Jimmie Åkesson en Suède se sont récemment invités dans une liste beaucoup trop longue de démocraties occidentales dirigées ou fortement influencées par un parti d’extrême droite.

Les clivages politiques deviennent de plus en plus nombreux; Bolsonaro s’avère plus résilient que ce que prévoyaient les sondages au Brésil; Donald Trump aux Etats-Unis rêve de réitérer son élection de 2016, mais cette fois sans le soutien de Cambridge Analytica. Marine le Pen a réalisé un score de plus de 40% au deuxième tour de la présidentielle de 2022, alors que afD obtient des pourcentages intéressants en Allemagne. Le FpÖ de Jörg Haider a pour sa part déjà gouverné l’Autriche, et on oublie les cas hongrois ou autres pour ne pas allonger une liste déjà nauséeuse par sa longueur.

La question est régulièrement posée : d’où provient cet engouement pour l’extrême droite, pourtant réputée sulfureuse depuis les années 1930 et la guerre qui s’en est ensuivi ? Parallèlement, on constate un effondrement des partis politiques traditionnels de droite et de gauche; lassitude des électeurs vis-à-vis de politiciens qui s’avèrent incapables d’ajuster leur discours à une réalité plus complexe que la simple lutte des classes ? Incompréhension des citoyens à qui l’on promet une vie meilleure, mais qui voient les taxes augmenter, l’énergie se raréfier, leurs conditions de travail se péjorer et le confort matériel se dégrader ? En Suisse, pour ne citer que cet exemple, les assurances maladie augmentent de près de 10% localement, le coût de l’énergie (pour autant qu’il y en ait encore suffisamment) devient prohibitif, les femmes devront travailler jusqu’à 65 ans (pour autant qu’elles trouvent encore de l’emploi), et l’accès à la propriété est devenu pour beaucoup illusoire.

Face à ces dégradations des conditions vitales, les populistes de tout poil ont beau jeu de dire « le pouvoir a failli, nous pouvons mieux faire, c’est de la faute des autres (surtout s’ils sont étrangers)« . Ils ne proposent rien de nouveau, leur discours est négatif et délétère, mais il correspond au sentiment de frustration présent dans de nombreuses couches de la population, à qui le modèle de société actuel ne semble laisser que peu de perspectives. Ces mouvements d’opposition sont par ailleurs souvent largement financés par des intérêts extérieurs (en l’occurrence, Moscou, mais il y en a certainement d’autres du côté du Golfe) ou des milliardaires locaux (Donald Trump, voire Reblochon en Suisse) qui estiment qu’un gouvernement plus fort et plus conservateur servirait davantage leurs intérêts… America First ! (and Donald Trump is the First American !).

Que faut-il encore pour que les partis politiques traditionnels (Verts compris) s’asseyent enfin ensemble autour d’une table pour proposer un modèle de société cohérent, démocratique et crédible ? Un modèle qui tiendrait mieux compte de la globalisation et des réalités européennes sans laisser de côté le citoyen qui se reconnaît mal dans un modèle géopolitique global ?

En France, certaines tentatives dans ce sens ont été faites; par François Bayrou et son mouvement démocrate (MoDem); il y avait eu auparavant le Centre des démocrates sociaux (CDS), Force démocrate (FD), l’Union pour la démocratie française (UDF), tous présidés par Bayrou, et toujours dans un esprit centriste et se voulant rassembleur; mais le candidat Bayrou (sans doute un peu trop professoral dans son attitude) n’a pas pu faire mieux que quatrième lors de l’élection de 2002, celle-là même qui avait vu Jean-Marie le Pen arriver en deuxième place devant le socialiste Lionel Jospin et derrière Jacques Chirac. Plus tard, Emmanuel Macron a fait beaucoup mieux avec son mouvement En Marche!, puisqu’il a gagné l’élection de 2017, favorisé il est vrai par l’effondrement cataclysmique des Socialistes, par l’affaire Fillon qui discrédita durablement le candidat républicain et le mouvement politique auquel il appartenait, et par la piètre prestation de Marine le Pen lors du débat contradictoire entre les deux candidats du deuxième tour. Mais le président Emmanuel Premier va se prendre les pieds dans le tapis à plusieurs reprises, trébuchant sur les crocs-en-jambe tendus par les gilets jaunes, la pandémie du coronavirus et Vladimir Poutine, entre autres. Surtout, Emmanuel Premier ne remet pas en question le fonctionnement de la Cinquième République, à l’origine (1958) fait par Charles de Gaulle pour Charles de Gaulle. Il estime son rôle de président monarchique fort commode et somme toute très gratifiant, secondé qu’il est par un Premier Ministre pouvant faire office de fusible en cas de surtensions (sociales) et pouvant aussi jouer le rôle de successeur le cas échéant. On en oublierait presque de prendre les avis d’autres personnes, tellement on est bien, là-haut, dans cette tour d’ivoire…

L’un de ses principaux rivaux, Jean-Cul Méchenlon, président de « la France Insoumise » avait proposé en son temps de former une Constituante pour changer le système; proposition pour le moins intéressante; on peut toutefois douter de la sincérité du bonhomme, celui-là même qui clamait « La République, c’est Moi » devant les policiers venus perquisitionner chez lui. Eh non, monsieur Méchenlon, le mot « République » est d’origine latine, res publica, qui signifie chose publique. Ce n’est donc pas vous, mais tout le monde (y compris votre interlocuteur agent des Forces de l’Ordre); mais on admettra que l’énervement ait pu vous faire dire des bêtises; bon, il ne faudrait pas que cela devienne une habitude, surtout quand vous citez votre ami Vladimir, n’est-ce pas ?

Il n’y a pas que Méchenlon qui soutienne à demi-mot le dictateur russe, d’ailleurs; son adversaire farouche, Marine Le Pen, a même un découvert dans une banque russe ! En Suisse (où la politique de la proportionnalité est une institution), certains ne s’interdisent pas non plus une vision -disons compréhensive- des agissements du tsar Vladimir; Roger Köppel, dans la Weltwoche (dont il est rédacteur en chef), parle d’ailleurs explicitement de compréhension dans ses articles concernant le président russe. Il est vrai que cet illustre journaliste est aussi un fer de lance de l’UDC, dont la frange la plus à droite reste l’instrument de guerre du bientôt cacochyme Reblochon.

Ce sont des indices qui ne laissent pas que d’inquiéter : les partis extrémistes essaient de remplacer les démocraties occidentales par des régimes qui leur paraissent plus commodes, mieux à même de satisfaire leur appétit de pouvoir et de biens matériels. Leur discours simpliste et direct plaît davantage aux électeurs que les argumentations alambiquées de la droite et de la gauche traditionnelles (d’ailleurs souvent contradictoires et par conséquent peu claires), qui restent souvent sans effet, ou se neutralisent mutuellement (bien évidemment, les argumentations de l’extrême droite ne mènent nulle part non plus, mais comme ils ne font que démolir les autres, c’est moins préoccupant). Quand un parti propose un projet, quel qu’il soit, il a ainsi très peu de chances de s’imposer rapidement, puisque les autres partis vont s’y opposer, souvent par principe

Le président de l’Union Syndicale Suisse Pierre-Yves Maillard a ainsi récemment aidé l’extrême droite suisse à torpiller un projet de coopération européenne, apparemment pour sauver des salaires qu’il eût probablement été possible de protéger différemment. Le torpillage du projet, en revanche, va coûter des sommes considérables à un grand nombre d’étudiants et de chercheurs, ceux-là même qui devront assurer la masse salariale à moyen et long terme en construisant les outils de production des années à venir. La Suisse s’éloigne de l’Union Européenne, ce qui correspond bien au credo de l’UDC. Décevant, de la part d’une personne par ailleurs brillante.

La crise énergétique actuelle est emblématique : plutôt que de se poser de véritables questions sur l’avenir énergétique de la Suisse et de l’Europe, on parle de réinjecter des millions dans des centrales nucléaires menacées d’obsolescence, au lieu de financer des projets plus susceptibles de durabilité; le PLR, en Suisse, prend fidèlement le parti de la frange la plus à droite de l’UDC, au lieu d’essayer de proposer quelque chose de plus novateur, comme à l’époque (1848) où ce même PLR avait construit la Suisse que nous connaissons. C’est bien loin tout ça !

Les démocraties occidentales doivent absolument se réinventer, sous peine de disparaître. Les partis qui ont construit ces démocraties doivent imaginer un nouveau modèle socio-économique, sous peine de voir les oppositions extrémistes les remplacer, et mettre le dialogue démocratique sous la sourdine d’autocraties ou d’oligarchies qui auront de plus la légitimité d’une élection ayant toutes les apparences démocratiques voulues. Comme celle de Trump en 2016, fortement influencée par Cambridge Analytica. Comme celle du chancelier de la République de Weimar en janvier 1933, mais vous vous souvenez certainement encore de lui : son prénom était Adolf…